Un FRANÇAIS

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« Les enfants qui jouent avec des allumettes ne provoquent pas toujours des incendies. Cependant, par prudence, on ne laisse pas les enfants jouer avec des allumettes. Encore moins avec des armes nucléaires. Mais on ne laisse pas, non plus, quatre millions d’électeurs jouer avec le Front National. »

Guy Konopnicki, Les Filières Noires, 1996.

Il y a des films inoffensifs. Il en sort chaque mercredi, qui nous endorment ou nous réjouissent. Des films à base de voyages intergalactiques, d’animaux qui parlent, avec des héros invincibles qui nous sauvent in extremis de la menace, qui sortent de l’ordinaire et nous emportent à des parsecs de nos tracas quotidiens. Et puis il y en a d’autres qui peuvent faire peur. Et ce ne sont pas nécessairement ces films d’épouvante qui secouent nos balises rationnelles, mais d’autres qui donnent à voir ce qui se joue sur le parking à la sortie, en bas de l’immeuble et peut-être dans la rue demain, ce qui se trame à l’arrière des manifs. Avec la délicatesse d’un parpaing qui tombe du toit, le polyvalent Diastème s’est fendu il y a peu d’un film coup de poing, d’un film qui engage et qui nous parle puisqu’il parle d’« un Français ».

Ce « Français » que Diastème choisit de filmer, n’a peut-être pas le visage de tous ceux qui vont faire le choix de l’Extrême dans les urnes, mais il en est une composante indubitable, un concentré de haine et de hargne poussé à son paroxysme. Pour le spectateur qui prend sa vie en cours, ça ressemble à une course-poursuite, une chasse aux « Touche pas à mon Pote » quelque part dans les années 80 (du vécu pour le réalisateur qui raconte s’être autrefois fait courser de cette manière du côté de Nanterre). Et déjà, on le sent essoufflé, bientôt à bout de haine. A travers lui, Diastème ambitionne de filmer un réveil de conscience, celle de son personnage principal Marco, un skinhead bien pur et bien dur comme il en rôde encore dans les franges les plus blondes de l’Extrême Droite.

Des cheveux, au début du film, Alban Lenoir n’en a plus un sur le caillou, tous passés sous les lames de la tondeuse pour que son Marco n’offre sur lui aucune prise. L’acteur porte bombers et Doc Martens, le hachoir à portée de main, « les nerfs à vif » et les symboles de haine tatoués dans le dos comme De Niro. Il est pris dans le courant d’un mouvement emmené par un jeune chien de race dressé pour montrer les crocs et mordre tous ceux qui ont la peau un peu trop bronzée au regard de sa préférence nationale. Ces bas du front, Diastème les poursuit caméra à l’épaule, de pogos en bastons, dans de longs plans-séquences caméra à l’épaule qui prennent des allures documentaires. A tous ou presque, il a trouvé de curieux noms de guerre, sobriquets aussi ridicules que puérils comme Grand-Guy, Kiki ou le petit führer Braguette interprété par Samuel Jouy (une tête de l’emploi revue récemment dans la série « Zone Blanche ») qui, ironiquement sans doute, sera touché en plein dans la zone sensible.

Pour ces gamins exaltés de la « France aux Français », ça commence forcément par le collage sauvage des affiches du borgne de Saint-Cloud, par une conquête à grands coups de batte de base-ball aux dépens de leurs semblables à la « peau rouge » et des punks à crête avec ou sans chien, au risque de se prendre une décharge de chevrotine en plein dans les parties (Le Pen…is) ou encore pire, au milieu du front. A vivre ainsi dangereusement, la guerre des rues ne peut avoir qu’un temps, et ces jeunes cons vont devenir vieux. Diastème ne compte pas les réduire à ces « erreurs de jeunesse », il entend bien les observer dans la durée (sur près de trente ans), accompagnant leur mutation au rythme de la repousse capillaire, retraçant leur évolution dans l’une ou l’autre direction.

Pour Marc Lopez, la ligne de vie sera courbe, ramenant le petit prolo des barres HLM, de père alcoolique et de mère démissionnaire, vers des chemins plus apaisés. Bien sûr, le portrait de famille choisi par Diastème se fracasse sur le mur des clichés, reste accroché à la surface. Il ne dit rien de l’enfance de Marc, de ses origines, du parcours qui l’a conduit à se raser la tête. Au contraire, il s’attarde sur les jalons qui vont infléchir sa course nihiliste, sur des rencontres cruciales (un pharmacien qui le prend sous son aile) et des évènements déclencheurs (l’annonce à la télé de la mort de Brahim Bourram jeté dans la Seine par des Skins et d’un jeune Comorien tué par des colleurs d’affiches du F.N., la victoire des bleus en 98 et un détour imprévu par une association caritative).

