HELLRAISER II : Hellbound

L’antre de la folie

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« J’ai longtemps cru que j’inventais ça. Mais « ils » me le dictaient, me donnant le pouvoir de le rendre réel. Et maintenant, ça l’est. »

Sutter Kane, In the Mouth of Madness, John Carpenter, 1994.

« Ce n’était à l’époque qu’une rumeur, ce dôme du plaisir où ceux qui avaient épuisé les futiles délices de la condition humaine découvraient une nouvelle définition de la volupté. Et la route menant à ce Paradis ? Il existait, lui disait-on, plusieurs cartes des points de liaison entre le réel et le plus réel encore, tracées par des voyageurs dont les os étaient depuis longtemps tombés en poussière. »

Clive Barker, The Hellbound Heart, 1986, p. 63.

« Quel plaisir de vous voir de retour » dit à Kirsty cette femme dont la peau des joues est traversée d’une tige de métal rigide. Les amateurs de piercing et autres visions incisées dans le cortex de Clive Barker n’auront pas eu à souffrir toute une éternité pour à nouveau revoir leurs monstres préférés. Un an à peine après « Le Pacte », il invite les plus mordus à prestement franchir les portes de « Hellraiser 2 : Hellbound » pour lequel l’Américain Tony Randell joue cette fois les maîtres de cérémonie.

La boîte puzzle est toujours là, mais elle s’ouvre cette fois-ci sur une géométrie plus variable. Après un rapide rafraîchissement mémoriel par l’entremise de quelques morceaux taillés dans le montage du précédent épisode, c’est derrière la porte de la cellule d’un asile d’aliénés que l’on retrouve Kirsty (toujours campée par la pugnace Ashley Laurence), un « antre de la folie » aux geôles humides peuplées de cinglés incurables, assez semblable celui que filmera plus tard John Carpenter (projet auquel Randell fut primitivement attaché). Une destination somme toute assez logique au regard des évènements traumatisants qui viennent d’être vécus. Elle y trouvera le soutien d’un toubib un peu naïf et d’une ado muette nommée Tiffany dont l’esprit s’est enfermé dans des puzzles géants en forme de casse-têtes inextricables.

Mais c’est bien dans la tête de l’héroïne que le scénario entend cette fois nous faire voyager, dans les circonvolutions tortueuses de ce qui ressemble davantage à un univers mental qu’à un puits infernal, un lieu hors du temps où avoisinent peur, folie et douleur. On la suit dans sa quête orphique d’un père injustement damné, qui la mettra derechef aux prises avec son oncle licencieux et sa vampirique belle-mère. Barker avait pensé son premier « Hellraiser » à l’image de son roman, une traduction horrifique des tensions à l’œuvre dans une famille recomposée. Il entend cette fois changer d’échelle, « modifier les règles du conte de fée » comme le clame d’ailleurs dans le film Julia, « evil queen » plus que jamais incarnée par l’ensorceleuse Clare Higgins. Son au-delà de cris et de sang ne s’embarrasse plus de toute la bondieuserie qui encombrait la maison Cotton, en finit pour de bon avec les allusions christiques et autres démons volants, reléguant les derniers reliquats mystiques aux déments qui tentent impuissants, au fond de leur cellule capitonnée, de repousser les assauts de visions qui défient l’entendement.

Pas à pas, ce nouvel « Hellraiser » scénarisé par Peter Atkins, quitte ses repères rationnels pour s’enfoncer dans un univers labyrinthique marchant sur les brisées d’Howard Philip Lovecraft et de J.R.R. Tolkien. Bien sûr l’antichambre des tortures bardée de pics, de crocs et de chaînes sanguinolentes reste le point d’entrée incontournable dans le monde purulent des Cénobites, mais il n’est plus désormais qu’un sas ouvrant sur de vastes corridors, un dédale de lamentations dont l’horizon ne semble plus avoir aucune limite. Barker y fait trôner une entité supérieure, une divinité géométrique dressée telle un phare au centre de ce royaume cyclopéen, surveillant son domaine comme Sauron le fait sur le Mordor. L’intrigante petite boîte dorée reste l’indispensable artefact qui ouvre les portes de la perception, attisant la curiosité des explorateurs inconscients, des esprits dérangés perpétuellement insatisfaits comme l’était celui de Frank Cotton dans le précédent film. C’est désormais l’apanage du docteur Channard, médecin chef de l’hôpital psychiatrique voisin et désigné  comme le parfait pervers malsain. C’est en dévorant des grimoires maudits et d’antiques planches parcheminées qu’il a alimenté son savoir occulte, assouvissant, tel le réanimateur dément des romans de Lovecraft, son désir de voir et de savoir, sa faim de jouissance par-delà le trépas.

Sans en perdre la moindre miette, il jette en pâture sacrificielle (dans une scène d’une frénésie furieuse) un aliéné dans les bras de la damnée qui cherche à sauver sa peau. Encore maculé des épanchements sanguins et séminaux écoulés lors de leurs ultimes ébats infernaux, le matelas de Frank et Julia – « the mattress » en anglais – devient ici la matrice d’une résurrection abjecte, mais aussi refuge faussement confortable qui peut vous avaler dans le sommeil et y déchirer votre âme avec des lames plus aiguisées que celles de Freddy Krueger. Même sous perfusion de mythologies exogènes, cet « Hellbound » reste encore solidement accroché à la folie déviante de l’écrivain anglais dont les visions sont ici servies par une nouvelle débauche d’hémoglobine et de chairs à vif auxquels s’ajoutent en toiles de fond des décors piranésiens enveloppés dans les étourdissantes symphonies noires d’un Christopher Young à nouveau en pleine extase créatrice.

