Toute la Beauté et le Sang versé

Goldin years

« C’est une drôle de chose que la vie – ce mystérieux arrangement d’une logique sans merci pour un dessein futile. Le plus qu’on puisse en espérer, c’est quelque connaissance de soi-même – qui vient trop tard -, une moisson de regrets inextinguibles. »

Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, 1899.

Son prénom est Nancy, mais tout le monde l’appelle Nan. C’est comme ça depuis très longtemps. Et depuis très longtemps Nan Goldin imprime sa vie en polaroïds, pour soigner ses blessures, pour soutenir ses combats. Il fallait bien alors qu’elle croise la trajectoire artistique de Laura Poitras. Après Snowden en « Citizenfour » oscarisé, après le « Risk » d’Assange, c’est au tour de Nan Goldin de clamer en place publique « Toute la beauté et le sang versé », portrait d’une portraitiste qui unit lutte pour la justice et désordres de l’intime, film documentaire salué par un Lion d’Or amplement mérité. Lire la suite

Avant de t’aimer

La vie en pente raide

« Croyez-moi, je me suis battue pour produire et pour diriger mes propres films. […] J’ai toujours nourri le désir de réaliser des films. »

Ida Lupino citée par Robert Ellis, in “Ida Lupino Brings New Hope to Hollywood”, Negro Digest, août 1950.

C’est presque un acte manqué. « Not Wanted » dit le titre du premier film réalisé par Ida Lupino. Au bout de trois jours de tournage, elle doit reprendre la caméra des mains d’Elmer Clifton victime d’une attaque cardiaque qui faillit réduire à néant les premiers balbutiements de la très jeune société The Filmakers qu’elle a fondée avec son mari Collier Young. On peut dès lors considérer ce film comme son premier « bébé », et ce même si c’est le nom du vieux Clifton qui s’affiche au poste de metteur en scène. Qu’importe la signature au bas du générique, « Avant de t’aimer » (puisque tel s’intitule le film sous nos contrées) est une œuvre déjà magnifique sur un grave fait de société, profondément empreinte de la personnalité d’Ida Lupino et portant en germe les motifs qui jalonneront sa carrière de réalisatrice. Lire la suite

Mon CRIME

Jusqu’où iront-elles ?

« C’est ignoble de tuer… mais ça fait vivre tellement de monde. »

Dans « La Poison » de Sacha Guitry, 1951.

François Ozon est un cinéaste qui peut être difficile à suivre. Tous les genres lui conviennent, il aime brouiller les pistes. Passant le plus naturellement du monde d’un grave sujet de société à une revisite de Fassbinder, d’un mélodrame de sortie de guerre en Noir et Blanc à un psychodrame paranoïaque en couleur, d’une ode musicale à la gloire des grandes comédiennes à un thriller romanesque autour d’une piscine, bien malin celui ou celle qui saura cerner ce qui se cache sous le sable de ses désirs. Ce qui fait évidence toutefois, c’est bien son amour inconditionnel du cinéma, une passion parfois sulfureuse qui ne lui aura pas attiré que des faveurs. Alors que la fine fleur des actrices s’accorde avec la crème des acteurs pour lui renouveler leur confiance, voici qu’il revendique « Mon Crime », et s’en remet une fois encore au verdict du public. Lire la suite

EMPIRE of LIGHT

Mirage de la vie

« Light, seeking light, doth light of light beguile ;
So ere you find where light in darkness lies,
Your light grows dark by losing of your eyes. »

William Shakespeare, Peines d’amour perdues, 1595-1596.

Quand les lumières se rallument et que le rideau se ferme, on trouve toutes sortes de choses dans une salle de cinéma. Il y a des gens qui pleurent, il y en a d’autres qui dorment, ou qui veulent juste rester au chaud. Il paraît même qu’il y en a qui meurent en regardant les images – Boris Vian en sait quelque chose. Les allées du ciné, c’est un monde à part qui s’éveille dans le noir, c’est la cour des miracles du septième art. C’est à cet « Empire of Light » que Sam Mendes a voulu rendre hommage, en se penchant non pas sur l’écran, mais en passant derrière, glissant un œil en coulisse, à la rencontre de toutes ces petites mains qui se serrent les coudes, qui mélangent les couleurs pour nous les rendre plus belles. Lire la suite

Faire Face

La dame au gardénia

« Faire des films sur de pauvres êtres désemparés car c’est ce que nous sommes tous. »

Ida Lupino

Rester debout. La chose n’est pas si aisée lorsqu’on est une femme à Hollywood. Ida Lupino a passé sa carrière à tenter de lutter contre les injonctions, à ne pas se laisser imposer les lois du patriarcat des studios. Devenue indépendante en créant sa société de production, elle n’a pourtant jamais nourri la moindre rancœur envers les hommes comme le prouvent les films qu’elle a scénarisés et réalisés. Elle a toujours su « Faire Face », comme dans ce beau film qu’elle réalise pour la première fois sous son nom. Une réalisatrice à Hollywood, on n’avait pas vu cela depuis l’époque du muet, et on n’en reverra pas d’aussi talentueuse de sitôt. Lire la suite