S’il n’envisage pas nécessairement une issue heureuse à son personnage de prédilection (son éloignement des extrêmes s’accompagne naturellement d’une douloureuse rupture familiale), Diastème réserve un sort bien peu enviable à ceux qui se sont enfoncés dans l’erreur. De ceux qui se sont évertués à serrer à droite, si les slogans identitaires hargneux restent inchangés, les costumes et décors ont pris des plis plus respectables (des fortunés en fin de race auront tôt fait de rhabiller ces soudards d’un habit plus présentable). « Je n’ai pas la prétention de révéler quoi que ce soit. » précise le réalisateur. « Je raconte une histoire, inspirée de faits réels, que je trouve édifiante, qui aide à mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui. (…) Et je rappelle au passage ce que la presse semble occulter : le Front National est un parti qui a du sang sur les mains. Les présentateurs télé l’oublient, moi, je m’en souviens. Ce parti a été créé par des Nazis français, on ne peut pas le traiter comme les autres partis, on ne peut pas occulter cette dimension historique. Aujourd’hui encore, nombre de collaborateurs de Marine Le Pen sont des anciens du GUD. »

Bercé d’optimisme au vu de l’évolution de son personnage, Diastème entend malgré tout à frapper les consciences, donnant à voir un des visages d’un mouvement qui cherche aujourd’hui à séduire le plus grand nombre. Sans vouloir à tout crin imprimer une page d’agit-prop, il signe un film certes « inoffensif », mais qui ne doit pas nous faire oublier tous ces gens qui le sont nettement moins.

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13 réflexions sur “Un FRANÇAIS

  1. Et si,… on laisse 4 millions d’électeurs jouer avec le FN…

    C’est quoi des parsecs ?

    Comment un skinhead peut être bien pur ?

    On l’a vue à l’oeuvre ce soir la madonne… Elle n’est que bêtise hz89ne et agressivité. Ses moments de gloire concernent l’écu… et la sortie de l’euro de l’Angleterre… qui n’y a jamais été.
    Je ne parle pas de la schlag…

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  2. Ah, le parsec… Le parsec est une unité de mesure de distance utilisée en astronomie correspondant environ à 3,2 années-lumière, ce qui, admettons-le, n’est pas la porte à côté.

    Je t’avouerais que je ne me suis pas fadé le débat d’hier car je n’ai plus besoin d’être convaincu. De ce que j’en entends ce matin, je crois que j’ai bien fait. Je me suis contenté de regarder un documentaire sur la « charmante » division « Das Reich », car j’ai toujours préféré regarder en face l’original plutôt que la copie 😉

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  3. J’essaierai de replacer parsecs dans mes dîners en ville… mais je vais avoir des difficultés… Je ne sors jamais en ville.

    Je n’imaginais jamais regarder la totalité mais ça a passé comme un éclair. C’était fascinant de la voir perdue dans ses volumineux dossiers, de vociférer, de commettre ses erreurs et confusions… de bafouiller entre l’euro l’écu et le franc, de « promettre » un référendum tous les 3 mois… notre carte d’électeur va chauffer.
    Ça m’était mal à l’aise mais c’était incroyable. Elle, agitée, méprisante, injurieuse, toujours à la limite de la diffamation, lui, calme et consterné.

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    • Sur le fond en effet, certains personnages rappellent la trajectoire de certaines têtes encore à la manœuvre, dans le sillage du mouvement. Sur le point de bascule du personnage, le film reste tout de même très énigmatique. Qu’est-ce qui fait qu’un beau jour il ne peut plus ? Le film ne répond pas, sinon à travers cette scène très forte dans le bus, cette suffocation soudaine qui fait l’effet d’une tempête sous un crâne.

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  4. Un film polémique qui ne plaira pas à tout le monde (je renvoie à la réaction de Vince sur mon blog). Je trouve personnellement que ce film est important et surtout que ce qu’il montre est finalement très représentatif d’une certaine France. On l’a d’ailleurs vu durant l’horrible campagne présidentielle que nous avons honnêtement subi. Le Riche utilise le Pauvre comme pion quand ça l’arrange, y compris en l’endoctrinement avec des valeurs de la pire espèce. Ce qu’il y a d’intéressant également est de voir un personnage qui réussit à se sortir de cette endoctrinement et qui perd tout. Alban Lenoir comme la plupart des acteurs du film sont d’ailleurs excellents.

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    • Il me semblait bien que tu avais chroniqué le film sur ton blog. J’ai essayé de le retrouver par le moteur de recherche mais je n’ai rien obtenu.
      « Le riche qui utilise le pauvre », c’est exactement ça, une fois encore démontré lors de la dernière campagne, tout comme cette volonté de lisser l’image. Un film porté par un très bon acteur en effet, qui change même de visage entre le début et la fin. Un film qui montre une évolution positive malgré tout.

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  5. Elle est ici. 😉
    http://nicoc.canalblog.com/archives/2015/09/10/32605476.html
    L’image peut toujours être lissée, il y a des choses qui ne changent pas. Le discours est toujours le même (valable pour d’autres aussi dans d’autres circonstances). « combattre la France du fric » probablement la plus grosse vanne de cette campagne présidentielle. Quand on voit les origines de certains, il vaut mieux rire un bon coup et ce film le montre très bien.

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