Cette enchère ambitieuse voulue par le réalisateur ne semble pourtant pas avoir été du goût de Clive Barker qui n’hésita pas à lui reprocher « sa passion pour le matte-painting, pour les jeunes filles en détresse et la rhétorique de la narration. » La temporisation des Cénobites qui profite à Kirsty et à sa fidèle alliée constitue effectivement un point de crispation assez irritant, destiné à donner toute sa place à la vile Julia. C’était sans compter un public largement conquis par le magnétisme du quatuor masochiste qui ne jure plus que par la présence de Pinhead à l’écran. Lui et ses séides sont pourtant les parents pauvres d’un script qui fait de Channard le nouvel Archange de la douleur obtenant les faveurs du grand hexaèdre (« No, this is my god » dit néanmoins l’exclusive Julia). Cette option qui pour la première fois démystifie l’irrationnelle essence des Cénobites en leur rendant un visage humain n’est sans doute pas la meilleure idée d’un scénario qui entendait tout miser sur la peur à l’état pur, qu’elle naisse d’un effet de surprise ou maturée dans une scène à suspense (en un clin d’œil appuyé à la fameuse séquence des œufs dans le premier « Alien »), ou bien qu’elle soit suscitée par le dégoût extrême provoqué par certaines visions que ne pourrait soutenir notre regard (comme celle qui montre le fou Browning se lacérant le corps à grands coups de lame de rasoir).

Ces faiblesses mises à part, ce deuxième volet d’une saga qui ira ensuite en déclinant, bénéficie du savoir-faire d’un Tony Randell formé à l’école Roger Corman (il y a fait ses classes en même temps qu’un certain James Cameron). Il apporte surtout une vision plus cérébrale de l’univers de Clive Barker qu’il nous appartient de goûter selon notre bon plaisir.

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16 réflexions sur “HELLRAISER II : Hellbound

  1. dit celle qui est ACCRO à Rick et Daryl qui dégomment du zombie en série… et en est à la fin de la saison 5 en 2 semaines…
    Rick vient de se raser la barbe et ça les rend folles de 7 à 77 ans.
    Daryl refuse de prendre une douche et ça les rend marteau de 6 mois à 99 ans.
    Je suis dans les 2 créneaux.

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  2. C’est bon, Rick a trouvé une lame à Alexandria.. j’ai cru qu’il allait y avoir un suicide collectif de nanas… Même Michonne a amorcé un sourire de convoitise…
    Mais j’attaque la saison 6 ce soir et Daryl a toujours pas pris de douche. Il commence à sentir la charogne non ? Dautant qu’il est dans la ville déprimante all inclusive et qu’il continue à bouffer du ragondin… ce garcon est déroutant et là je me demande s’il est pas homo.

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  3. J’aime beaucoup ce second opus, découvert très jeune comme pour le premier film (les joies des VHS de la collection de mon oncle à l’époque).
    J’adore cette vision labyrinthique de l’enfer, ces couloirs infinis. Il est à noter d’ailleurs que Christopher Young fournira une OST encore plus aboutie et réfléchie que sur le premier, allant jusqu’à inclure dans un morceau des notes de morse qui signifient tout simplement « Leviathan », lors de l’apparition de ce fameux Dieu.
    Après oui, le film à ses faiblesses, il a également eu un temps de production ultra limité, mais il constitue une histoire qui se tient avec le premier, une vraie continuité, le 1 et le 2 pourraient ne faire qu’un seul film d’ailleurs. La suite, on la connait… Et bien entendu, mieux vaut voir la version longue que courte et charcutée.

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    • La musique de Chris Young fait des merveilles en effet, conservant la puissance du score de l’épisode précédent.
      C’est vrai que le tuilage avec « le Pacte » est parfait tout en conduisant la thématique vers d’autres rives insensées, développant une correspondance troublante avec « l’antre de la folie » que Carpenter n’a alors pas encore réalisé.

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      • Exact. L’antre de La Folie, qui est d’ailleurs pour moi le dernier chef d’oeuvre de Maître Carpenter (un film qui divise malgré tous mes amis), mais son approche et son hommage à Lovecraft, ainsi que le thème de la création ne peuvent que me parler.

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        • Complètement d’accord. Sans doute un des films qui a su s’approcher au plus près des indicibles ambiances décrites dans les pages du maître de l’épouvante moderne. C’est d’ailleurs intéressant de le mettre en lien avec l’univers de Hellraiser puisque Barker est lui-même très empreint de Lovecraft. Cependant, In the mouth of madness n’est peut être pas le plus personnel des films de Big John mais il est un des plus saisissant assurément.

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          • In the Mouth of Madness est indéniablement moins personnel (d’ailleurs, il ne l’a pas écrit, comme pour Starman que j’adore également), mais ça reste son dernier grand film, et un grand film tout court, que j’avais eu plaisir à voir sur grand écran.

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            • D’ailleurs je ne sais pas à quel moment le film a échappé à Tony Randel pour aboutir entre les griffes de Carpenter. Il s’est passé quelques années entre le moment où il évoque ce projet lors de la promo de Hellbound, et la sortie de « l’antre de la folie ».
              Pour revenir un instant sur Hellraiser, je viens de découvrir que Clare Higgins figure au casting de Ready Player One (je crois que c’est la dame qui arrose ses fleurs au début). Comme quoi on trouve toujours un lien d’un film à l’autre.

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