Tu ne Tueras point

Sauve qui peut !

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Comme sorti du merveilleux « Silence » scorsesien, Andrew Garfield n’en finit plus d’interroger le ciel nippon, mais dans le bruit et la fureur de Celui qui lui intime « Tu ne tueras point », il s’égare. Par ce nouveau film plongeant sous le feu de la Guerre du Pacifique, le très pieux Mel Gibson n’entend pas nous rejouer le complet décalogue, mais une transposition de sa « Passion du Christ » pleine de compassion et d’hémoglobine.

Son martyr de prédilection est cette foi(s) un « adventiste du septième jour », un héros de guerre du nom de Desmond Doss, un sauveur de vie plus brave que tous les autres puisqu’il mit à l’abri un bon nombre de ses camarades au péril de sa vie sans jamais avoir eu à se servir d’un fusil. Le cas très particulier de ce « combat medic » objecteur de conscience tapa d’ailleurs il y a fort longtemps dans l’œil d’un autre multi-médaillé de la Seconde Guerre, l’acteur Audie Murphy. Faute de voir le projet se concrétiser, il se replia sur ses propres faits d’armes dont un tâcheron d’Hollywood tira un petit nanar intitulé « To Hell and Back ». Est-ce ce modèle qui inspira Mel Gibson pour donner forme à son film-hommage ? Le résultat semble hélas s’en rapprocher.

Il faut dire que l’Australien n’a jusqu’ici jamais vraiment fait preuve d’une grande subtilité, partisan d’un dolorisme frontal si exubérant qu’il confine à la débauche. Des corps à corps médiévaux de « Braveheart » (qu’il recycle ici avec force travellings sous une pluie de gros calibres venus de la mer) aux sacrifices humains d’« Apocalypto », les occasions ne manquent pas de démontrer, quels que soient l’époque ou le continent, à quel point l’être humain a su se montrer imaginatif pour massacrer son prochain. Sur ce point, Gibson va enfoncer un peu plus le clou dans la main du Christ rédempteur, au cas où le spectateur se ferait encore des illusions.

Mais avant de procéder à l’étalage en règle des meilleures pièces du boucher, un détour par la petite maison dans la prairie s’impose, histoire de montrer combien il fait bon vivre dans la « Home of the Brave ». Le panorama grandiose des Blue Ridge Mountains s’étalant à perte de vue sous les yeux du jeune Desmond qui bat la campagne avec son grand frère évoque immédiatement celui du Tennessee embrassé par le « Sergent York » dans le classique d’Howard Hawks. Le scénario évoque directement cette autre gloire de l’armée américaine à travers le père de Desmond Doss, vétéran de la Grande Guerre. Il en reprend même la structure tripartite (la vie civile – la formation militaire – le front), s’appuyant sur les similarités évidentes dans l’histoire extraordinaire de ces deux médaillés pourtant aussi pacifistes et religieux l’un que l’autre. Gibson va même jusqu’à demander à Andrew Garfield d’adopter le même sourire de ravi de la crèche qu’arborait Gary Cooper dans le film de Hawks, la marque d’une niaise insouciance placée sous protection divine.

N’écoutant que les cris de sa Patrie qui l’appelle à l’aide au loin, Desmond abandonne donc sa Virginie natale et sa Dorothy maritale (Teresa Palmer a pourtant un bien joli sourire) pour gagner Fort Jackson et suivre sa prépa militaire. Là, il se fera plein de copains de chambrée en tous genres : un beau gosse agressif qui finira par le prendre en affection, un lointain cousin de la famille Adams, un culturiste naturiste qui aurait fait un bon Village People (qui se montrera bien chochotte une fois au contact de l’ennemi, mais il paraît que Mel Gibson n’est pas homophobe), plus une palanquée d’autres qu’on oublie rapidement. « My rifle is my best friend. It is my life » chantent-ils tous en chœur sous les fenêtres de Vince Vaughn (parfaitement ridicule en instructeur) et de Sam Worthington (dans une mauvaise imitation de Schwarzenegger) tandis que le pauvre Desmond s’ingénie à bouder sa fiancée de calibre 30. York tirait comme personne sur les uniformes, Desmond Doss préfère les tirer d’affaire, et c’est de cette manière qu’il va porter sa croix (rouge) sur le plateau de Hacksaw Ridge.

