MARY et la fleur de la sorcière

Ponoc sur la falaise

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« Beaucoup de gens penseront que ce n’est pas une étape majeure, mais d’autres y verront une avancée cruciale. Et en voyant ce genre d’histoire, peut-être ceux qui ont du mal à avancer dans leur vie, qui n’ont pas confiance en eux, y gagneront un peu de courage et seront touchés »

Hiromasa Yonebayashi

Le vent se lève, il était temps de partir. Après presque vingt ans de bons et loyaux services au sein de la maison Ghibli, Hiromasa Yonebayashi éprouvait le besoin de prendre son envol. Désormais maître à bord du Studio Ponoc, il décolle la tête de Totoro pour mettre celle de « Mary et la fleur de la sorcière » en guise de logo, histoire de bien marquer son film du sceau de l’émancipation.

C’est une nouvelle aube artistique qui se lève pour ce réalisateur qui a grandi dans l’ombre du grand Miyazaki. A peine installé dans ses nouvelles responsabilités, le réalisateur n’a pas encore eu le temps de déballer tous ses cartons, à l’image de la chambre à coucher dans laquelle s’éveille la petite Mary, chahutée par des rêves fauchés sur les tables à dessin de chez Ghibli. L’ouverture ne laisse aucun doute sur le pédigrée de l’homme à la manœuvre tant le rythme qu’il impulse d’entrée avec cette chapardeuse poursuivie par une escadrille de fluides coagulés ressemble un écho mélangé des élans du « Château dans le Ciel » et de « Ponyo sur la falaise ». La manière est présente, indubitablement, mais reste à convaincre le spectateur que l’art fait aussi partie de ses ressources personnelles.

L’emménagement de l’héroïne chez sa vieille tante Charlotte laisse à penser que le réalisateur n’ose guère s’aventurer bien loin de son pré carré d’origine. Après « Arrietty » et les mélancoliques « Souvenirs de Marnie », c’est à une autre plume européenne qu’il emprunte l’idée de son récit. S’appuyant sur le roman composé par la romancière britannique Mary Stewart en 1971, Yonebayashi enfourche son « petit balai » afin de faire le ménage dans nos a prioris, tente de prendre de la hauteur en aspirant au sommet de l’animation. L’instrument ménager devient alors pour l’artiste comme un pinceau doué de vie, mais bien difficile à diriger et à contrôler. A peine accueillie par le palefrenier Flanagan, Mary se voit complimentée pour son habileté à piloter ce type d’engin pourtant bien capricieux. Il va sans dire que le travail du réalisateur est de toute beauté, tant sur le plan de la toile de fond que dans son souci du détail.

Yonebayashi dirige l’orchestre de ses collaborateurs avec une adresse remarquable, qu’il s’agisse de la musique composée par Takatsugu Muramatsu qui peine toutefois à s’accrocher à l’oreille, ou de la coloriste Fumiko Namahata elle-même débauchée des Studios Ghibli. Yonebayashi cherche le secret du génie en fréquentant une académie dans le ciel qui emprunte son nom à une pythonisse aux facultés médiumniques, comme s’il voulait à tout crin convoquer les fantômes de ceux qui l’ont formé. Tiraillé entre désir de suivre sa voie et loyauté envers ses aînés, il ne sait plus vraiment à quel horizon se vouer. C’est Mary qui finalement fait le choix à sa place, en volant au secours de Peter, celui qui par sa faute est mis en danger. Mais à cette généreuse démonstration d’altruisme, il manque pourtant l’étincelle de magie qui placerait le film au rang de ses modèles.

