PHANTOM of the PARADISE

Du côté de chez Swan

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« At The Paradise our performers are contracted to entertain you at any cost ! And entertain you they will. Trust me… »

Swan (notes de pochette de la B.O. du film)

« Un touriste dans un rêve
Un visiteur il semble
Une chanson à moitié oubliée
Où est ma place ?
Dis-moi ce que tu vois »

Paul Williams, Touch, sur « Random Access Memories », Daft Punk, 2013.

Il voit tout. Derrière son miroir sans tain, dans l’ombre de son balcon, devant l’écran de ses moniteurs, il observe, contrôle, dirige, élit et condamne, distribue des palmes à ses futurs martyrs. Il est le démiurge d’un Elysée de gloire, recrute des innocents pour en faire des coupables, les place dans la lumière avant de les renvoyer dans leurs loges, puis les précipite dans l’abîme de l’oubli. Il est le paon d’une cage en folie, le cygne qui luit dans le noir, il est l’orchestrateur d’une décadanse dionysiaque, il est le Diable de la boîte, le créateur du « Phantom of the Paradise ». Listen to the music…

De sa courte expérience à la Warner, Brian de Palma a nourri un ressentiment profond envers l’industrie du cinéma. Âme pure venue du circuit indépendant new-yorkais, il s’était vu confisquer et dénaturer son œuvre (« Get to know your rabbit », film coupé et remonté dans son dos par les décideurs du studio, pour lui un cauchemar digne de la « Twilight Zone »), victime des grands portefeuilles obéissant à une autre logique que la sienne. « J’étais jeune et je n’avais pas encore compris le fonctionnement des studios. Je croyais à leurs mensonges, je me suis fait manipuler et j’ai perdu le contrôle du film. » avouera-t-il dans un entretien avec Luc Lagier. De cette rancœur profonde naît une envie de revanche, un fort désir de laver cet affront, de clamer son indignation et d’abattre les masques de l’hypocrisie.

Mais pour prendre d’assaut la forteresse infernale, il lui faut prendre des chemins détournées, des portes dérobées, intriguer en accords mineurs pour mieux fustiger les Majors. Il décide d’avancer masquer, tel l’oiseau de malheur qui hantait l’opéra du roman de Gaston Leroux. Il dissimule ses intentions derrière un rideau de musique, sous des mélodies envoûtantes et des riffs pailletés en Glam rock, pareils à ceux que crachaient les Spiders from Mars, sur des « Hair » progressifs qui s’envolent sur les ailes d’un Zeppelin de plomb. Plus habile à faire danser la caméra que pour trouver les bonnes clefs de la partition, De Palma s’en remet à un petit génie de la mélodie. Faute de Stones ou de Who, il confie la tâche à la « touch » de Paul Williams, baladin pop & country (« pretty, but no » lâche-t-il à l’audition d’un cow-boy chantant) pour être son maléfique Swan. Cloîtré dans sa tanière lugubre tel le grand Kane dans son Xanadu (« No trespassing » remarque-t-on incidemment sur une porte), il demeure invisible aux yeux de la plupart de ses mortels admirateurs, se laissant approcher par une poignée d’élues éjectables, triées sur le volet pour leurs mensurations charnelles et leur faible seuil de résistance. Ce producteur méphitique qui règne sur les cercles infernaux des disques Death, a pour Minos un idiot nommé Philbin, parfait pour accomplir ses basses besognes et presser le jus des Juicy Fruits, son groupe de nigauds rétros qui suscite l’hystérie chez les midinettes.

« Vous qui entrez, abandonnez toute espérance » dit la phrase inscrite sur la porte Dantesque, slogan qui aurait pu convenir parfaitement à cette firme, et avertissement que nous lance à mots couverts Brian de Palma lorsqu’il demande à ses acteurs de s’adresser face caméra à leur interlocuteur (« working so hard to be somebody special » nous dit la chanteuse, devise qui pourrait être celle du batteur de « Whiplash » entre les griffes d’un autre démon). Paul Williams ayant déjà fait ses preuves chez les Carpenters, il n’est pas surprenant de trouver un petit air de Karen dans le timbre de Phoenix, petit oiseau frêle qui cherche à renaître au Paradis du succès. Il sera bref pour Jessica Harper, propulsée ici sur le devant de la scène lors d’une grand mess(e) finale avant de se laisser prendre dans l’antre de la « Suspiria » d’Argento. Le sort de Gerrit Graham, vieux complice du réalisateur, ne sera pas plus enviable, loin s’en faut. Cet obscur acteur changé en Beef par la volonté de son metteur en scène, être composite monté sur plateforme shoes portant une coiffe de Led Zep singer (ce qui en fait, de par son nom, une sorte de « Plant carnivore »), il finira cuit en place publique. Mais c’est évidemment le personnage interprété par William Finley qui appelle le plus de compassion. Cet artiste à l’âme noble et au cœur pur a cru (à l’instar de De Plama) qu’il avait le succès devant Swan, bêtement au point de finir changé en oiseau de nuit, borgne et privé de cordes vocales. Dans une scène piano et poignante, il choisit finalement la voix du diable pour mieux laisser vibrer son art, que Swan s’empresse de « vadoriser » (avant l’heure), de passer aux filtres de ses machines démoniaques, de placer sous l’empire du côté obscur du dolby.

