Dandy cool
On l’imagine plutôt chevauchant sur les grandes plaines ou à flanc de canyon. Le chapeau vissé sur une chevelure transpirante, il remonterait la rue poussiéreuse d’une ville pionnière, le cliquetis de ses éperons se confondant avec celui du percuteur de son colt à l’entrée du saloon où l’attendent un verre de tord-boyau et quelques autochtones patibulaires accoudés au zinc. Mais ce ne sont que trois vieux schnock qui devisent en Japonais à l’arrivée du « Cowboy Bebop » dessiné et animé par Shin’ichiro Watanabe. Le réalisateur s’est emparé de tous les clichés du Far-West, vieux sage Indien et feux à volonté, pour mieux les propulser sur sa drôle de planète.
Difficile pour tout néophyte de trouver son chemin aux abords de cet univers déjà façonné par plus d’une vingtaine d’épisodes en mangas animés, une série qui fit fureur auprès des fanas du monde entier. Perdus au beau milieu du désert martien, des buildings ultra-modernes renvoient à une vision futuriste de la capitale nippone, une promenade dans des venelles interlopes nous ramène plutôt vers les bas-fonds de New-York (d’où l’on aperçoit une paire de tours qui se sont teintées depuis d’une ombre nostalgique) avant qu’un carrefour ne nous fasse pénétrer dans un souk marocain, et que se profile à l’horizon la promesse d’un finale épique et musclé sur une Tour Eiffel copie conforme ! Le ton est donné, ce manga animé ne reculera devant aucune excentricité, précédé d’une réputation dont le béotien est mis au parfum illico : un braquage dans une épicerie monté par un gang de pieds nickelés va bien vite tourner à la démonstration de force d’une équipe de chasseurs de primes conduite par le dénommé Spike Spiegel.
Dans la forêt touffue des long-métrages animés ayant voyagé, à l’aube du nouveau millénaire, d’extrême orient jusque sous nos latitudes, on tombe sur ce drôle de dandy à flingue, bounty hunter dégingandé qui trimballe sa tignasse ébouriffée à la Nikki Larson (né comme lui dans les studios Sunrise), sa silhouette filiforme et son costard sur mesure dans les mégapoles sous cloche de la planète rouge, à la poursuite de criminels en cavale ou de terroristes en goguette. Si le film ne livre que peu de détails sur sa gourmandise, sa paresse et ses fêlures, il semblerait néanmoins que le réalisateur se reconnaisse largement dans le personnage qui crève l’écran : « nous sommes tous les deux nonchalants mais lui est cool, il fume et se bat comme un dieu, j’aimerais beaucoup pouvoir faire tout ça » s’amuse-t-il dans les colonnes de Mad Movies.
Comme Albator avait son Atlantis, Actarus son Goldorak, ce Cowboy jazzy a son Bebop, à bord duquel Watanabe a fait monter une complice musicale nommée Yoko Kanno. Indispensable cheville ouvrière du métrage comme de la série originale, elle est chargée de donner, entre funk et Shifrin jazz, le ton qui sied à cet univers composite, un habillage musical important au point de puiser ses intitulés dans le vivier des standards (le film écopant du dylanien « Knockin’ on heaven’s door » en référence à un film de Sam Peckinpah dont Watanabe est fan absolu). Telle son comparse réalisateur, Kanno se découvre trouve un double transposé à l’écran, sous la forme d’une étonnante petite fille androgyne totalement perchée, aussi habile à hacker les meilleurs systèmes de défense qu’à improviser des chorégraphies improbables sous le regard blasé de ses compagnons de bord. La touche loufoque et fraîche apportée par Ed (pour Edward, prénom pas commun pour une fille il faut l’avouer), vient contrebalancer celle du costaud barbu Jet Black, ex-flic de choc qui apporte la caution un peu sérieuse et consciencieuse de cet équipage totalement brindezingue. Une fois complété par une bimbo coulée dans le moule de Lara Croft et un clébard imbattable au shogi (nouvel exemple édifiant de l’amour canin des cinéastes japonais), il n’est dès lors plus question de prendre la moindre parcelle de ce film pour autre chose qu’un grand divertissement aussi amusant qu’agité (du bocal), emballé dans une animation qui ne fait pas son âge et qui n’a rien à envier aux meilleures productions live du genre.
