DRIVE

Scorpio rising

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Un journaliste de Libération, Olivier Séguret, trouvait quelque chose de « Cronenbergien » dans « Drive » de Nicolas Winding Refn, notamment « dans son maniement de la violence ». Il y a un peu de ça et bien d’autres choses dans les replis de ce film séduisant, appliqué, et plutôt classieux.

Posé sur le châssis de modèles prestigieux et piloté par un beau gosse énigmatique mais attachant, il donne à voir sa belle carrosserie qui rutile sous les néons de L.A. Des dialogues délivrés au compte-goutte, montage coupé au cordeau, le Viking n’a nullement l’intention de gesticuler avec les stars, de concasser le genre. Il repeint le roman de James Sallis sur des chromos mélancoliques magnifiquement teintés par un chef opérateur hors-pair (Newton Thomas Sigel, ici plus proche du clair-obscur « Usual Suspect » que des vives fulgurances de « Superman Returns »), avec de violents reflets de Film Noir dans le rétroviseur.

A peine le temps de dire « moteur » que l’action démarre pour un casse nocturne dans une L.A. scintillant de toute beauté, l’occasion d’une démonstration tous feux éteints des talents de ce super-chauffeur. Le héros du film (voire le « super-héros » comme le qualifie volontiers le metteur en scène) est un de ces professionnels du volant comme on en a connu quelques-uns dans le cinéma yankee, possédant une maîtrise totale du tissu urbain et obéissant à un modus operandi particulièrement précis et intraitable (cinq minutes chrono pour faire le coup, passé ce délai, bye bye). Son originalité tient peut-être dans cette double vie qui le mène des nuits sombres du banditisme aux crashs sous le feu des projecteurs. Le jour venu, le « driver » sans nom s’avère être un mécanicien sans histoire, cascadeur à ses heures et pilote de stock-car s’il le faut, un type charmant. Mais, comme dit la chanson, méfiez-vous, c’est un truand. D’abord c’est un Ryan qui en vampirise un autre (Gosling chassant sur les terres d’O’Neal dans le méconnu « The driver » de Walter Hill), une présence mutique et magnétique, une ombre immortelle (le danois Refn avoue une admiration très ancienne pour le « Vampyr » de Dreyer) qui ne laisse pas d’empreinte puisqu’il porte des gants (piqués à Steve McQueen).

Après un début sur les chapeaux de roue, le réalisateur repasse la première, calme le jeu pour une lente exposition des personnages. Il y a d’abord Shannon, campé par l’excellent Bryan Cranston, sorte de père adoptif du gamin qu’il fait travailler dans son garage. Viennent ensuite les profils d’authentiques méchants, l’un arborant le costume du boss dur en affaire (Albert Brooks en simili-Roger Corman mafioso) tandis que l’autre a simplement la gueule de l’emploi (Ron Perlman et son physique hors norme renvoyant à ce que dit le petit garçon regardant un dessin-animé : « ils sont méchants. Ils ont des têtes de méchants »). Enfin il y a la part féminine, moins rare qu’à l’accoutumé chez Refn, le rôle d’une voisine ici confié à une Carey Mulligan au visage de femme-enfant. Tous auréolent de leur vibrante et intense incarnation la figure éthérée du chauffeur taiseux, traçant imperceptiblement les contours d’une personnalité qui n’est pas si inhumaine.

Mais dans cette première partie, plus que la love-story balisée, c’est davantage la succession de références appuyées qui aurait tendance à trahir un déficit de personnalité. Refn prend la commande pour ce qu’elle est, mettant à profit son séjour sur la côte ouest pour nous gratifier de sa science cinéphilique. De John Carpenter (les synthés de Cliff Martinez et un signe de tête évident au tueur de « la Nuit des Masques ») à Michael Mann (« le Solitaire » se regardant dans les miroirs de « Collateral »), tout en sniffant l’esthétique de Kenneth Anger, il enchaîne vers un plan de steady-cam à la Kubrick dans un supermarché, avant d’entamer une virée ensoleillée dans les canaux de drainage des eaux pluviales à la façon d’un Cameron dans « Terminator 2 ». On ne compte plus les citations qui sont destinées à faire le bonheur des fans aux aguets, poussant l’extrémité de la démarche jusqu’à dédier le film à Jodorowsky pour sa dimension existentialiste (Refn confesse une certaine fascination pour « el topo »).

