Vampire, vous avez dit vampire ?
Un cavalier surgit hors de la nuit, mais celui qui court vers d’inquiétantes aventures n’est pas le rusé Zorro. Pourtant vêtu de noir comme l’ibère renard, et comme lui Californien de souche, il signe son nom à la pointe de ses canines, dans le cou de ses jeunes et belles victimes. Edward Dein (et sa femme Mildred comme nocturne complice à l’écriture) s’autorise toutes les audaces « Dans les griffes du vampire » en injectant une dose de gothique fantastique dans un contexte de western aux motifs tout ce qu’il y a de plus classiques.
Son film se positionne à la croisée des pistes, dans une de ces petites bourgades de studio, avec ses maisons de style colonial, son église plantée au centre d’un village étrangement dépeuplé. Une musique lugubre accueille le passage d’un corbillard, des couronnes mortuaires ornent les portes d’entrée tandis que les pierres tombales se dressent crânement à l’orée du vieux cimetière : les signes ne trompent pas quant à la nature du mystère qui plane sur cet Ouest qui va passer plus d’une nuit en enfer. La mort a frappé en série dans les foyers, et dans l’indispensable saloon où le whisky coule toujours à flot, ils sont peu nombreux à trinquer à l’avenir. Le décor semble appartenir à cette vieille mode qui fit la gloire de monstres qui n’en finissent plus de se rendre la politesse, tous ces petits films sans le sou censés gratter les dernières poignées de dollars de franchises exsangues.
Au crépuscule des fifties, alors que le petit écran fait salon et que la concurrence anglaise a injecté de l’écarlate dans l’œil du plus célèbre vampire transylvanien, il faut trouver de nouvelles recettes bon marché pour déplacer le public vers les salles obscures. Puisque les sempiternels règlements de compte à OK Corral ne raflent plus la mise, alors il faut aller chercher au-delà des frontières du genre un étranger qui pourrait ressusciter la flamme d’un western qui n’est plus de première fraîcheur. L’idée de miser sur le fantastique peut sembler de prime abord incongrue, mais elle a le mérite d’aiguiser néanmoins la curiosité, faisant de ce Drake Robey, étrange croisement entre le Dracula lugosien et le cruel cavalier noir de « Shane », un antagoniste inédit. Lorsqu’on aperçoit à la lueur de la pleine lune le faciès buriné de Michael Pate (plus souvent abonné aux rôles d’indiens pas mieux intentionnés), on devine d’emblée ses intentions peu recommandables.
Il est nonobstant, de par nature, le personnage le plus fascinant de cette pauvre intrigue aux sentiers rebattus, celui qui s’invite par la porte d’entrée avant de se barrer fissa par la fenêtre du premier. S’il présente les symptômes habituels rencontrés chez ses congénères d’outre-tombe (un certain attrait pour le confort funéraire et une allergie aux bondieuseries d’origine contrôlée), il est toutefois un spécimen de vampire atypique par certains côtés puisque le scénario lui arroge le droit de marcher en plein jour et sans lunettes de soleil, un privilège que tous ses homologues centreuropéens lui envient certainement (au point de vouloir tout faire pour l’imiter dans un cross-over plus récent signé John Carpenter). De noir vêtu comme lui, le pasteur confié à Eric Fleming (bientôt compagnon de selle d’un certain Clint prometteur dans la série « Rawhide ») affiche quant à lui une bonne mine angélique qui se porte sans tarder au chevet de ravissantes victimes qui ont la fâcheuse manie de dormir la fenêtre ouverte même hors période de canicule.
