Les 8 SALOPARDS

Wanted : Dead or Evil

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« Tous les réalisateurs ont leur superbe. Ce qui différencie Quentin, c’est le plaisir dingue qu’il prend chaque jour à faire du cinéma. »

Kurt Russell

Ce qui est blanc ne le reste jamais bien longtemps. Quelques gouttes de sang ont vite fait de faire tâche, de vous ruiner un costume, ou de vous discréditer auprès d’un public qui ne vous attendait pas ainsi maculé. Quentin Tarantino, ce briseur de codes invétéré, retourne au western pour mieux le tremper dans le seau putride du film d’horreur. Après « Reservoir dogs » et ses braqueurs à cran en quête de traître, après « Inglourious Basterds » et ses faux Nazis qui jouaient aux devinettes, il convoque les « Hateful Eight » en vase clos, et ce pour mieux les shooter au 70 mm.

C’est à la veille de la guerre de Sécession qu’il avait choisi de « déchaîner Django », le menant à l’apothéose dans le palais décadent du maître de Candyland. Tarantino remonte à nouveau le cours du temps, stoppe sa caméra un peu après les hostilités. En ces temps reculés, la concorde n’est qu’apparente, et bien vite vieilles rancœurs et haines ethniques viennent soulever le tapis de l’union nationale. Depuis le très caustique « Jackie Brown » (dont il réadapte la structure en « slow burn »), le cinéaste s’est engagé sur certaines causes, porte-voix des crimes racistes et autres bavures policières. Comme dans son film précédent, il rappelle qu’être Noir aux Etats-Unis d’Amérique n’a jamais été une partie de plaisir, quoiqu’en disent les portraits du président Obama.

Contexte oblige, c’est à Lincoln qu’il en appelle ici, martyr fédérateur dont la seule signature ne laisse nul homme indifférent. Pour le Major Marquis Warren (un nom piqué à un metteur en scène oublié mais « qui a fait quelques bons films » comme le précisait Tarantino à Tavernier) incarné par l’indispensable Sam L. Jackson, une lettre signée du 16ème président des Etats-Unis vaut tous les sauf-conduits. C’est une assurance-vie, pourquoi pas un gilet pare-balle, une lueur d’humanité qui intrigue et anime ce colloque de rebuts de la civilisation. Sur « les 8 Salopards » pas tous blancs comme neige, faut dire que Warren est le seul « petit nègre », et il ne lui faudra sûrement pas compter sur l’amour de son prochain pour filer une retraite paisible d’homme libre.

Les voici bientôt tous en scène, sur les planches de la mercerie de chez Minnie’s, toute la troupe tarantinienne, avec ses jeunes recrues et ses vieux de la vieille. Déjà dingo pervers sur le « boulevard de la mort », Kurt Russell rempile en chasseur de prime brutal et bourru, un Duke franc du collier, avec quelque part en tête l’idée de faire réapparaître dans le blizzard le fantôme de ce bon vieux MacReady. « Quentin m’a probablement choisi aussi pour les films que j’ai fait avant : les westerns, les films de John Carpenter, notamment « The Thing » lâche-t-il dans les Inrocks. Une monstrueuse tempête de neige interdit en effet toute escapade hors de la taverne obscure, obligeant les protagonistes à cohabiter dans un espace confiné pas très rassurant.

Parmi les convives, on reconnaît Tim Roth dans un rôle de british roublard et distingué, pas bien loin de ce vieux molosse enroué de Michael Madsen, un Mexicain barbu mais pas bien net, et le vieillard Bruce Dern, planté au coin du feu dans l’uniforme d’un vieil officier sudiste qui rejoue sur échiquier la bataille de Bâton Rouge, tout en ruminant sa haine des nègres et des tuniques bleues. Au milieu de cette bande originale (à laquelle Ennio Morricone ajoute la sienne, formidable), on trouvera également une harpie édentée, admirable Jennifer Jason Leigh qui remplace au pied levé une autre Jennifer trop occupée à jouer la star sur diverses franchises. Et puis il y a l’excellent Walton Goggins qui prend enfin du galon (le nouveau sheriff de Red Rock paraît-il), confirmant qu’il maîtrise mieux que personne l’accent du redneck sudiste (on ne se défait pas d’un personnage comme celui de Boyd Crowder si facilement). Quant à James Parks, déjà aperçu en terres tarantiniennes, il prend cette fois les rênes de l’aimable postillon conduisant la diligence tout droit en enfer.

