JACKIE

Dans la ligne de mire

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“I do not think it altogether inappropriate to introduce myself to this audience. I am the man who accompanied Jacqueline Kennedy to Paris.”

John F. Kennedy, Palais de Chaillot, Paris, 3/06/1961

Dès lors qu’un nouveau locataire entre à la Maison Blanche, il est toujours salutaire de revenir sur l‘le passé de ses illustres prédécesseurs. Et ce retour en arrière ne peut éviter l’incontournable détour par Dallas, a fortiori lorsqu’il s’agit d’évoquer la vie de la plus célèbre des Premières Dames. Lorsque Noah Oppenheim écrit le scénario de son biopic sur « Jackie » Kennedy, ce n’est ni pour nous faire partager sa lune de miel au bras du sénateur fraîchement élu, ni pour conter sa romance avec un armateur grec multimilliardaire. L’impressionnant carton d’Oswald retransmis à des millions de téléspectateurs demeure le fait nodal auquel s’arrime ce film placé d’abord entre les mains de Darren Aronofsky avant qu’il ne retombe dans l’escarcelle de Pablo Larrain.

Pour le Chilien qui sort à peine d’une fresque imposante sur son illustre compatriote « Neruda », il n’est pas ici question de refaire un « JFK » du point de vue de la First Lady, de se repasser en boucle le film de Zapruder et remettre sur la table toutes les pièces à conviction qui pourraient enfin faire la lumière sur l’attentat le plus disséqué du XXème siècle. Il laisse ainsi le tireur d’élite se débrouiller avec son innocence sur une archive diffusé sur un petit écran de la Maison Blanche avant qu’il ne s’impose à nouveau aux médias la veille des funérailles en tombant sous les balles de Jack Ruby. Le bruit de la balle qui frappe la tête de Kennedy est pourtant un des clous (clue ?) essentiels qui ferment le cercueil du président, épinglant dès l’exergue ce portrait de Jackie sur l’écran. Le spectateur d’abord plongé dans le noir, comme sonné, se voit immédiatement ébloui par la lumière aveuglante de la porte d’entrée qui s’ouvre sur un journaliste mandaté par le magazine Life afin de recueillir le témoignage de la jeune veuve. Lui aussi veut tout savoir sur le bruit de la balle (et tout ce qui s’ensuivit), question à laquelle la principale intéressée lui refuse la réponse… dans un premier temps.

Car le principal objet d’étude de Larrain est cette femme qui se trouve soudainement privée de sa raison d’être, destituée d’une place qui comptait visiblement beaucoup à ses yeux. Quelques heures d’incertitude auront suffi à la faire passer de la vie en tailleur rose au voile de deuil en crêpe noir. Le réalisateur voudra alors savoir comment elle traversa les évènements, comment elle y puisa la force d’aller de l’avant pour prolonger le conte de fées. Il nous introduit dans la grande maison pour mieux chercher à percer le mystère Jackie, à pénétrer dans ces yeux qu’il perçoit comme deux « portes cosmiques » (dit-il dans les Cahiers du Cinéma). « Natalie Portman était la bonne actrice pour le rôle, » ajoute-il, « pas seulement parce qu’elle pouvait incarner son élégance, sa sophistication et son éducation, et jouer le personnage magnifiquement. Mais aussi parce qu’elle pouvait avoir le même mystère dans le regard. »

Alors Larrain s’attarde sur cette icône soudain maculée de sang, ses belles tenues souillées de morceaux de cervelle, cette dignité qui chancelle dans la boue du cimetière d’Arlington où elle exige que son défunt époux soit enterré. Il n’aura de cesse de scruter le visage de cette Première Dame par procuration, essayant de débusquer dans les gros plans du visage de l’actrice (qui se livre à une performance de stature hollywoodienne à l’aune du personnage qu’elle interprète) des bribes d’intime vérité tout au fond de l’âme de cette femme en deuil. Car il n’oublie pas qu’il a affaire à une maîtresse de l’image (« what was real ? what was performance ? » s’interroge-t-elle néanmoins) ayant investi la demeure présidentielle pour en faire une « maison du peuple » qu’elle présentera officiellement à la télévision.

Il se dégage pourtant de ce Jackie show retransmis sur CBS, dans un Noir et Blanc au grain épais, un profond malaise. Le « White House Tour » prend des allures de promenade funeste, convoquant l’esprit d’un autre grand président assassiné et de sa veuve désargentée, commenté par une Natalie Portman qui s’est calée jusqu’au bout des lèvres sur la gestuelle et le débit de voix de la désormais défunte Jacqueline. Le fantôme de Lincoln semble peser sur ce grand palais blanc (magistralement recomposé dans la bessonienne Cité du Cinéma), qui prend peu à peu des allures de tombeau, gigantesque mausolée dans les couloirs duquel l’ex-First Lady va laisser errer son âme en peine à travers le rideau de cordes et les bourdonnements de flûte d’une bande-son spectrale qu’on jurerait venue d’ailleurs (à la fois extra et terrestre signée d’une Mica Levi que l’on connaissait par ailleurs « under the skin »). Ce lieu pinacle d’accomplissement filmé dans des tons volontairement insaturés (« éthéré, presque cotonneux » précise le chef op’ français Stéphane Fontaine dont le travail sur ce film est réellement remarquable) semble une « dead end » dans laquelle la décoratrice d’intérieur va tourner en rond dans sa cage dorée, passant du statut d’icône de papier glacé adulée dans le monde entier à une ombre vêtue de sombre reversée dans les colonnes nécrologiques.

A l’instar du précédent « Neruda », Larrain entend basculer son biopic sur un versant existentiel en invitant le prêtre joué par le regretté John Hurt (qui semble d’ailleurs en profiter pour nous livrer un dernier discours testamentaire) à recueillir les confessions de la veuve (« Dieu était-il dans la balle qui a tué mon mari ? » s’interroge-t-elle). L’heure du bilan a sonné plus tôt que prévu, plaçant au centre des préoccupations la trace que laisseront véritablement dans l’Histoire du pays ces maigres années de présidence au cours desquelles il aura fallu surtout naviguer au milieu des récifs géopolitiques.

Suivant la même trajectoire, Larrain fait circuler sa caméra de part et d’autre de l’instant létal, au milieu des débris de la mémoire d’après-drame, dans un récit à la chronologie éparse et complexe. Les funérailles en grandes pompes, à l’aune de celles du grand homme qui abolit l’esclavage, apparaissent alors comme l’évènement capital qui permet à Jackie de hisser son très populaire Jack au rang des hautes personnalités de son temps. Grâce à « Jackie » Larrain démontre avec une belle élégance que cette balle qui frappe à nouveau en fin de trajectoire, n’est pas un geste de mort mais au contraire une naissance, celle du mythe qui unit à jamais ce couple digne des chroniques arthuriennes.

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2 réflexions sur “JACKIE

  1. J’insiste donc, si tu as l’opportunité de voir Neruda, file s’y. Non pas pour voir un bon film, je ne voudrai pas te laisser espérer quelque chose d’extraordinaire, mais au moins pour avoir la possibilité de comparer avec Jackie. Ce n’est pas fréquent que l’actualité nous permette de mettre en vis-à-vis deux films d’un même réalisateur, deux essais biographiques qui plus est, dans deux genres différents (film chilien / film hollywoodien, film personnel / film de commande et néanmoins, je crois bien, film d’ambition pour les deux). Que viva Larrain ! / ?

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