MIDNIGHT SPECIAL

Vers les lueurs

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« Let the Midnight Special shine her light on me,
Let the Midnight Special shine her ever-loving light on me. »
blues traditionnel

« Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit. » disait Truffaut dans « la nuit américaine ». Jeff Nichols nous invite à monter à bord du sien, alors que son « Midnight Special » entre en gare.

Ça commence dans le noir, au milieu de nulle part, comme si on prenait le train en marche. Pour le spectateur clandestin, pas de blablas inutiles, le scénario se chargera de faire les présentations en chemin. Désormais acquis à la confiance de la critique, d’un public de fidèles, et de quelques renifleurs de talents aux poches pleines de billets couleur Warner, il n’hésite pas à nous convier à des heures indues, vers une destination inconnue. Le jeu en vaut la chandelle puisqu’il nous promet de découvrir un trésor, pour ne pas dire une merveille.

C’était déjà le cas dans son précédent film, lorsque deux jeunes aventuriers débarquant sur une île supposément déserte, tombaient sur une arche perchée. Cette fois, ce ne sont plus deux enfants qui découvrent un trésor, car le trésor c’est l’enfant. Alton Meyer est un joyau précieux, puissant, avec au fond des yeux une intense lueur qui transperce les ténèbres. Et le jeune acteur Jaeden Lieberher, planqué derrière ses petites lunettes de piscine, lui fait particulièrement honneur. Alton est par nature extraordinaire, et de ce fait l’objet de toutes les convoitises. Ceux du Ranch, dirigés par un évangéliste à sang froid (Sam Shepard demeure impérial), voient en lui le messie promis de longue date, descendu du ciel pour sauver la communauté des élus. Le FBI et la NSA y voient naturellement une menace pour la sécurité nationale, et pourquoi pas une arme très utile entre leurs mains « responsables ». A l’heure où, sous la même bannière hollywoodienne, s’affrontent des Titans costumés sortis des cases de bandes dessinées, Jeff Nichols nous propose un regard oblique sur ce qui, à nos yeux, passe pour un être à part. Celui de son film n’est pas très musclé, plutôt chétif même, et souffreteux par-dessus le marché car ses pouvoirs le rongent de l’intérieur. S’il ne semble pas avoir choisi sa condition, il l’accepte néanmoins avec une sage résignation, se montrant à la hauteur de sa destinée malgré son jeune âge. Jeff Nichols fait l’impasse sur le récit des origines de ce fils du ciel, préférant monter presto en auto avec un duo de kidnappeurs.

Après le très solaire « Mud », Jeff Nichols propose un film nocturne. C’est une cavale éperdue par une nuit grise, que l’on traverse profil bas, tous phares éteints, pour ne pas se laisser abuser par le paysage avant de voir la lumière au bout du tunnel. Contrairement à l’admirable « Géant de Fer » de Brad Bird, ce petit bonhomme est un secret qui se dissimule aisément sous un drap, ou sur la banquette arrière. Il n’est pourtant pas si facile de traverser le pays en toute discrétion quand un avis de recherche tourne en boucle à la télé. Pour Jeff Nichols, il y a bien entendu dans ce schéma de poursuite quelques souvenirs de ses vieux émois cinématographiques, les juvéniles années Spielberg où une bande d’ados cyclistes prêtait main forte au gentil alien en mal de soucoupe, quand ce n’était pas un expert français un peu lunaire qui venait siffloter la mélodie pour amadouer des visiteurs venus de loin. C’est avec une candeur un peu similaire que le scientifique binoclard Paul Sevier (Adam Driver bien plus détendu que sous le casque étouffant de Kylo Ren), dont le patronyme francophone ne doit évidemment rien au hasard, cherche à faire lumière sur cet étonnant gamin. « Je crois que c’est quelque chose qui vient de Truffaut dans « rencontre du troisième type ». Il n’est pas là pour arrêter les aliens et les mettre en prison : Sevier veut « voir », il souhaite être là, être aspiré par quelque chose. »

En compagnie de son personnage, Jeff Nichols a l’intention de nous emmener loin, vers un terminus riche de promesses. Bien sûr, il faudra qu’Alton Meyer franchisse maints obstacles, trompe le flair des limiers qui suivent sa trace. Il faudra aussi que les parents fassent le deuil de cet enfant. Avant d’être le centre d’intérêt principal des Fédéraux et des fanatiques religieux, Alton est d’abord le fils d’un père et d’une mère. Cette donnée fondamentale aux yeux de Nichols (au point d’en faire la composante récurrente à tous ses films), est le cœur battant de l’intrigue. Et comme dans ses films précédents, il évoque ici une faillite et des choix de vie hasardeux. Mais quel meilleur abri que l’épaule d’un père, le réconfort d’une mère lorsque les évènements tournent mal, contre les turpitudes du monde alentour. Alton, comme Nichols, pourra toujours compter sur la stoïque stature de Michael Shannon, un père prêt à tout pour porter son enfant sur le chemin qu’il s’est choisi. A ses côtés, Kirsten Dunst remet le masque dépressif d’une mère dont la « Melancholia » s’éclaire en présence de son petit bonhomme. Etonnamment, le plus solide appui du jeune héros est à chercher dans la personne de Lucas, interprété par un Joel Edgerton bien loin des mimiques affectées de son Ramsès englouti sous le faste biblique de l’« Exodus » version Scott. Il se montre au contraire sobre et solide à la fois, animé d’une foi autrement plus convaincante. Peut-être cette fois est-il plus en phase avec la vision du réalisateur, celle qui serait sortie des yeux même du petit garçon venu d’ailleurs. C’est parce qu’il a vu, qu’il s’est mis à croire et, à travers lui, Nichols replace au centre du jeu l’indispensable suspension d’incrédulité du spectateur, comme pour nous rappeler que dans un film, la réalité des personnages est bien celle qui est projetée sur l’écran.