Celle-ci opère par intermittence, comme un courant alternatif, comme lorsque notamment il nous fait la visite de ce grand palais du savoir qu’est l’Académie d’Endor, sorte de Metropolis à gaz aux vieux rouages steampunk. Qu’ils soient robots obéissants ou apprentis-sorciers, sous la coupe d’un manipulateur génétique perché sur son île du Docteur Moreau, ils croient aux vertus de la fée électricité et en leur capacité à savoir l’apprivoiser. La structure massive est posée sur un lit de nuages épais évoquant une centrale prête à exploser. L’avertissement à peine voilé qui se veut l’écho des catastrophes montées en série de la terrible année 2011 est à peine rhabillé par le meilleur du fantastique et du conte initiatique. « Il existe sur cette Terre des forces que nous ne pouvons contrôler. Mais ces gens-là croient malgré tout qu’ils réussiront la prochaine fois. » dit la petite héroïne dans ce laïus sans ambiguïté.

Pourtant très vite, le récit reprend des chemins tracés par les vieux maîtres à raconter. Un chemin forestier, une brume passagère et la rencontre avec une fleur aux étranges propriétés vont très vite nous conduire dans un jardin extraordinaire que connaissent fort bien tous ceux qui ont fait le voyage avec « Chihiro » ou voltigé avec « Kiki la petite sorcière ». « Le jardin fait partie du jardinier » lâche le taciturne Zébédée dans son tablier bleu derrière lequel on devine l’invitation du vieux sensei à creuser son propre sillon. Maladroite et affublée d’une chevelure qui attire les quolibets, Mary se confond avec le réalisateur qui semble nous dire par la voix de son héroïne que son « seul vœu est de changer ». Mais quoi de neuf alors dans ce pays des merveilles où l’on croisera une vieille sorcière à lunettes, un scientifique azimuté et un minou tenu en laisse en guise d’assistant-prestidigitateur ? Difficile de trouver de quoi réellement hisser le film en dehors d’un paysage déjà envahi par nombre de talentueux héritiers de Miyazaki.

En prenant le risque de voler très près du royaume de ses pères, Hiromasa Yonebayashi s’expose aux vertiges du vide. Heureusement, porté par les meilleures intentions, il déploie tout son art de la mise en scène, se sachant immanquablement guetté par la comparaison. Et si le dessin semble ici animé d’une magie un peu trop familière, celle-ci opère encore, et c’est bien cela qui compte.

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« Mary et la Fleur de la Sorcière » est disponible aux éditions Diaphana en DVD et BRD depuis le 3 juillet 2018, plus d’infos sur le site et la page Facebook de l’éditeur.
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21 réflexions sur “MARY et la fleur de la sorcière

  1. Hellooooo !
    Pas eu très envie de voir celui-ci de peur d’être déçue en terrain trop connu.
    Tu m’envoies tes étoiles quand tu veux 😉
    Je te souhaite de belles vacances emplies de jolis films et d’excellents rattrapages.
    A bientôt

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  2. Pingback: [Rétrospective 2018/2] Le tableau étoilé des films de février par la #TeamTopMensuel | Les nuits du chasseur de films

  3. Totoro voyait déjà rouge quand il s’en allait chercher une tortue hollandaise pour élargir son horizon de nature et de magie… Le voilà concurrencé ? Remplacé ? Relayé ? Quoi qu’il en soit, même en restant à ce niveau-là, le petit Ponoc impose une qualité tout à fait estimable qu’il serait dommage de bouder.

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  4. Te voilà devenu spécialiste des films d’animation nipponisants ou d’horreur on dirait 🙂
    Et ce n’est pas l’été qui va te faire retrouver le chemin des salles j’imagine…
    Je pensais avoir vu Mary… mais finalement sans doute pas.
    Que dis tu de cette remarque ?

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    • Etonnamment, « Kiki » n’est pas vraiment un Miyazaki de prédilection. Certes, le parallèle entre les deux saute immédiatement aux yeux, pour mieux nous emmener vers autre chose finalement. S’il n’atteint pas la qualité des films des grands sages de Ghibli, Yonebayashi n’est pas manchot dans le domaine de la réalisation.

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      • Kiki, je l’ai vu plusieurs fois avec mes filles et à chaque fois j’ai trouvé ça plus beau et plus profond. Je ne connais pas Yonebayashi, mais je ne doute pas de l’intérêt du film : les japonais sont aujourd’hui les maitres du cinéma d’animation.

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