La CHEVAUCHEE FANTASTIQUE

Ringo unchained

« Je n’ai subi qu’une fois l’influence de quelqu’un : avant de tourner Citizen Kane, j’ai vu quarante fois La Chevauchée fantastique. »

Orson Welles

Ceux qui ont fait le voyage jusqu’à la frontière entre Arizona et Utah, au plein cœur du parc naturel de Monument Valley, ont pu admirer le panorama grandiose depuis un point précis appelé John Ford Point. C’est là que, il y a des décennies, le grand réalisateur plaça sa caméra pour mieux embrasser ces merveilles d’Amérique, grandes cathédrales de schiste et de grès qui font l’arrière-plan idéal à la construction d’un mythe de cinéma : celui du Far-West. Pour sillonner cette vaste étendue minérale et majestueuse, il utilise un moyen de transport rudimentaire, un frêle esquif brinquebalant tiré par un attelage à six chevaux, véhicule tout tracé pour une « Chevauchée Fantastique », le temps d’un film fondateur qui sera le berceau d’une star. Lire la suite

TITANIC

Insubmersible

« Il faut trois millions de rivets et beaucoup de sueur pour construire un navire. »

Thomas Andrews, architecte naval du Titanic.

Cela fait maintenant plus de cent ans qu’il gît au fond de l’océan. Et cela fait un quart de siècle que le « Titanic » piloté par l’ingénieux James Cameron navigue encore sur les écrans de cinéma. Tandis que son nouvel « Avatar »  montre « La Voie de l’Eau », le réalisateur Canadien étend l’« immersion » à une relecture de son blockbuster en 3D, fresque majeure de l’histoire du cinéma, « un film intimiste à gros budget » si on se fie aux propos de Gérard Lefort dans Libération. Peut-être pas le meilleur film de Cameron, mais tellement emblématique de son œuvre. Lire la suite

PAPRIKA

Dreamception

« Le cinéma, c’est choisir de rêver. »

Satoshi Kon

On peut dire qu’en matière de rêves, le Japonais Satoshi Kon s’y entendait. Apparu dans les salles obscures de l’Hexagone au moment de la vogue éphémère pour l’anime nippon (dans le sillage de Miyazaki, d’Otomo et d’Oshii avec qui il affûta ses crayons et sa palette graphique), cet ancien mangaka était venu confirmer avec « Perfect Blue » que le dessin animé venu d’extrême orient pouvait donner à voir autre chose que les bagarres intergalactiques de Goldorak. Les dessins de Kon vont dès ses débuts chercher à questionner le réel, faire sauter les verrous étanches entre les mondes. Son ultime long métrage, « Paprika », est un film incroyable, un songe abyssal, une immense rêverie de fin de nuit, de celles dont on se souvient sans être sûr d’en être vraiment sorti. Lire la suite

The FABELMANS

Young Mister Spielberg

« Les créateurs dans les domaines de l’art ou de l’architecture, les gens qui font du cinéma, écrivent des romans ou font des pièces de théâtre, restituent un ensemble de sensations et d’impressions, provenant de leurs souvenirs antérieurs. […] Dans mon cas, je trouve mon inspiration dans tout ce qui constitue mon être profond, et ce depuis l’année de ma naissance, à Cincinnati dans l’Ohio. En quelque sorte, j’ai accumulé la poussière et le pollen de mes expériences depuis l’instant où je suis né… »

Steven Spielberg cité par Tony Crawley dans « L’aventure Spielberg », 1983.

Devenir cinéaste, à quoi ça tient ? Un peu de pellicule, une petite caméra, un peu d’astuce, beaucoup d’imagination et un entourage conciliant, tout cela aide mais ne fait pas tout. Pour devenir cinéaste, il faut une rencontre, un évènement marquant, une collision qui vous conduit tout droit « Sous le plus grand chapiteau du monde ». C’est là que Steven Spielberg situe l’acte de naissance de sa vocation, et c’est par là qu’il débute « The Fabelmans », un « autobiopic » qui ne dit pas son nom mais qui a bien du mal à rester caché derrière la caméra. Lire la suite

E.T., l’Extraterrestre

L’ami qui venait d’ailleurs

« You can fly, you can fly, you can fly ! »

Sammy Cahn pour « Peter Pan », Walt Disney, 1953.

Il y a ceux qu’on croise au détour d’un raccourci que l’on n’aurait jamais dû prendre, qui débarquent de leur astronef clignotant pour désintégrer tout ce qui passe à portée de laser. Il y en a d’autres, plus sournois, « Choses » rampantes et gluantes, qui prennent la forme d’êtres humains pour mieux corrompre et anéantir. Et puis il y a des rencontres qui réchauffent le cœur et enchantent l’esprit, qui allègent les soucis en laissant croire à un monde meilleur. Cinq ans après avoir fait une belle « Rencontre du Troisième Type », la caméra de Steven Spielberg revient rôder sur les collines de Los Angeles à la recherche d’un « E.T. l’extraterrestre » planté par ses collègues au beau milieu d’une cueillette de champignons (décidément un bon coin). Elle y trouvera deux ou trois souvenirs de jeunesse, un succès populaire, un hymne universel et l’emblème d’un réalisateur en état de grâce. Lire la suite