« Influencer quelqu’un c’est lui voler son âme. Elle devient l’écho de la musique d’un autre. » écrivit Oscar Wilde dans « le portrait de Dorian Gray ». Si les miroirs sont si nombreux dans les films de De Palma, si les écrans se divisent si souvent, si on a toujours l’impression qu’il y a un observateur invisible derrière l’épaule du caméraman, c’est bien sûr pour désigner la présence du producteur tapi dans l’ombre, mais sans doute aussi pour mieux réfléchir les motifs emblématiques de tous ses maîtres qu’il invite dans sa mise en scène : Welles, Lang, Powell et bien évidemment Hitchcock, dont l’obsession pour les faux-semblants et l’emprise (« Vertigo ») est ici aussi prégnante que la « Psychose » dont il revisite la célèbre scène de douche. S’il admire celui-ci, c’est aussi parce qu’il fut de ces contrebandiers qui surent faire éclater leur génie en composant avec le système. « Hollywood est une industrie gérée par des hommes cupides et une partie de votre boulot consiste à les faire travailler pour vous. » dit encore Brian de Palma, prenant alors cet Orphée défiguré qu’est Winslow Leach pour le pathétique loser qu’il a choisi de devenir. Son triste sort passe ainsi par le prisme du pastiche, faisant de ses terribles déboires une épopée tragicomique, associant systématiquement ses menues victoires (sur les Juicy Fruits, Beef, et enfin Swan) au triomphe d’un système acclamé par une foule sous influence et contre lequel il ne peut rien.

En réalisant ce film, Brian de Palma aurait sans doute espéré se prémunir d’un destin similaire mais, malgré une carrière ponctuée de quelques succès critiques et publics, il deviendra l’absent remarquable sur la scène des Oscars, l’éternel oublié de la clique du Nouvel Hollywood. Pas oublié pour tout le monde heureusement car chaque scène, chaque mot et chaque note demeurent gravés dans la mémoire de ceux qui sont tombés sous le charme de son « Phantom of the Paradise ». « We’ll remember you forever » chanteront toujours les Juicy Fruits au tout début du film.

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24 réflexions sur “PHANTOM of the PARADISE

  1. Plus à habile
    Maléfiques Swan
    Au point finir
    Réfléchir l’influence
    ……………………
    Je l’ai vu à sortie. Éblouie et terrifiée.
    Une re-vision s’impose maintenant s’impose.
    Je me souviens surtout du bel oiseau derrière son piano.
    Mais tu donnes fichtrement envie avec toutes ses références à repérer.
    Je m’en vais de ce pas trouver le dvd.
    Incroyable que De Palma soit toujours oublié. Je ne me lasse pas de certains de ses films, de certaines scènes exemplaires en tout cas que l’on connait par coeur Les incorruptibles, Carlito’s Way et le film avec Travolta qui est preneur de son.

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    • « Blow out », film génial en effet, qui croise « fenêtre sur cour » et « conversation secrète ». Je suis moyennement fan de son adaptation des « Incorruptibles », par contre, « l’impasse », j’adore.
      Merci pour les petites corrections à faire 😉 La dernière n’en était pas vraiment une mais visiblement la formulation n’était pas assez claire donc je l’ai modifiée.
      Pas vu à la sortie (j’étais encore dans mes couches à l’époque) mais passé et repassé sur magnétoscope avec le même frisson à chaque scène (et la même exaspération face à ceux qui trouvent ce film kitsch et ringard).
      Il est sorti une édition Blu-ray pas donnée mais paraît-il de qualité exceptionnelle.

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  2. J’ai hésité pour « réfléchir l’influence », par un jeu de miroirs…
    Je n’ai pas de lecteur blu-ray.
    Les incorruptibles n’est pas génial mais la scène de la gare avec cette musique, sa durée… Et puis Andy, Kévin qui se la pètent grave mais grave, et ce bébé dans sa poussette. Il a 5 ans au moins non ? Et d’une laideur !!! Et pourtant malgré tout ça, ça le fait toujours.

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  3. Pas vu depuis un moment. Une comédie musicale efficace autour d’un roman mythique et avec une dimension rock’n rollesque intéressante. De Palma se moque des Beach boys, des rockstars et même de Psycho.

