CHRISTINE

Pleins phares sur l’assassin

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Ma chérie conduit le dernier modèle de chez Cadillac
Ouais elle le fait !
Ma chérie conduit le dernier modèle de chez Cadillac
Elle m’a dit : « hey, ramène-toi, vieux !  »
« je ne reviendrais jamais !  »

Vince Taylor, Brand New Cadillac, 1959

La nouvelle avait fait grand bruit. Le 30 septembre 1955 à 17h59, James Dean succombait à ses blessures suite au crash de sa Porsche 550 à l’intersection de la 41 et de la 46 près de Cholame, Californie. Depuis, on ne compte plus les témoignages d’automobilistes ou de routiers qui, passant dans le coin, pensent avoir aperçu l’ombre de la voiture de sport les doublant par la gauche, ou avoir entendu le fracas de la collision porté par le vent. A ces légendes urbaines s’ajoute évidemment celle qui concerne l’épave de la « Little Bastard » numéro 130, dont les restes furent exposés au titre de la prévention routière et quelques pièces récupérées pour être greffées sur d’autres machines. Résultat des courses : deux jambes cassées pour George Barris qui en a racheté la carcasse, deux morts lors d’une compétition à Pomona sur des voitures utilisant ses reliques, un garage incendié, et pour couronner le tout, l’épave qui se volatilise alors que son propriétaire songeait à la broyer définitivement. A peu près au moment où la carcasse de la Porsche disparaît, sort flambant neuve des forges infernales de Detroit, une Plymouth Fury rouge pétant que l’écrivain Stephen King a décidé d’appeler « Christine ».

Est-ce là une commande du bien nommé Lucifer pour que ce teint de rubis se distingue tant sur la chaîne de montage ? Et c’est peu dire que le mécano en chef derrière la caméra s’y connaît en matière de montage puisqu’il s’agit de John Carpenter, en charge de la commande pour la Columbia. Etant  donné le peu de succès qu’a remporté sa « Chose » protéiforme surgie des glaces antarctiques, il accepte bien volontiers de se mettre au volant de cette belle cylindrée, servi par un script qui prend certaines aises vis-à-vis du matériau littéraire. Pas de cadavres ressuscité sur la banquette arrière, la voiture se suffira à elle-même en tant qu’entité maléfique, avatar de chrome et d’acier du célèbre tueur masqué d’« Halloween » (on reconnaît d’ailleurs dans le quartier pavillonnaire de Rockbridge les mêmes trottoirs arborés que dans l’automnale Haddonfield). Malheur à ceux qui manqueront de respect à la guimbarde, qui oseront froisser la tôle, ils finiront broyés, étouffés et pourquoi pas carbonisés par la rancunière auto qui ne manque pas une occasion de leur cracher son Little Richard à la figure.

Mais s’il ne s’agissait que de superposer le traumatisant survival sur une cavalcade mécanique débridée, le résultat n’aurait pas vraiment grand intérêt. Armé de la malice qu’on lui connaît, Carpenter va trousser son film d’horreur comme une romance transgenre, qui commence par un coup de foudre dans un terrain vague et s’achève en mélodrame pénétrant sur fond de pneus éclatés. Tout démarre en réalité par un ronronnement de moteur, irrésistible et déconcertant fond musical de générique. Immédiatement enchaînent les riffs graisseux de George Thorogood et ses Destroyers, comme pour nous prévenir que notre Carpenter « bad to the bone » n’a pas l’intention de rester au point mort, embrayant immédiatement sur une sortie d’usine qui laisse deux mécanos sur le carreau. Le rouge est mis, la route est ouverte pour d’autres meurtres en roue libre.

Toute mécanique bien carrossée réclame un chauffeur pour lui dépoussiérer le carburateur : celui du King s’appelle Arnie Cunningham (comme le Richie de « Happy Days ») et c’est peu dire que la guinde lui a tapé dans l’œil. Entre eux deux, ce sera une magnifique lune de miel sur fond de Rock’n’Roll. Elle sera sa fière monture, il sera son chevalier noir, ils fileront l’un vers l’autre pied au plancher dans un enfer de métal et de gaz d’échappement comme deux rebelles sans cause. A eux deux ils enverront valser copains, copines et vieilles connaissances, un doigt d’honneur dressé comme un levier de vitesse au nez et à la barbe de l’autorité parentale, iront même jusqu’à faire ravaler leur morgue à des loubards de superette et leur caïd à cran d’arrêt avec ses faux airs de Travolta du dimanche matin. Evidemment, une telle idylle fait des jaloux, et Carpenter de filmer le déchaînement de rage des importuns comme une insupportable scène de viol collectif. Après « Carrie » et sa prom night arrosée à l’hémoglobine de porc, Carpenter promet du teen movie trempé dans l’huile de vidange, union de la chair et de l’essieu qui nous promet un show (me) de reconstruction érotique à la tombée de la nuit.

