L’HIRONDELLE d’OR

La dame oiselle et le clochard

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« L’Hirondelle d’or est mon premier choc au cinéma. C’est une nouvelle manière d’envisager le cinéma d’action. »

John Woo

En Orient, lorsque s’impose le choix des armes, la main se porte soit sur le sabre, soit sur l’épée. Le premier est l’apanage des samouraïs japonais, maîtres du chambara qui ne dégainent que pour tuer. La seconde est l’arme du guerrier de l’Empire du Milieu, lame légère qui plane sur les zéphires du Wu xia pian. En Chine, s’il est un nom emblématique du film de chevalerie, c’est bien celui de King hu. Sous l’égide des mythiques studios Shaw Brothers, il s’envole vers les cimes du succès sur les ailes de « l’Hirondelle d’or ».

« Fais-moi un film simple qui ne coûtera rien » demanda le big boss Run Run à son nouveau poulain qui venait de récolter quelques prix critiques (pour le précédent « sons of good earth »). Qu’à cela ne tienne, King hu a dans son éventail de quoi frapper de taille et d’estoc pour mieux raviver la flamme du Wu xia. Faute de stars à diriger (réduction de budget oblige), mais fort de sa connaissance de l’Opéra de Pékin, il décide qu’une jeune ballerine inconnue sera sa wudan (la femme martiale de l’opéra traditionnel chinois). Elle n’aura qu’à se laisser glisser gracieusement dans le cadre apprêté en Cinémascope par son metteur en scène.

L’actrice Cheng Pei-pei, sur la pointe des pieds, danse la guerre plutôt que ne la subit, et ses arabesques montées sur ressorts soufflées par le maître Han Yin-chieh (futur instructeur du grand Bruce Lee) provoquent l’étonnement chez ses adversaires comme ils suscitent l’admiration du spectateur. Ses deux poignards en main (susceptibles d’être volants selon les circonstances), elle défie aisément et sans ciller une foule d’ennemis déterminés mais pourtant démunis malgré leurs lames longues. Ils sont condamnés à se soumette ou à mourir. La caméra de King hu les encercle en de larges travellings, suivant les assauts de cette Hirondelle qui fond sur eux. Le châtiment est à l’aune de la cruauté dont ces ennemis sont capables, patente lors d’une embuscade proposée en guise de mise en bouche. King hu fait de nous les témoins d’un kidnapping haut de gamme, exécuté au prix de nombreuses victimes dans les rangs des forces gouvernementales. Le sang gicle et vient tâcher d’écarlate les tenues des guerriers. Seul le chef des bandits qui se fait appeler Tigre face-de-Jade, être chafouin au teint cireux (le blanc étant dans l’opéra traditionnellement la couleur de la fourberie et de la ruse), reste l’immaculé et intouchable commanditaire des forfaits. King hu en fait un être si ignoble qu’il n’hésite pas à le montrer impitoyable et radical face à la souffrance d’un enfant trop curieux.

En guise de contrepoint à cet infect personnage, le metteur en scène introduit le Chat ivre, un mendiant de grand chemin porté sur la dive qui sait néanmoins comment rallier les plus jeunes à son panache. King hu met grâce à lui de la bonne humeur dans son auberge, inaugurant une série de films prenant pour cadre principal cet espace dédié autant aux rencontres qu’à la détente (suivront son fameux « Dragon Inn » puis « l’auberge du printemps »). Entre l’étroitesse de la chambre favorable à des guet-apens au clair de la lune, et l’amplitude de la salle commune pouvant servir d’estrade à des batailles rangées, il trouve ici un lieu riche et prospère à l’épanouissement de sa spectaculaire mise en scène.