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    • Il utilise surtout le monde la musique pour régler ses comptes avec le système de production cinématographique et la mainmise des patrons de studios sur les œuvres des auteurs.
      Il y a au moins quatre romans qui sont explicitement cités dans le film : « le fantôme de l’opéra » de Leroux évidemment par le titre et le contexte, mais la grande affaire qui travaille De Palma est ce pacte diabolique conclu par les auteurs en mal de notoriété : « Faust » est très présent forcément, mais aussi un soupçon du « portrait de Dorian Gray » et une allusion à « Frankenstein ».

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      • De toutes manières, De Palma montre un système musical complètement corrompu. Les chansons des groupes de Paul Williams sont quasiment identiques, il n’y a que la rythmique et le genre qui change. Et finalement quand tu vois tous ces artistes en France qui reprennent des chansons des autres, tu te dis que le film de De Palma a des années d’avance. 🙂

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    • Ce film de De Palma, comme plusieurs autres, sera passé par différentes phases d’appréciation. Si aujourd’hui on le classe volontiers parmi les chefs d’œuvre du réalisateur, un film que l’on range même dans la catégorie « culte » pour certains, il aura souffert dans un premier temps de sa forme excessive et baroque aux yeux de certains critiques, puis sera longtemps considéré comme ringard et démodé à cause de sa musique. Il est vrai qu’aujourd’hui les seventies sont revenues en odeur de sainteté (ou de damnation devrait-on dire pour ce film 😉 ), et « Phantom of the Paradise » notamment grâce aux nombreuses citations dont il fait l’objet, à commencer par celle des Daft Punk justement.

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      • En effet, les films de De Palma ont toujours eu du mal à fédérer sur la longueur. Il y a des cas comme Scarface, Carrie ou Mission impossible mais c’est vrai que beaucoup de ses films ont eu du mal à se faire une réputation. Carlito’s way a été vu à sa sortie comme une sorte de « Scarface 2 » alors que non. Body double s’était fait incendié, aujourd’hui on lui offre une édition br comme si c’était un chef d’oeuvre (ce qui est à mon sens le cas). Blow out a été un flop il me semble à l’époque, aujourd’hui on en entend parlé partout comme un de ses plus grands films.Outrage longtemps sous-évalué car arrivé après tous les gros films sur le Vietnam est maintenant sorti de sa noyade.

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        • Dans mon souvenir, « Carlito’s way » a bénéficié dès sa sortie d’un très bon accueil critique qui l’a fait entrer assez vite dans le rang des meilleurs titres du cinéaste.
          Mais en effet, ses films plus « hitchcockiens » souffraient principalement de cette gémellité évidente avec leurs modèles revendiqués, attirant ainsi les foudres de ceux qui ne voyaient plus De Palma que comme un escroc doublé d’un infâme plagiaire. Ils ont depuis été largement réévalué.

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  4. J’ai découvert le Phantom dans une salle mythique de Paris qui a disparu aujourd’hui et qui s’appelait la Boite à Film. Deux salles, une où l’on pouvait fumer, généralement en regardant Up in Smoke donc avec des choses illicite ou Easy Rider. Depuis j’ai vu et revu ce film, je connais la BO par coeur parce que je l’avais en K7 quand ce support existait encore. un de mes films préférés en dehors de ceux cité c’est Soeur de Sang, le plus Cronenberg des films de Palma par contre je n’ai pas la moindre affection pour les Incorruptible qui en plus d’être une purge cinématographique est une fantaisie de série B, Frank Nitti en tueur impavide joué par un acteur habitué des séries Z (billy drago) c’est juste une blague, Nitti a succédé à Capone et s’est suicidé, et puis je ne supporte pas le cabotinage de Connery qui a du reste fini par le faire sortir du circuit avec la ligue des gentleman extraordinnaire. Mais dire que De Palma est le grand perdant du nouveau Hollywood c’est allé un peu vite en besogne, Tarantino son fan le plus fidèle ne cesse de le citer. D’ailleurs je ne sais pas ce qui est le plus important, avoir un oscar d’une académie qui le donne à un acteur dès lors qu’il se grime ou s’enlaidit pour un rôle ou avoir dans sa filmo des films comme Scarface ou Carlito’s way. hélas pour Scarface vous pouvez être absolument certain qu’un de ces quatre Hollywood annoncera son remake, comme ils ont remaké les Chiens de Paille pour pondre une purge. Hollywood n’a plus d’idée mais il a de plus en plus de moyen et de besoin. L’espoir viendra de chaine comme Netflix, Oats Studio, pour le reste DC Comics et Marvel sont en train de tout cannibaliser avec leurs films taylorisés.

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    • En disant que De Palma est le parent pauvre de la dream team des « Movie brats », je ne nie pas l’importance de ses films, mais il faut bien reconnaître (indépendamment de ce que peut dire ce grand défenseur des chefs d’oeuvres en péril qu’est Tarantino) qu’il est le moins bien loti de la bande aujourd’hui.
      Quant aux « Incorruptibles », pour ne pas l’avoir revu depuis longtemps, c’est bien l’impression qu’il m’avait laissé en salle.

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