Man of steel
« L’épée qui tue le roi coupe les cordes qui maintiennent l’empire. »
Proverbe Aquilonien.
« Quand j’étais jeune, j’étais fasciné par ce monde-là, et j’ai consacré une grande partie de mes loisirs à l’étudier. Il me semble que nous pourrions y trouver des notions intéressantes, car je doute que nous ayons beaucoup gagné au christianisme. » Ainsi parlait John Milius, à propos de « Conan le Barbare ». Ce monde, c’est bien sûr celui du romancier Robert Howard qui créa dans les années 30 le personnage du Cimmérien, d’abord transposé sur script par Oliver Stone (qui d’ailleurs ne cessera de pomper à cette source pour irriguer quelques-unes de ses réalisations personnelles, « Alexandre » en tête) puis fermement repris en main par Milius. Celui-ci se l’approprie tant et si bien qu’il affirme avoir créé « un monde que je crois meilleur, plus intéressant et plus stimulant que le nôtre, un univers dont j’aimerais être le contemporain. »
Pas vraiment un enfant de chœur ce Milius qui prétend se retrouver dans cette foi en l’acier trempé, cette société du plus fort où l’on « écrase ses ennemis » avant de « les voir passer enchaînés devant soi et entendre les lamentations de leurs femmes ». Peu adepte du folklore féérique de la Fantasy, il veillera à évacuer de son film le merveilleux trop ostentatoire au profit d’une sorcellerie plus clandestine afin de coller à un esprit plus proche du cœur des ténèbres (la prise de pouvoir finale ne porte-t-elle pas la marque du scénariste d’« Apocalypse Now » ?), et s’inscrire à la croisée des épopées dans un âge antédiluvien fantasmé par un Texan dépressif. A l’image, le réalisateur peut compter sur deux atouts de poids, à commencer par la photo de Duke Callaghan qui soigne ses clairs obscurs pour augmenter la dimension suggestive des décors, et surtout la partition enflammée du génial Basil Poledouris qui alimente le souffle épique de cette chronique, certainement le score le plus emblématique qu’il ait jamais composé. Faire fi de la mise en scène serait toutefois une injure pour celui qui, avant Peter Jackson et sans aucun effet numérique, avait su miser sur la puissance du cadre, propulsant ses personnages dans des décors naturels grandioses dénichés en Espagne et au Canada. En puisant dans une imagerie bigger than life, lorgnant autant sur les fresques grandiloquentes peintes par feu Frank Frazetta (auteur des couvertures des comics édités par Marvel) que sur les tableaux des peintres de la Renaissance germanique (Milius se réclame de Bosch mais Albrecht Altdorfer est en embuscade), il parvient à graver la « fury road » du fils de Crom dans le roc des grandes odyssées vengeresses, toujours à distance respectable des mièvres contes de fée, plus près de la ténébreuse saga des Nibelungen que de la courtoise chevalerie arthurienne.
Malgré son caractère composite tout fait sens en cette ère imaginaire mais dont certains motifs font parfois écho avec notre Histoire. Ainsi le fascinant personnage de Thulsa Doom (habité par James Earl Jones), dominant des légions d’êtres subjugués, capables de sacrifier leur vie en un claquement de doigt, évoque autant les délires psychédélico-sataniques de la « famille » Manson que les prêches haineux d’al-Baghdadi. A la dictature du roi-serpent sous la montagne succèdera bientôt celle d’un monarque d’une autre trempe, qui se défie de la mort elle-même (mais qui verra hélas se lever autour de lui des hordes de pâles épigones musculeux comme ces grotesques « Barbarians » de Deodato). Un éternel retour qui apporte du grain à moudre à un Milius galvanisé, qui semble vouloir à chaque prouesse de son « Conan » frapper un peu plus fort, porter le récit un peu plus loin (de la cimes enneigées jusqu’à la mer, des forêts épaisses aux cavernes sous la montagne), laissant loin derrière lui tous ceux (y compris Fleischer qu’il admirait tant) qui tentèrent par la suite d’égaler sa puissance visuelle.