De ce lieu de soûlerie (« come drink with me » invite gaillardement le titre original) et repaire de salopards, il se transporte ensuite et sans tarder vers un temple,  lieu censément plus apaisé, règne de la morale et du recueillement spirituel. Souillé par la présence des bandits qui en ont fait leur tanière, sa délivrance conditionne désormais l’action héroïque dévolue à la féroce Hirondelle. D’abord dissimulée sous les accoutrements du mâle pour mieux se fondre dans la taverne, c’est en femme digne et respectable, parée de jade, qu’elle rend visite au monastère afin de débusquer les hors-la-loi sur leur territoire. Même placée sous la protection du Bouddha, il lui manque cette « touch of zen » dont King hu se fera le chantre quelques années plus tard. Mise à mal par son manque de discernement et sa propension à faire couler le sang dans une enceinte sacrée, King hu la contraint finalement à se replier vers un havre aménagé par ses soins dans les studios de la Shaw. Elle y retrouvera l’étrange bouffon éthylique qui s’avérera plus habile à manier le bambou qu’à vider les bouteilles d’alcool.

Dans ce décor qu’il veut aussi magique et enchanteur que ceux que l’on contemple sur les toiles peintes par les plus talentueux paysagistes, King hu se libère plus encore du carcan du réalisme afin d’élever son film un peu plus haut vers des strates poétiques. On y verra l’habitant des lieux aspirer la brume du torrent avant de plier la pierre à la volonté d’un seul doigt. Dans cet écrin de verdure où l’on communie aisément avec les forces de la Nature, le temps semble suspendu et les périls bien lointains. « Vous devez être las de vivre » dit le maître félin qui occupe les lieux à quelques trouble-fêtes venus en rompre la quiétude ambiante. Si le contentieux qui l’oppose à son ancien frère d’arme s’ajoute à l’inventaire des querelles et trahisons qui garnissent le scénario, il ne vient en rien faire de l’ombre aux glorieux faits d’arme de la belle madame Chang. Se changeant en oiseau agile et mortel pour cette production, Cheng Pei-pei ne se doutait sans doute pas qu’elle entrerait dans la légende du Wu xia pian, faisant figure de modèle pour Zhang Ziyi, ses tigres et ses dragons. Toutes deux se rencontreront bien des années plus tard grâce à Ang Lee, la première changée en Jade la Hyène, la seconde incarnant sa brillante élève.

En plaçant une fille au pinacle de l’action, King hu apporte un regain de vitalité à la tradition médiévale, l’affublant d’une grâce et d’une poésie encore inédite. Il trouve de surcroît, grâce à ce film, l’occasion de prouver à ses compatriotes chinois autant qu’à ses contemporains d’Extrême Orient, que du film de chevalerie il est incontestablement le roi.

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12 réflexions sur “L’HIRONDELLE d’OR

        • C’est vrai que le Nippon n’est pas vraiment pour l’émancipation par les armes. Il faudra attendre la piqûre de la « femme scorpion » pour voir une dame en remontrer à ses geôliers.

          Je ne sais pas si « L’Hirondelle d’or » est inspirée par le communisme ambiant, mais ce qui est sûr, c’est que la Shaw Brothers était plutôt du genre à faire du profit quelle que soit l’idéologie du moment. Plutôt libéral le Run run (et collectionneur de Rolls), et du coup assez permissif avec ses réalisateurs sauf quand il s’agit de parler gros sous.

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  1. Ok ça a l’air très kung kung foufou.
    Pas trop envie de le voir néanmoins.
    Et puis que les femmes intègrent les humeurs belliqueuses ou bellicistes des hommes ne me semble pas très féministement feng shui.

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  2. King Hu, je dis oui et cet Hirondelle d’or est le film du renouveau du wu xian pian (à côté, Chang Cheh tourne avec de gros sabots). Un enchantement, même s’il fera encore mieux ensuite (touchant au paradis bouddhique avec Touch of zen). Cheng Pei-pei est presque aussi jolie que Hsu Feng. Je me souviens avoir découvert le film lors de sa reprise à Paris il y a un moment maintenant.

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    • Film de commande réalisé selon un cahier des charges bien précis, « L’hirondelle d’or » ne dispose effectivement pas de la même liberté créative que « Touch of Zen ». Il reste néanmoins marquant (comme le prouve ton commentaire), et plutôt inspirant.

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  3. Voilà qui rappelle l’hirondelle asiatique à ma mémoire. A la lecture de cette note adroite et agile comme la belette du plateau d’Ordos en Chine, L’hirondelle d’or est un titre auquel je devrai prêter une attention moins légère que par le passé, spectateur versatile que je suis.

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