Au feu, les pompiers

Sale défaite

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« Cet homme venant d’une dictature avait une maturité de cinéaste qui me sidère. »

Arnaud Desplechin.

La maison brûle et Miloš Forman prend la poudre d’escampette. L’expatrié tchèque aux 2 Oscars (un pour « vol au-dessus d’un nid de coucou », l’autre pour « Amadeus »), après un demi-siècle d’exil aux Etats-Unis, s’en est allé, cette fois pour ne jamais plus revenir. Il nous laisse le soin de prendre urgemment les choses en main, comme il le clamait déjà haut et fort en 1967 dès l’entame de « Au feu, les pompiers ! ».

Ce sont des pompiers hélas fort peu doués qui s’échinent à faire fonctionner un extincteur devant une affiche en train de flamber. Rien à faire, elle se consumera jusqu’au dernier morceau. Ça sent le brûlé. Dans cette salle communale où se rassemblent badauds et édiles pour sceller leur amitié verre après verre autour d’un prétexte festif, on s’apprête à célébrer un vétéran de la guerre du feu tout en reluquant à qui mieux mieux des reines de beauté chaudes comme la braise. Ce bal des pompiers d’une petite ville de province réunit une foule bigarrée de trognes improbables, peuplé d’une pléiade de comédiens amateurs qui semblent avoir été recrutés avant tout pour leur faciès grotesque mais néanmoins jovial. Parmi eux, ce sont de vieux sapeurs éthyliques et décatis qui constituent le gouvernement chancelant de cette triviale assemblée, au prétexte d’honorer le vétéran Aloïs de 86 ans. On se rend compte bien vite qu’ils ne pensent qu’à se rincer l’œil en désignant les filles du concours (hautement hilarant) de « Miss Pompiers » et s’en mettre plein les poches des lots de la tombola. L’un des animateurs de la soirée ose encore après ça prononcer le mot (comment déjà ? ah oui) « solidarité », au combien galvaudé après les évènements.

Joyeuse ambiance donc, toujours une chopine à portée de main, pour un tableau sans fard de la bêtise et de l’insouciance. Dès sa burlesque introduction (le coup classique de l’échelle qui tombe et du type suspendu), le ton est donné, on sait d’avance que la fête va tourner à la foire. Ça ne manque pas, pour le plus grand plaisir du spectateur. Miloš Forman, épris de Chaplin et de Keaton, dépouille chacun de ses protagonistes de leur uniforme de probité, de leurs valeurs de façade, pour mieux exhiber cet individualisme pathétique couvé par l’austérité du régime. La lecture est sans appel, sans ambiguïté possible dans une scène aussi irrésistible qu’édifiante : lorsque le président fait éteindre (non pas le feu mais) la salle afin que chacun puisse redéposer anonymement sur la table les lots dérobés, c’est l’inverse qui se produit, pour le grand bonheur de nos zygomatiques.

Comme lui, emportés dans le vent libertaire du fameux Printemps à venir, ils étaient nombreux à ne rien voir venir. Les esprits se libèrent et s’échauffent, certains finiront même à quatre pattes sous la table. Après le remarquable succès des « amours d’une blonde », film-manifeste de cette libération sexuelle pragoise, le jeune cinéaste récidive sur le mode politique sous le vernis coloré (par son indissociable chef opérateur Miroslav Ondrícek) d’une comédie allégorique chargée d’un humour féroce. Miloš Forman s’en défendra pourtant, en disant : « Mon intention n’était pas de tourner une allégorie politique – je ne les aime pas au cinéma – mais les représentants du Parti communiste se sont reconnus dans cette histoire de tombola pillée. » Et pour ce brûlot clownesque, Forman s’expose à une « mise en péril du patrimoine tchécoslovaque ». Grâce au succès de son précédent film, il profite d’une main tendue par Claude Berri, et d’un pied dans l’avion qui l’emportera vers notre Côte d’azur. « Nous sommes arrivés à Cannes en mai 68, le festival arrêté ! » se souvient Jean-Claude Carrière qui fut un de ses fidèles compagnons de route, « Nous voilà en panique, ne sachant que faire. Miloš habite de nouveau chez moi. Il ne comprend rien à ce qui se passe, d’autant plus que Vadim, que nous avons rencontré un jour, a dit à Miloš et à Ivan Passer, en descendant de sa Ferrari : « Ce que nous voulons, c’est l’avènement du socialisme ! ». Face à ce monde absurde, c’est finalement vers les States qu’il s’envolera, laissant le soin aux chars russes d’occuper le terrain derrière lui.

Humour arythmique, « une pure rigolade » comme l’écrira bien plus tard le critique Roger Ebert dans le Chicago Sun, « Au feu, les pompiers ! » est un film bref mais terriblement efficace, tourné comme du cinéma-vérité, une satire cruelle de ses contemporains qui vire à l’humour nonsensique. Miloš Forman, Cinéaste aussi rare que l’étaient Kubrick ou Welles, Miloš Forman nous aura laissé ce souvenir grinçant d’une bonne partie de rigolade, un humour à coucher dehors, dernière occasion de se marrer avant qu’à notre tour le destin nous oblige à aller le rejoindre là où il est.

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24 réflexions sur “Au feu, les pompiers

    • Espérons peut-être une petite rétro sur Arte on l’on pourrait revoir « Valmont » par exemple, mais aussi découvrir ses derniers films notamment le très peu vu « les fantômes de Goya ».

      On peut aussi le voir en tant qu’acteur, amant de notre Deneuve, dans « les bien-aimés » de Christophe Honoré.

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  1. Pas vu comme les autres oeuvres tchèques de Milos Forman, mais j’ai un grand respect pour ce compatriote de feu mon grand-père et le cinéaste génial qu’il était. Un réalisateur qui se focalisait beaucoup sur l’humain, quitte à faire des biopics sur certains cas particuliers.

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    • Tu as raison Borat, c’était vraiment un cinéaste très centré sur l’humain et qui ne manquait pas d’humour décalé (je pense aussi à « Man on the moon »). Je ne connais pas toute la filmo de la période tchèque, mais je te conseille également « les amours d’une blonde ».

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      • Man on the moon va même plus loin car comme le montre le documentaire Jim and Andy, Carrey était Kaufman durant tout le tournage, au point que même Forman en perdait la tête. Carrey s’est dit épuisé de l’expérience.

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  2. Tout à fait d’accord avec toi lorsque tu le « classes » avec Kubrick. Personnellement, outre le même nombre de films, je dirai deux « réalisateurs ovni » avec un talent fou.
    Ils vont bien finir par se retrouver ces deux là, là haut…

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  3. Ah j’ai pas aimé.
    Mes zygos sont restés au repos.
    Alors oui c’est loufoque et plein d’énergie. Il y a toujours au moins 40 personnes dans chaque plan (bravo la prouesse) et les trognes sont bien burlesques voire ridicules.
    Mais les filles sont réduites à des morceaux de viande et ça… ça ne passe pas.
    Mais pas que.
    Je me suis fichue comme de l’an mille de ce qui se passait.
    Forman lui même disait qu’il n’avait réalisé ni un brûlot ni une allégorie politique. Je suis daccord avec lui.
    Tout au plus une pochade de fin d’études.
    Mais au moins j »ai vu un film tchèque de Milos (un de mes réalisateurs adorés) et je pourrai désormais briller dans les dîners en ville (faut juste que je me rappelle de sortir en ville… c’est pas gagné) :
    quoiiii vous n’avez pas vu Au feu les pompiers ???
    Pffff. I did.

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