Longtemps seul mètre étalon du film d’Heroïc Fantasy (rejoint depuis par la trilogie du « Seigneur des anneaux »), et malgré son statut culte, le film a ses détracteurs dont le principal reproche va vers l’incarnation musculeuse du culturiste Arnold Schwarzenegger qui marque effectivement davantage le film par son empreinte physique que par son jeu d’acteur. Filmé par Milius aussi amoureusement que l’aurait fait une Leni Riefenstahl aux pieds de ses « Dieux du Stade », cette représentation de l’Autrichien comme Übermensch conquérant viendra naturellement grossir le flot des contempteurs. Le réalisateur, pourtant pur produit du Nouvel Hollywood, collaborateur et ami proche de Coppola, Lucas et autre Spielberg, fut ainsi taxé d’avoir avec ce film défendu une imagerie crypto-fasciste, citant Nietzsche en exergue pour ne rien arranger. Ces chefs d’accusation, certes étayés, se heurtent néanmoins à la complexité morale du réalisateur.
S’il exalte, c’est certain, la puissance des armes (en bon militant de la NRA qu’il fut et sans doute qu’il est encore), Milius n’est pas pour autant un nostalgique du troisième Reich, bien au contraire. Il forge ses convictions dans un métal qui représente pour lui un moyen plus direct et efficace de se libérer des chaînes de l’esprit, faisant valoir la primauté de l’expression corporelle sur le verbe enjôleur (peu de dialogues, il préfère filmer des poses intimidantes prémices aux combats et s’attarder sur des regards éloquents). Il montre alors comment, après une tentative de récupération (James Earl Jones tente de refaire le coup du « je suis ton père ») il saura, avec l’appui d’un coureur des steppes et d’une Valkyrie de grands chemins, affranchir des légions de brebis soumises et galeuses, tels ces pseudo-hippies fleuris gavés d’ésotérisme bon marché. Evidemment, on devine qu’il y a derrière ce combat l’envie d’en finir avec les processions de cagoulards à flambeau, mais également avec ces rouges démons descendus du ciel (ou venus des lointaines steppes d’URSS, c’est selon) et qui cherchent à lui confisquer son héros. Quand bien même la charge initiale et spectaculaire du village peut prendre une forme douteuse, s’élançant sur de glorieuses « Carmina Burana » magnifiquement revisitées par Poledouris (à qui on fera un reproche similaire pour le score de « Starship troppers), « Conan » trouve sa puissance dans la brutale élégance des « Vikings » de Fleischer et la geste des « Sept Samouraïs ».
C’est ainsi qu’à ce jour, seul John Milius a su se montrer digne du personnage imaginé par Howard. Par la grâce de quelques séquences d’anthologie (l’attaque du village entre le feu et la glace, des combats d’arène plus enragés que ceux du « Gladiator », la roue de la douleur, la crucifixion sur l’arbre du malheur), il porte en germe les plus grands moments de bravoure du « 13ème guerrier » jusqu’aux « Game of Thrones ». Et si par hasard vous n’auriez encore jamais vu « Conan », ne vous fiez pas à tous ce qu’en disent ses détracteurs. A ceci vous devez vous fier.
Une épopée & des jours de grandes aventures 😉
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Bien d’accord avec toi. Et j’irai même jusqu’à dire que c’est un grand film dans son genre ce Conan, qui n’a nul besoin de défense sur un plan politique (à la limite, on s’en fiche un peu, ce n’est pas le sujet de ce pur film d’aventures et d’évasion qui adapte fort bien les petits récits de Howard). Musique fabuleuse, images splendides et très suggestives, interprétation adéquate, c’est une réussite totale dans le genre et à mon sens le meilleur film d’heroic fantasy jamais filmé. Quant au thème du surhomme et bien il concorde bien avec le personnage de Conan. Dommage que la suite (Conan le Destructeur) qui gomme toute la sauvagerie et le caractère primaire du premier film soit si mauvaise.
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Pourtant signée d’un des modèles de Milius, et par ailleurs un réalisateur chevronné.
« Conan le Barbare », revu aujourd’hui, prête toujours le flanc aux critiques de par une certaine emphase générée par sa mise en scène et l’accompagnement symphonique omniprésent (Howard Shore s’est quand même bien servi chez Poledouris pour « Lord of the Rings »). Il y a malgré tout dans sa manière de traiter le sujet une envie de retour au cinéma des origines (je pense notamment au Fritz Lang des « Nibelungen », où l’image devait dire plus que les dialogues. Pas un mot durant toute l’attaque du village en Cimmérie. Le dialogue des regards entre la mère de Conan et Doom flanqué de ses séides suffit largement. A ce moment de l’histoire, le sorcier est en quête du secret de l’acier, il vainc encore par l’épée. Et lorsqu’ils se retrouvent finalement face à face à la fin, la stratégie de domination est différente. Mais le dire de l’un est brisé par le geste de l’autre. Pour Milius, la parole est venimeuse, l’action est plus franche.