Même nourri de tout ce qui se fait de plus classique dans la littérature du genre (Asimov, Dick, ou Simmons éparpillés aux quatre coins du scénario), inutile de chercher un véritable sens, ni un quelconque message adressé aux générations tournées vers l’avenir. La menace d’un péril bio-technologique et la présence de l’énigmatique et ténébreux long manteau du méchant (Gene ?) Vincent sont là aussi pour nous rappeler que l’affaire des Répliquants de « Blade Runner » a marqué toute une génération, à l’instar du phénomène « Matrix » qui vient de débouler sur les écrans du monde entier (le réalisateur ne tardera pas d’ailleurs à être recruté par les Wachowski pour mettre en boîte deux épisodes de leurs « Animatrix »). Mais pour Watanabe, il n’est pas question néanmoins d’aller chercher midi à quatorze heures dans un quelconque précis de philosophie pour les nuls, il est clair qu’il préfère naviguer à bonne distance de la SF méta de monsieur Oshii ainsi que des contes animistes tous publics des maîtres de la maison Ghibli. D’obédience walshienne par son goût de l’action (accommodée à la sauce Tarantino), Watanabe nous fait même partager son amour des classiques à travers une courte citation crayonnée de « High Noon » !
Il est à parier que ce drôle de long-métrage (coincé entre les épisodes 22 et 23 de sa série originale) aura droit sous peu à sa transposition en os et en chair numérique (il se murmure que la Fox est sur le coup), dans la foulée de l’évanescent « Ghost in the shell » de Rupert Sanders. Reste à espérer que ce Bebop nippon balance un peu mieux que ce-dernier dans sa version yankee.
Un opus pas forcément nécessaire mais indéniablement sympathique. Watanabe profite de plus de moyens et des progrès pour faire un film plus beau visuellement et où il a plus de temps pour montrer l’action. Par contre, pour le projet Fox c’est définitivement mort. Keanu Reeves n’est plus dessus depuis très longtemps, le projet n’a jamais avancé, ça en reste là.
J’aimeJ’aime
Je viens de commencer la série que je trouve vraiment bien fichue visuellement, assez déjantée dans cet univers hétéroclite mais qui se tient.
Vu la veste qu’est en train de se prendre Scarlett, ça m’étonnerait qu’un studio reprenne le projet de sitôt en effet. C’est peut-être mieux ainsi.
J’aimeJ’aime
Ah il était temps! Netflix ou vidéo ou autres? C’est une série qui a su évoquer différents genres (action, polar, fantastique, sf) avec une dextérité folle. On voit également que la réalisation de Watanabe y est pour beaucoup dans le processus créatif.
Puis surtout pour quoi faire? A y regarder de près, Les gardiens de la galaxie sont sur le même type de terrain et c’est déjà une des raisons pour laquelle le projet d’adaptation de Cobra n’a pu se faire. Je vois mal comment Cowboy bebop pourrait être adapté en live action dans ces conditions.
J’aimeJ’aime
Netflix. Je n’en suis qu’au tout début pour le moment. En plus, les épisodes sont expédiés en une petite demie heure, c’est pratique. Bardés de références, on sent que le réal est à chaque fois obligé de se contenir pour faire tenir une histoire par épisode. C’est sûr qu’avec le film, il a pu laisser éclater tout son talent. Les scènes d’action, comme tu le dis, sont assez prodigieuses, surtout pour une série qui approche les 20 piges !
J’aimeJ’aime
Comme quoi Netflix sert bien à quelque chose (n’en déplaise à certains qui le voient comme le diable depuis jeudi dernier). 😉 Tu en es à quel épisode exactement?
Puis il y a une vraie dramaturgie en devenir rien qu’avec les personnages de Spike et Faye. Ce dernier est d’ailleurs le plus touchant du groupe. Sous ses airs de bombe sexuelle, c’est avant tout une personnalité fragile et en soi tragique.
J’aimeJ’aime
Oh je n’en suis qu’au tout début. Je n’ai vu que deux épisodes. Le premier très marqué Desperado, le deuxième plus Casino, avec l’introduction de Faye Valentine.
J’aimeJ’aime
Tu vas bien te marrer alors si tu n’es qu’au début. Notamment avec Toys in the attic, tu penseras à un film bien particulier. See you space cowboy… 😉
J’aimeAimé par 1 personne
On dit un finalE ?
Ça m’a effectivement l’air d’être pour les mordus du genre… Pas très tentant. Et jamais entendu parler. Et Netflix, je ne fréquente pas.
Il ressemble aussi un peu à Corto Maltese ton maigrichon en costard non ?
J’aimeJ’aime
Eh oui, madame dico, on dit un finalE.
Corto ? De loin, de dos, et aperçu sans lunettes alors. Ils n’ont pas vraiment le même coiffeur.
J’aimeJ’aime