C’est alors que Gibson se souvient de « Gallipoli », bataille épique dans les Dardanelles dont Peter Weir tira un très beau film en sa compagnie. Il y pense tellement fort en filmant la falaise maudite qu’il prête le flanc à une comparaison qui ne va pas jouer en sa faveur. Passé la mièvrerie de la première partie, on garde néanmoins l’espoir d’une épiphanie sanglante, ayant confiance en mad Mel pour ne pas faire dans la dentelle, mais plutôt dans l’explosion des chairs et l’éparpillement façon puzzle, quitte à aller piétiner le corps moribond du cinéma Bis. On voudrait croire qu’il y a un peu de Fulci revenu de « l’au-delà » dans sa vision infernale du champ de bataille, avec ses cratères fumants et ses corps dévorés par les rats et son Adventiste en marche perdue. Las, malgré toute la virtuosité d’une caméra qu’il jette littéralement dans la bataille, sa charge soldatesque est filmée avec la délicatesse d’un chien dans un jeu de quille. De ralentis pompeux sur fond de musique pompière, match aller, comme match retour, les combats tournent au grotesque au point d’en devenir comiques !

Du Bis au Z, il n’y a qu’une ligne rouge que franchit le triste Gibson en traitant son sujet comme un « Starship troopers » sans le moindre recul ironique, comme un Tarantino hors-sujet. Il enchaîne des scènes d’une naïveté confondante (ces deux plantons qui ne voient pas les corps de leurs camarades blessés qui descendent la falaise dans leur dos, un gag involontaire digne de « la 7ème Compagnie »), se veut aérien comme John Woo avec ces corps qui voltigent comme emportés dans un ballet plein d’allégresse (Dieu, que la guerre est jolie !), et de se rire des grenades en la jouant comme Beckham ! Certains pourront toujours gratter derrière ce spectacle dégoulinant pour se satisfaire de l’hommage rendu, mais quant à nous faire gober qu’il s’agit là du reflet « réaliste » d’une histoire vraie, il n’y a vraiment que la foi qui sauve.

« Tu ne tueras point » est sorti en DVD et Blu-ray depuis le 9 mars 2017 chez Métropolitan Filmexport.

Le film est à retrouver parmi les films de guerre sortis en 2017 sur le site de Cinétrafic à l’adresse suivante : http://www.cinetrafic.fr/film-d-action

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25 réflexions sur “Tu ne Tueras point

  1. Une merveille. Du film de guerre sauvage, brutal mais pas dénué d’émotions. Gibson se casse parfois la gueule dans l’idolation de son héros mais dans l’ensemble il s’en sort bien.

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      • Justement je ne le vois absolument pas comme une série Z comme a fait le rapprochement Mad Movies à sa sortie en parlant des films bis ritals. Je vois vraiment ce film comme le meilleur film de guerre us depuis au moins Il faut sauver le soldat Ryan, dont Hacksaw ridge atomise encore plus sa scène d’ouverture.

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        • ça c’est sûr, pour atomiser, il atomise, s’il avait pu en éventrer encore quelques autres, je crois qu’il aurait pu faire concurrence au dernier « Evil Dead » (autre grosse partie de rigolade). Il écrabouille même de ses gros effets de caméras et de ralentis bien lourds tout espèce d’identification. Moi je préfère les films bis quand ils ont moins de pognon à dépenser.

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          • Sauf que dans le dernier Evil Dead, cela n’en fait jamais un bon film. Là où ici cela sert à montrer que la guerre est sale et ne fait aucun cadeau des deux côtés. La guerre ce n’est jamais gagner au final, c’est surtout compter le nombre de morts sur un champ de bataille…

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            • J’aime bien ton interprétation du fait guerrier à travers le décompte des hommes à terre. Il aurait été judicieux que le scénario approfondissent l’idée au lieu d’en faire un titre de gloire pour un seul. Ici la séquence de sauvetage vire au grotesque. Le coup du « traîneau-mitrailleur », ça m’a achevé. Je l’ai vu venir et en moi-même je me disais « non, il ne va pas oser ». Ben si.

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  2. Quand je vais voir un film du réalisateur Gibson, je sais à quoi m’attendre. Du sang, du sang et des giclées de sang. L’homme a la foi. L’homme est barbare. Entre les deux, aucune demi-mesure. Le film, je ne l’ai pas vu si mauvais que ça… Je me suis interrogé par contre sur la présence d’Andrew Garfield. Je n’arrive pas à savoir si son air benêt le sert ou le dessert sur un tel film.

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    • C’est sûr que Gibson n’a pas l’habitude de donner dans la subtilité. C’est peu dire qu’ici il l’illustre bien, mais un certain lyrisme ou un sens de l’épique permettent de transcender ses travers. Il se montre ici enferré dans son discours hagiographique, pas mécontent d’avoir déniché un candidat idéal pour déployer tout son attirail bondieusard.
      Le fait que Garfield joue les benêts n’est pas un problème en soi, Cooper jouait sur le même registre dans le film de Hawks et le résultat confine au chef d’œuvre. C’est juste qu’ici la mise en scène est d’une naïveté effroyable, jusque dans les scènes gores qui finissent par perdre de leur impact.