Car les signes aperçus sur la route ne trompent guère un œil averti. Tandis que les nuages s’amoncellent à l’horizon, l’omnibus des citations fait la tournée des westerns en pleine poudreuse (de la « chevauchée des bannis » signé de Toth au « Convoi sauvage » de Sarafian), sans omettre les passages obligés (à la promiscuité de la « Stagecoach », Tarantino ajoute le confinement de « Rio Bravo »), frappe aux portes de la gothique « Hammer » (un calvaire « Agatha » christique en ouverture qui ne dit rien qui vaille, des chaînes qui pendouillent au plafond de l’auberge, le spectre de la tôlière absente qui semble planer) avant de descendre l’escalier qui mène aux caves putrides de l’Amérique (des débordements gores que n’auraient pas reniés Fulci et surtout Sam Raimi). Mais avant de nous pousser dans un bain d’hémoglobine, Tarantino nous aura sucé la cervelle, exigeant de notre part un peu de « patience », comme le suggère l’invité surprise de dernière minute (ou des premières, question de point de vue chronologique).

Pendant plus de la moitié du film, Tarantino aura habilement battu les cartes de ses personnages, laissé traîner quelques indices et soulevé des malentendus afin de bien faire mariner son ragoût. Sur les planches de son petit théâtre, on fait d’abord chanter les langues, armes indispensables pour rester en vie, dernier recours pour un peu de « chaleur » au seuil de la mort. Avant que la légitime violence ne mette un terme définitif aux négociations, on se pique à coup de bons mots, prêchant parfois le faux pour savoir le vrai, faisant monter crescendo la température (par ailleurs toujours glaciale à l’extérieur). Mais « Les apparences sont trompeuses » confirme Joe Gage, le convive amateur de sucreries qui écrit ses mémoires et, comme chez Carpenter, le glaive de la justice (un work-in-progress en cette période post-guerre civile) pourrait bien être forgé de l’alliage des contraires. Pourtant, il n’y en a pas un pour racheter l’autre (surtout vu le cours des mises à prix), aussi infréquentables que « les Cruels » de Corbucci.

C’est peu dire que ces « 8 Salopards » ricanants prêtent le flanc à la critique, bien trop bavards pour être honnêtes, et dont les us trop salissants heurteront les chantres du western aimable et propret (procès longtemps intenté à un certain Leone). En chaussant d’autres éperons à son film, Quentin Tarantino prend des chemins déceptifs mais évite les pièges de la redite tout en assumant son amour du « sur-western » (« un western qui aurait honte de n’être que lui-même et chercherait à justifier son existence par un intérêt supplémentaire » selon la définition de Bazin). Il ajoute avec cette comédie noire sur fond blanc un autre magistral coup de bluff à son impressionnante carrière.

THE HATEFUL EIGHT

22 réflexions sur “Les 8 SALOPARDS

  1. Aaaaaah Quentin. Il divisera toujours.
    Il faut aimer l’hémoglobine, les longues discussions au coin du feu, les flash back…
    Son amour du cinéma me ravira sans fin.

    Mais bon sang, que devient Craig Stark ?

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  2. Le meilleur film de QT depuis au moins Pulp fiction. Il y a des citations mais on est déjà moins dans du copier coller vulgaire présent dans ses films depuis un bon moment. C’est fun, crade mais sans faire trop d’excès (enfin à mon sens, c’est mieux que les délires d’hémoglobine de Django unchained) et bien joué. La palme à Sam Jackson.

    Aimé par 1 personne

      • Pas de rupture car on était là aussi dans du recopiage pour moi. Jackie Brown voudrait ressembler à de la blaxploitation mais c’est lourd. Je trouve Black dynamite ou la série Luke Cage bien plus représentatifs de ce sous genre. Quant à l’autre il voudrait ressembler à des films de poursuites ou des slashers mais est mou et inintéressant en dehors de deux scènes.

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  3. Je te suis complètement. Je fais parti de ceux qui ne boudent pas leur plaisir devant les incursions de Tarantino dans l’Histoire. Et cet opus est magistral en effet.

    Tu dis tout très bien et ton article accorde aussi, avec raison, une place qui se respecte à la thématique politique développée discrètement mais bel et bien présente dans ce film de genres [sic].

    Aimé par 1 personne

    • Le fait politique est désormais une composante de plus en plus visible dans ses films.

      J’attends avec curiosité mêlée d’une certaine appréhension de découvrir de quelle manière il s’est emparé de l’affaire Manson, et comment sera reçu ce film post « Weinstein »…

      Aimé par 2 personnes

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