A l’instar du légendaire acteur qui finit plié dans sa « petite bâtarde », Carpenter aime, chez Arnie, entretenir l’ambiguïté : puisqu’entre Leigh la it-girl du lycée et Dennis le jock de l’équipe de foot, il ne sait choisir qui il préfère, c’est naturellement vers l’être qui réunit les deux sexes que son choix se porte, prolongement phallique de sa part masculine mais à la motorisation plus lubrifiée que la plus bonnasse du bahut. « She had the smell of a brand-new car. That’s just about the finest smell in the world, ‘cept maybe for pussy. » lâche George LeBay, frère décati de l’ancien propriétaire, aphorisme qu’Arnie ne tardera pas à reprendre à son compte.

A mi-chemin entre le « Duel » mécanique de Spielberg et le « Crash » de Cronenberg sur le roman de Ballard, John Carpenter injecte ses synthés dans le moteur, balance des lens flares comme des rayons laser. En solide artisan de la série B du fond du garage, le narquois réalisateur montrait alors qu’il était capable de s’approprier une commande, détournant un genre formaté teenager comme l’auraient fait les contrebandiers de l’âge classique d’Hollywood. La bande-originale bloquée sur les années cinquante de sa jeunesse (sans oublier qu’il est aussi l’auteur d’un téléfilm sur « Elvis »), c’est avec une arrogance folle que Big John roule des mécaniques avec sa belle bagnole, et c’est peu dire qu’elles en a encore sous le pied. Sa reine « Christine » n’en finit pas de nous éblouir et, en dehors de Carpenter, il semble évident que n’importe qui ne peut pas la conduire.

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19 réflexions sur “CHRISTINE

  1. A l’heure où Hollywood carbure encore et toujours aux bolides tonitruants (Fast & furious, Transformers et Cars sainte trilogie aux moteurs bien gonflés, jamais soucieux de trop polluer – à quand un film d’action en voiture électrique ?!-), c’est bien de rappeler que rouler en voiture, a fortiori dans les banlieues wasp, cela peut être un passe temps dangereux. Bel article comme toujours.

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    • Grand merci, fidèle scoliaste.
      Pas de « Vanishing point » en effet pour la roulante qui sert la soupe de l’industrie cinématographique. Celle qui flambe ci-dessus a pour elle des courbes magnifiquement rétro.
      Après les voitures sur coussin d’air de « l’âge de cristal », pourquoi pas imaginer un challenge en autolib… Killing Zoe ?

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      • Ce qui ne te rajeunit absolument pas. 😉 C’est un film qui est plaisant à regarder mais clairement comme je disais c’est un des Big John que j’aime le moins, même s’il est d’un bon niveau (je ne le mets certainement pas aux côtés de Ghosts of Mars ou même de LA 2013). Même en ce qui concerne les adaptations basées sur KIng, elle est assez loin derrière (et dis toi que je n’ai pas encore tout vu). 🙂

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  2. Alors là je tombe de haut je ne savais pas que The Thing avait fait un bide au box office! Je pense que de faire d’une voiture, aussi rutilante soit elle, un monstre de cinéma n’était pas l’exercice le plus facile et Carpenter l’a fait avec brio, même si ce n’est pas mon film favori du monsieur =). Très bel article en tout cas, comme toujours.

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    • Eh pourtant oui. La réponse de Carpenter à l’Alien de son frère ennemi O’Bannon n’a pas remporté un succès aussi fracassant (peut-être parce que il s’agissait d’un remake), mais le film deviendra culte par la suite.
      On est d’accords, pour un film de commande, Christine est une très belle réussite.
      Merci de ton passage 😀

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  3. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas revu cette Christine… Mais quelle est belle, sur fond de rock’n’roll. Quels émois d’adolescence, j’ai pu investir dans cette Christine, vêtue de sa robe rouge et rutilante, crachant des watts de rock à la mode Happy Days… Un film culte, pour moi. Carpenter, c’est The Thing, NY 1997 ET Christine !

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  4. La BO est mortelle en effet, à l’image de ce « pledging my love » signé Johnny Ace, black singer expédié au patres en pleine gloire d’une balle dans la tête (roulette russe ou assassinat, le mystère reste entier), dont le fantôme semble hanter l’autoradio de la belle guinde.

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  5. Étant de donné
    Au nez et la barbe :-))))

    Mouais bof… la voir gigoter avant de bondir ne m’a jamais fait d’effet même si je la trouve magnifique. Le rouge étant ma couleur préférée.
    Mais bon, les mecs qui se battent pour savoir qui a la plus grosse c’est déjà usant et pathétique dans la vraie vie alors ces histoires de bagnole au cinéma… très peu pour moi.
    Fast and furious n’est pas passé par moi.

    « Ça » devrait te réjouir…

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  6. Je me doutais que tu avais été plus disert que Martin. J’ai relu et découvre que j’étais chafouine le 1er octobre dis donc, sans doute parce que j’avais bouffé un clown complètement con.
    Du coup je suis allée voir l’article sur Jimmy et sa petite bâtarde. Je ne me souvenais plus qu’elle avait causé tant de dégâts… post mortem, si je puis dire.

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  7. A really great review. Carpenter definitely did an amazing job with this movie (and after the flop of The Thing he really needed it). A film that manages to scare thanks to the machine but which stages a toxic relationship between the protagonist and the machine itself, a terrifying relationship from which it seems impossible to get out. This movie is gorgeous and I will never stop appreciating it.

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