En réalité, mieux vaut faire table rase de ce foisonnement de références et prendre cet objet film pour ce qu’il est, et surtout ce qu’il devient dans sa seconde moitié, une fois le doux chevalier redevenu démon sous les néons. Tel Lee Marvin remontant à la source une fois passé le « point de non-retour », le scénario change de paradigme, obligeant son personnage à changer de peau. Le polar soudain devient hard-boiled, et le sage développement bascule vers un pur et simple règlement de compte sanglant où, comme dans le chef d’œuvre de Boorman, l’argent n’est plus le carburant du personnage, mais un appât lui permettant d’aspirer dans un siphon de violence la matière criminelle qui sature tout à coup son environnement. C’est précisément le moment que Refn choisit pour transformer son héros au profil bas en un guerrier silencieux et bestial (Gosling évoque même un « loup-garou »), ce « real hero » au scorpion imprimé sur le dos, volant au secours de la veuve et de l’orphelin, qui se montre aussi efficace pour défoncer le crâne d’un type à mains nues (l’extatique scène de l’ascenseur est sans conteste à la fois point de bascule et point d’orgue du film) que dans le contrôle d’un tête à queue lors d’une poursuite en voiture.

Les mauvaises langues diront que le film s’achève néanmoins en queue de poisson, mais c’est la manière qu’a Refn de marquer son empreinte de cinéaste européen. Délesté de toute prétention auteuriste dans ce film de commande, Nicolas Winding Refn peut enfin faire la démonstration de ses talents de faussaire. Plus qu’un véhicule attelé aux icônes du cinéma de genre, il vaut mieux voir en « Drive » un fascinant film conducteur.

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26 réflexions sur “DRIVE

  1. J’avais suivi ta migration, mais le temps qu’il m’a fallu pour trouver la bonne clef à molette pour le tour d’écran…
    J’ai découvert Ryan Gosling avec ce film qui pour moi fut une révélation, celle de l’acteur, celle du réalisateur.
    Grand film ce Drive, quelque chose de puissant et d’envoûtant. Hypnotisant même avec ses dialogues au « compte-goutte ».
    Le genre de film que je suis prêt à regarder et regarder, pour en faire un de mes films cultes.

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    • Le film séduit toujours, même après plusieurs visions, et quand bien même on peut suivre des yeux toutes les ficelles référentielles tendues, il nous emporte toujours avec la même passion vers son plan final à la « lost highway » (je ne l’avais pas encore cité celui-là dans mon texte) ;-). Après avoir tâtonné dans ses films précédent, on pourrait voir « Drive » le début d’une ligne esthétique qu’il prolonge ensuite avec le très radical « only god forgives » puis l’obscur et fascinant « Neon demon ». Hâte de savoir quelle direction il va suivre maintenant.

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  2. Bonsoir, mon ami est fan du film et il a découvert tout récemment le roman dont l’histoire est adaptée et il a aimé http://dasola.canalblog.com/archives/2017/01/17/34750881.html Quant à moi, j’avais aimé le début du film et puis c’est tout. J’avais trouvé le film violent (trop). Et pourtant, j’ai l’habitude avec le réalisateur entre La trilogie Pusher et Le guerrier silencieux. Bonne fin d’après-midi.

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  3. Mouais c’est quand même du Refn pur jus. Chic et toc. Clinquant et vide.
    En un mot, chiant bien comme il faut…Et les films qui ont suivi enfoncent le clou.

    J’ai bien lolé avec ton CORnenbergien. Allez une ptite Cro pour trinquer ?

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    • Hein ? où ça ? J’ai pas vu 😉
      Bon, allez, on va pas tortiller sur ce côté hermétoc. Moi je mets le tout sur la marque de fabrique (« Neon Demon » commençait comme une pub pour parfum trash). C’est le côté expérimental qui ressort. On adhère ou pas, comme chez Jodo, Anger, et quelques autres post-surréalistes (prends « le sang d’un poète » de Cocteau, c’est pas mal non plus dans le genre, et ça ne date pas d’aujourd’hui).

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  4. Ah non c’est moi, j’ai louché !

    Ouais c’est ce que je dis, moche et chiant !

    Mais Jodo j’ai ADORé, pas le dernier que j’ai raté :-((( mais çui d’avant le dernier.
    Et Cocteau il est mort non ?

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  5. Formellement, c’est bien filmé, mais qu’est-ce que c’est crétin. On dirait le film d’un adolescent très doué qui est à la fois fasciné par la violence (ces images de violence gratuites) et qui a peur d’elle (le Driver est une sorte de chevalier blanc qui a peur de sa propre violence). Bref, pas ma tasse de thé.