Au pays des cow-boys, on n’est pas frileux, et la vie est si rude qu’on ne se lamente pas trop longtemps sur la mort soudaine et prématurée d’un membre de la famille. Ainsi la pauvre mademoiselle Carter hérite-t-elle en quelques minutes du ranch familial, une fois son père expédié ad patres et son frère liquidé itou sans qu’elle ne s’en émeuve plus que ça, rapidement consolée il est vrai par la foi de l’homme d’église. Dans cette « curse of the undead », le vampire fait son beurre d’une de ces vieilles querelles foncières comme on en trouve dans une foultitude de westerns. Un shérif seul contre tous tente bien de jouer les arbitres mais c’est peine perdue, ce qui laisse le champ libre au ténébreux étranger pour se fondre dans l’ombre de la belle orpheline, fraîche héritière d’un domaine qui lui est familier. La soif de vengeance oblitère les réflexes de méfiance, et la blonde Kathleen Crowley aura beau jouer les patronnes autoritaires au grand dam du pasteur séducteur, elle n’a ni le charme magnétique de Marlene Dietrich dans « rancho notorious », ni la poigne de Barbara Stanwick dirigeant les « 40 tueurs » du grand Sam Fuller.
Plus regrettable encore est l’absence totale de rythme dans ce film monté à la diable, mis en boîte en une vingtaine de jours, et dont les ellipses forment des gouffres si béants qu’on peine à trouver un semblant de cohérence à toute cette histoire farfelue. Produite au sein de la Universal, maison qui dressa des autels à la gloire des quatre atouts du « tarot fantastique » (selon la formule de Stephen King), « Dans les griffes du vampire » fera néanmoins des petits (on assistera bien à des matchs au sommet entre « Billy the Kid contre Dracula » ou « Jesse James meets Frankenstein’s daughter », tout un programme) tentant de sucer la veine jusqu’à la dernière goutte. Faute de qualités visuelles ou scénaristiques, cette série B vampirique low-cost aura néanmoins eu le mérite d’être pionnière en son genre, ouvrant des pistes à d’autres cinéastes autrement plus doués pour revigorer ce bon vieux western depuis longtemps moribond.
Mystère de l’ouest, vampire poussiéreux sous soleil de plomb (bien avant Carpenter !), s’agit-ils lors d’un western… crépusculaire ? Quoiqu’il en soit il me faut le voir !
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Ça me fascine l’énergie et le temps que tu passes à décortiquer un film qui manifestement est indigeste. Pour mon plus grand plaisir cela dit. Et tu t’es en plus très appliqué puisqu’aucune coquille ne m’a sauté à la jugulaire.
C’est vrai qu’il n’a pas l’air d’avoir inventé la marche arrière ton cowboy vampire.
Et la photo du duel est à se tordre. Effectivement ça semble cheap cette affaire. D’ici on croirait qu’ils sont sur du goudron..
En tout cas je m’instruis : le soleil californien ne crâme pas le vampire et la jolie blonde a les honneurs du Technicolor.
Oú as tu trouvé cette pépite ?
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Pour compléter le dossier sache que :
– le joli pasteur est mort bien jeune noyé lors d’un tournage et juste avant son mariage :-(‘,
– je n’ai jamais vu Rawhide, shame sur moi,
– la jolie blonde est en fait brune et she died il y a un mois (bel hommage) après une carrière passée totalement inaperçue,
– bon sang mais c’est bien sûr que je connais le Plate… second couteau auprès de Wayne… John Wayne.
Merci de me faire perdre mon temps pour un film que je ne verrai pas.
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You’re welcome. 🙂
Je me doutais que le CV de ce Fleming (qui n’a pas inventé la pénicilline) allait titiller ta curiosité.
J’ignorais pour la brune/blonde du film. Hommage outre-tombe de circonstance donc.
Pas vu Michael Pate dans « McLintock » mais dans « Hondo » ou le Duke promenait son clébard sur son canasson.
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Je suis une bonne élève hein ?
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Tu auras une image. 😉
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Sans passer par les 10 bons points ???
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Même si le film n’a pas l’air exceptionnel, je dois dire que ça fait plaisir de ce vampire au western dans ton antre 🙂
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Western + vampire, le cocktail ne pouvait qu’être à mon goût, même si au bout du compte il n’a pas un goût exceptionnel.
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On rit tout de même beaucoup non ?
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Un peu c’est vrai, mais pas jusqu’à s’en faire péter la carotide et c’est ce qui fait son charme. 🙂
Content de te retrouver dans ce coin paumé du blog.
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Je rends toujours la politesse, cher
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