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Que de souvenirs… J’étais bien jeune quand je découvrais ce Scharzy tout en muscles pour une reconversion musclée du body-building au cinéma. Et ce premier épisode de Conan, le seul qui ait vraiment tenu la route (à mon sens, celui d’un gamin de … ans)…
Quelques années plus tard, je me retrouvais sous des presses et des barres d’haltères en pensant à ce grand homme, mais sans le même succès 😀
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La fière musculature aurait donc fondu sous la fourrure, cher Bison ?
Viens donc, et chevauchons ensemble aux quatre vents, frayons-nous un chemin par l’épée, et repaissons-nous de femmes lascives abandonnées par leurs amants peureux. Et pendant ce temps, Crom, sur sa montagne rira de nos futiles prouesses de vieillards. 🙂
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que j’aime les femmes lascives et abandonnées… Mon épée toujours dressée devant l’adversité 😀
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Très bel article. Il est inquiétant de voir que les détracteurs du film (qui n’y voient que les aventures d’un gros barbare sans subtilité) ont jeté le bébé avec l’eau du bain, et l’opprobre sur les romans de Howard, pourtant passionnants et riches (sans les avoir ouverts, la plupart du temps).
Et je ne parle même pas du remarquable Solomon Kane (le personnage, pas le film).
Nom de Crom !
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Et bien que de références !!!
Quand on regarde Conan sans toutes ces références et analyses subtiles on peut aussi y avoir un gros machin bien bourrin « plein de bruit et de fureur qui ne signifie RIEN ».
J’ai re- tenté l’expérience il y a peu… J’ai pas tenu un quart d’heure.
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Ah mais alors là je comprends totalement. Pris dans sa forme brute, c’est un gros morceau plein de testostérone qui se regarde jouer de l’épée.
Il faut juste essayer de sentir le souffle de l’épopée qui passe dans les cheveux du grand baraqué. 😉
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Ouais ben moi j’aime pas devoir faire des recherches dans un labo pour comprendre et aimer un film. Je suis une nature simple.
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Pas besoin de faire une analyse en profondeur, tout est dans le regard de Schwarzenegger. 😉
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Les personnes de notre génération, gamins dans les années 1980, en reviennent toujours à Conan, le seul, l’original et toujours balaise. Comme le dit chez nous mon camarade dans son article, et ce que je retrouve ici en commentaires, toutes les autres tentatives d’adapter de près ou de loin l’univers de Howard sont au mieux des séries B au comique bien balourd, au pire de vrais ratés qui se prennent beaucoup trop au sérieux, par exemple le dernier Conan signé Nispel en 2011, peut-être motivé par le retour de guerriers antiques et costauds vendus par lot de 300.
Et à propos de 300, en rapport avec ce que vous dîtes des détracteurs du Conan de Milius y voyant des relents de nazisme, que diront dans vingt ou trente ans les gamins des années 2000 qui ont adoré le film de Snyder ?
(Peut-être me rétorquerez-vous y a-t-il toutefois davantage de quoi dire sur les nauséeuses inspirations de ce dernier ?)
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Il y aurait en effet beaucoup à dire sur les « 300 » de Snyder, dont la personnalité n’a rien à envier à Milius ou à son inspirateur pour ce film, Frank Miller. Je réserve l’étude pour une autre chronique pour ce film qui m’apparaît pour le coup beaucoup plus discutable formellement.
En ce qui concerne Nispel, je n’ai pas eu le courage de m’atteler à sa version de « Conan ». Sa réputation calamiteuse n’aide pas il est vrai. Peut-être son hommage à Milius aura-t-il été plus réussi à travers son « Pathfinder » qui lui fait sérieusement de l’œil, pas totalement raté d’ailleurs de mon point de vue. Disons qu’il y a quelque chose du salut d’un surfer à un autre. 😉
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Pas souvent bonne presse avec le nom de Milius et la célèbre contrepéterie, ce Conan. Moi j’avais beaucoup aimé mais je ne l’a jamais revu.
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Eh oui, c’est pour cela que je n’hésite pas à mettre les thèmes du film face à leurs accusations. Je suis surpris de ne voir finalement que peu de contempteurs. Il faut croire que, le temps passant, le souvenir nostalgique des faits d’armes de l’âge Hyborien l’a emporté sur l’aura sulfureuse du metteur en scène.