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  3. Un film effectivement bien trop formaté, piochant mal mais allègrement dans tout un tas de références (films et aussi séries, avec les excellents Band of Brothers et The Pacific) où les bons comme les mauvais sentiments de son réalisateur transpirent à chaque image de façon bien lourdaude, pour un résultat plutôt ridicule (ah cette redescente des corps le long de la falaise qui semble faire plusieurs centaines de kilomètres de haut). Une série Z comme tu le dis, sauf qu’une série Z, c’est drôle…

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    • J’avoue avoir regardé la première partie à demi affligé par les roucoulades des tourtereaux et les simagrée de l’objecteur en me disant que j’allais me rattraper sur le champ de bataille.
      J’avoue que je n’ai pu réprimer quelques sourires, j’ai même pouffé face à certaines situations. Moins drôle c’est vrai qu’on bon gros Z décomplexé mais le ridicule involontaire de la mise en scène de Gibson a des vertus comiques insoupçonnées.

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    • Ah quand même ! Tu es sans doute plus conciliante que moi sur les défauts du film. Moi, j’ai beau le tourner dans tous les sens, je ne vois pas ce qui peut être sauvé. D’habitude, je suis plutôt indulgent, même avec les nanars, mais là ça dépasse la limite acceptable.

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  4. Donc tu as reçu gratuitement la chose des mains de Cinétrafic 🙂
    Moi je n’ose pas faire de critique négative quand je reçois un DVD. Quelle chochotte je fais !
    Je pense en relisant ma note sur le sujet que j’ai plus été impressionnée par l’exploit réel que par le film lui-même. La partie « petite maison dans la prairie » est à vomir. La fiancée malgré son joli sourire est une abrutie. Andrew Garfield est un acteur catastrophique à l’air complètement idiot (et je ne parle pas de son brushing !).
    Mais la scène de sauvetage m’a fait forte impression.

    Et puis j’ai revu récemment le Dôme du Tonnerre et je l’avoue, j’aime Mel Gibson.

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    • Une chose où je rejoins ton avis pour le perso principal, c’est la tête de « benêt » qui m’a surprise et donné l’impression au départ que c’était lui qui avait pris le coup de brique … Mais ça a aussi joué sur le côté attachant que j’ai ressenti pour le personnage.
      Dans ton début d’article tu fais la référence à « Silence » que j’ai vu avant aussi … mais je n’ai pas du tout le même regard sur la performance de l’acteur … bien sûr ces choses là c’est un ressenti personnel, mais dans Tu ne tueras point il y a quelque chose, alors que pour l’autre je n’ai « rien » ressenti en le regardant, j’avais même le sentiment d’un problème d’âge pour le personnage joué.

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      • Je fais référence à « Silence » non seulement à cause de l’acteur qui partage les deux affiches, mais aussi pour le questionnement de la foi. Dans l’un, il est question d’une remise en question, dans l’autre d’une obéissance aveugle magnifiée par un réalisateur exalté. Je peux comprendre qu’on soit resté étranger au discours conduit par Scorsese, qu’on puisse être gêné par l’aspect sentencieux du monologue intérieur. Ici, l’approche est bien différente, aux franges du cinéma bis (les scènes de guerre outrancières) voire du ridicule en ce qui me concerne (ce que j’ai ressenti devant certaines scènes de guerre, ce sont des éclats de rire). Mais encore une fois, à chacun sa lecture.

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        • Ah mais pour Silence j’ai beaucoup aimé le film dans sa globalité, que j’ai même apprécié avec du recul au fur et à mesure des heures le jour même, et des jours après. Mais c’est le choix d’acteur pour Andrew Garfield que j’ai mal compris dans le film de Scorsese (alors que globalement je l’aime bien cet acteur) … je ne saurais comment l’expliquer plus, mais je ne l’ai pas trouvé proche du rôle qu’il tenait.
          Après pour le film de Gibson, j’avoue que mon article, très « émotionnel » gomme les éléments plus négatifs que j’aurais pu ressentir … j’ai souri aussi devant certains moments que j’ai trouvé exagéré, mais peut-être que je me suis fait avoir par l’enrobage du truc … je trouve une beauté particulière au film qui me fait ensuite aimer l’histoire, les personnages … J’ai été prise dans l’histoire donc ça a fonctionné sur moi.
          J’irais relire ton article sur Silence du coup !

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