Après la stupéfiante vision cataclysmique de « Take shelter », marasme social qui se prolongeait sur les rives du Mississippi avec « Mud », on n’attendait pas forcément ce réalisateur dans ce registre SF. En nous prenant doucement par la main, avec une extrême pudeur et sans céder à l’esbroufe ostentatoire, Jeff Nichols accompagne son jeune héros dans son dernier voyage et finit par tenir sa promesse en bout de course : il nous laissera voir, quelques instants, qu’un autre jour est possible pour la science-fiction au cinéma.

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26 réflexions sur “MIDNIGHT SPECIAL

  1. Et bien en lisant cela une seule envie : le revoir.
    Comment j’ai pu zapper la présence de Jojo Loving ??? Il devait se cacher derrière le géant Shannon !!!
    C’est bien.beau ce que tu racontes.

    Rien sur l’imperceptible sourire final. Je l’ai encore bien en tête. Décidément Jeff, de plus en plus incontournable, a un don pour les moments magiques qui clouent sur place. (Tell the juge…)

    Il me fait l’effet Winterbottom qui mine de rien tout en douceur a une filmo de ouf.

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    • Et pourtant, le Jojo (aka Lucas dans le film) est cet ex-state trooper qui sert de bodygard à l’enfant prodige tout du long.

      En plus de l’esquisse de sourire final sur le visage paternel, il m’a même semblé percevoir une étrange lueur au fond de ses yeux. Voilà qui devrait t’inviter à refaire le trajet 😉

      J’ai honteusement laissé courir la filmo de Michael Winterbottom dont tu sembles être très fan. J’ai tout de même un souvenir très fort de son excellente adaptation du roman de Thompson, « the killer Inside me ».

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      • Bon t’as gagné, je commande le DVD !!! l’attente va être longue.

        Pour ce que je comprends du princécranoir… Wintetbottom devrait te ravir ! Y’a du lourd et chaque fois un style, un thème, une histoire, une époque différents… Etonnant le garçon.
        C’est Jude qui m’a rendu addicte.

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  2. Très bel article sur un film qui ne l’est pas moins. Ce « Midnight Special » est de ceux qu’on n’oublie pas et qui laisse une marque à l’esprit après qu’on l’ait vu. Il me reste quelques films de Nichols à découvrir, et j’en suis ravi.

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  3. Jeff Nichols fait partie effectivement des réalisateurs qui peut m’emmener loin, très loin les yeux fermés. Juste sur son nom. Depuis Take Shelter (son deuxième, n’ayant pas vu son premier). Mud, une histoire totalement différente, et pourtant la magie a opéré aussi. Les yeux fermés, je te dis. Je le suis même dans les marécages du Mississippi. Alors une virée nocturne, minuit, spécial, étrange, j’y suis allé aussi. Un peu en-dessous des deux précédents, mais quand la barre initiale était si haute, forcément la suivante est plus dur à atteindre.
    Loving ? Pourquoi, je n’y suis pas allé… Bah, l’histoire… Bah, j’ai décidé d’ouvrir les yeux. Bah, il me semble légèrement en-dessous… Tiens, je vais aller voir ta chronique sur celui-là…

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    • Tu peux y aller les yeux fermés, le gamin de « Midnight Special » a de la lumière à revendre. Et du marécage, tu en trouveras à satiété.
      Un autre genre de marais (juridique) t’attend du côté de « Loving », mais aussi de bonnes raisons de se serrer très fort contre sa bien-aimée. 🙂

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  4. Je termine à l’instant de le revoir. Quelle merveille !!! Comment j’ai pu passer à côté de Joël Loving ??? Je l’aime d’amour jusqu’à la fin des temps et au delà.
    Rien à jeter dans ce film unique éblouissant !!!
    Et le gosse on a JAMAIS envie de lui foutre trois baffes.
    Et Michael et Kristen et Adam et Sam…
    Je suis Nichols addict je crois.
    J’ai commandé Take shelter qui n’était pas dans le magasin de caca ou je suis allée. J’étais un peu passée à côté de ce film mais je vais réparer. Shannon est FOU.

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  5. Starman revu et corrigé par Jeff Nichols. Comme souvent chez le réalisateur, on voit venir la référence (Take Shelter reprenait beaucoup de La dernière vague), mais il en fait toujours un film propre à lui. Preuve en est cette poursuite de près de 2h avec ce père et cette mère retrouvant leur fils et le lien qui les unissait. La famille au centre de tout.

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  6. Revu Take shelter. .. En VO sous titré… en anglais !!! ce que le vendeur a omis de me préciser. Heureusement qu’il y avait les sous titres. Je m’en suis bien tirée et j’ai même aimé l’exercice.
    Et le film… Shannon qui fait pipi au lit on ne voudrait rater ça pour rien au monde (on a les références qu’on peut).
    Comment j’ai pu être si tiède à sa sortie ??? Cet homme qui lutte contre sa prétendue folie c’est démentiel !

    Dans un tout autre genre j’ai vu le dernier James Gray. Une autre folie un autre réalisateur majuscule. .. après une nuit de sommeil j’en suis encore sous le choc.
    Excepté le miscasting de Siena Miller qui doit avoir un agent haut de gamme. A ton jamais vu actrice plus transparente ??? Non.

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