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Rigolo car ton article arrive en même temps que le second article sur la saga Conan publié dans Mad Movies! 😀 Pas revu depuis quelques temps, mais quel sommet de fantasy. Schwarzy est une incarnation superbe de Conan, d’autant que sur ce film il devait faire ses cascades, ce qui rend ses actions plus authentiques. Puis la réalisation furieuse de John Milius et la musique monumentale de Basil Poledouris (heureux de l’avoir trouvé en CD celle là). Jamais osé voir Le destructeur et Kalidor tant ils ont une aura de films ultra décevants voire alimentaires. Par contre j’ai osé le remake. Que c’était pauvre visuellement et le mot est faible.
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C’est l’article qui m’a donné envie de le revoir.
« Kalidor » fait très Z aujourd’hui mais j’ai un attachement sentimental pour ce film qui ressemble davantage à de la Fantasy pure, tout comme « Le destructeur » d’ailleurs. Je pense que Fleischer à voulu revenir à l’esprit du fantastique qui était le sien dans « 20 000 lieues sous les mers ». Mais sans Kirk et sans le Technicolor, ça rend moins bien.
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Les grands esprits se rencontrent! 😂 Comme il est dit dans l’article, Fleischer a accepté sans rechigner puisqu’on lui donnait du boulot. En plus il cherchait encore à adapter Betty Boop à l’époque et ça pouvait peut être mener à ça.
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C’est sûr qu’à ce moment de sa carrière, Fleischer n’était pas encore le petit maître reconnu qu’il est aujourd’hui, tout juste perçu comme un faiseur en fin de carrière. Et pourtant, combien de films mémorables à son actifs, et dans tant de genres différents !
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Il a fallu les deux dernières décennies pour que Fleischer soit considéré comme un réalisateur injustement boudé. Pourtant ce ne sont pas les grands films qui manquent que ce soit 20000 lieues sous les mers ou L’étrangleur de Rillington Place.
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Merci de réhabiliter ce chef-d’œuvre de l’heroïc-fantasy (et même encore plus). John Milius est un génie de l’image et le souffle qu’il donne au film est tout simplement prodigieux. Schwarzy est extraordinaire dans le rôle de ce barbare musculeux. Il lui donne une âme qu’il n’aura peut-être jamais plus. Par Crom, j’adore !
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Nous sommes donc deux adeptes du culte de Crom 😉
Etonnant tout de même de voir comme aujourd’hui le film suscite une telle admiration alors qu’il fut très longtemps l’objet de nombreux quolibets.
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Par Crom ! Entièrement d’accord ! Vu la première fois durant mes premières années de collège, un soir où mes parents avaient invité des amis à diner, je m’étais réfugié dans une chambre sans rien dire, en toute discrétion pour découvrir CONAN lors d’une diffusion télé. J’ai pris une baffe cloutée ! Le lendemain, on ne parlait que de ça avec mes camarades de classe.
Oui comme tu le dis le film a ses détracteurs. D’ailleurs, de discrétion, Schwarzy en manque clairement. Il ne correspond pas tout à fait au Conan de papier. Ayant lu tous les livres écrits par Howard (que j’adore), je ne suis pas du tout outré par ces infidélités. Si un réalisateur a une vision, qu’il aille jusqu’au bout. Après tout c’est lui qui tient la caméra. CONAN LE DESTRUCTEUR se rapproche plus de l’ambiance des livres. Et résultat, le film est beaucoup moins bon. Donc… Parfois il faut accepter de laisser les livres aux écrivains, et les films aux réalisateurs.
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Sur l’adaptation, nous sommes complètement sur la même ligne. Effectivement, tout Fleischer fut-il, prestigieux réalisateur des « Vikings » avec le grand Kirk, on ne peut pas franchement parler de brillante séquelle avec « Conan le destructeur ». J’ai limite plus d’affection pour le très kitsch « Kalidor ».
Mais revenons à notre Cimmérien. Je crois que le choix de Schwarzy est très largement dû à l’influence sur Milius des illustrations de Frank Frazetta qui représentent un guerrier musculeux. Il y projette ensuite ses démons (celui des armes, de l’obscurantisme, des régimes totalitaires), ses orientations politiques. Milius a beau être de la génération du Nouvel Hollywood, il est plus proche d’un Schrader, d’un Eastwood, ou d’un Peckinpah que de Spielberg (dont il a produit « 1941 » malgré tout) ou Lucas. Voire d’Oliver Stone qui pourtant a écrit la première version du script !
Et puis il y a le score de Poledouris, immense ! Doté d’un sens de l’épique avec lequel il renouera pour « Starship troopers » (choix délicieusement cynique de la part de Verhoeven).
Bref, on n’a jamais fait mieux, juste tenté d’en gravir la montagne (no offense Peter Jackson).
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