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    • J’aime cette idée de l’être Janus. C’est vrai que le film prend parfois des aspects poseurs, démarche qui au départ m’apparaissait également prétentieuse, mais qui, à la longue, et avec le recul des films suivants, a fini par me séduire. Refn mord plus souvent qu’à son tour la ligne du film d’horreur, mais je dois avouer que cela contribue à me séduire.(question de goût). Contrairement à toi, je me le suis revu avec grand plaisir.

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  6. Pas revu depuis un petit moment. J’ai même eu le temps de voir le film dont il est le simili remake The driver de Walter Hill avec le tout aussi mutique Ryan O’neil. J’aime bien le film de Winding Refn qui ne s’est d’ailleurs jamais caché de l’inspiration particulière du film de Hill. Bonne ost, beau look, bons acteurs, bonne réal (NWR ne faisait pas trop arty, cela lui viendra plutôt avec le film suivant).

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  7. Je peux pas avec Refn, il se regarde filmer. dès que j’ai commencé à regarder Drive, j’ai immédiatement pensé à deux films, Driver donc et le Solitaire de Michael Mann, et après… après je me suis dit que le gars de Pusher en avait marre de raconter des histoire et qu’il se pensait assez brillant pour repenser le polard. Cet effet d’auto statisfaction je l’avais déjà eu avec le Guerrier Silencieux et l’interminable quart d’heure sur le bateau où il ne se passe strictement rien parce que justement c’est trop bien de faire des plans fixe dans une piscine sous des spots rouges et bleus. Drive m’a ennuyé à mourir

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    • J’ai eu le même sentiment en voyant « Valhalla rising », dans lequel Refn déployait toute l’étendue de ses références avec un côté très prétentieux et sans trop savoir où il allait. « Drive » m’est apparu davantage comme un exercice de style au service des studios hollywoodiens. Si le film n’est pas révolutionnaire, son côté polar post-moderne laissant deviner un petit malin derrière la caméra, il a le mérite d’être très séduisant, et d’ouvrir la voie vers d’autres films plus conceptuels sur le statut de l’image.

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    • Je suis assez d’accord : Refn produit de l’image, voire de l’imagerie, surtout dans ses deux derniers films. C’est d’ailleurs ce qui rend l’entreprise intéressante. Dans « Drive », il est encore à la charnière, suivant une trame balisée de film noir, de manière assez efficace à mes yeux, tout en l’accolant à cette imagerie iconique si chérie par Hollywood, et qui ne date pas d’hier. On peut n’y voir qu’esbroufe et trivialité, pâle resucée des grands auteurs qui l’ont précédé (Kubrick habitait ses images autrement, c’est vrai), mais ce film comme les suivant continue d’exercer sur moi un certain charme qui finit par me le rendre agréable et plaisant.

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  8. Drive est puissant de cette épuration des choses. C’est une alchimie avec laquelle il faut se mettre en harmonie ou passer son chemin au risque de se sentir en dehors. Je me marre quand on reproche le jeu très épuré de Gosling parce que comme dans beaucoup de choses c’est les gestes les plus simples qui sont les plus difficiles à faire ( je pense par exemple à la danse qui arrive à effacer l’effort pour nous faire croire que c’est facile, mais je suis un peu hors sujet.). Je ne vais pas cacher mon admiration de Ryan Gosling parce que je le dis assez sur mon blog … mais j’admire cette intensité de l’immobilité, et du silence. Il a une maîtrise assez incroyable de ces jeux qui demandent une tension continue, un visage fermé à l’expression spontané. En bref il est sous son propre contrôle tout le temps et c’est tout à fait son personnage. L’histoire est sensationnelle, le livre original aussi d’ailleurs même si la version du cinéma l’a rendu un peu fade. Nicolas Winding Refn fait de l’art, du genre de la peinture … bref, Drive c’est un chef d’oeuvre qui ne perd rien de sa beauté au fil des visionnages.

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    • Eh oui, malgré son aspect séduisant, sa bande-son efficace, ses chromos sur L.A., « Drive » n’a pas que des admirateurs. Comme tu l’as compris, il s’agit à mes yeux d’un film charnière, une voie « américaine » dans laquelle s’engouffre Refn afin de rhabiller ses codes selon une esthétique très appuyée. Je suis d’accord avec toi, le climat de Film Noir, même s’il n’est pas nouveau, est parfaitement retranscrit. Quant à l’interprétation de Gosling, elle vaut bien la minéralité d’un Delon dans le magnifique « Samouraï » de Melville (dont le dépouillement et le travail sur les codes fut aussi décrié en son temps).

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