Au POSTE !

Garde à l’œil

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– C’est qu’est-ce que j’ai dit sur vous qui compte Graham.
– C’est ce que tout le monde croye en ville. Mais moi je vais vous faire montrer que qu’est-ce que je dis c’est qu’est-ce qui faut retiendre…

C’est pas ce que vous croivez, Kad & O.

Que fait la police ? Eh bien elle s’interroge, elle questionne, elle veut connaître la « réalité » des faits. C’est sans doute ce que veut nous laisser croire Quentin Dupieux qui, de retour des United States, file directement « Au poste ! » pour son septième forfait.

Finis les palmiers californiens et les vallées de la mort, terminées les histoires sans tête ni queue aux orchestrations loufoques (le chef finit ici sous les verrous), Dupieux, en traversant l’Atlantique, se replie sur un format classique, s’installe dans un dispositif minimaliste, contingenté entre les quatre murs d’un décor aux murs concaves et aux corridors sinueux (qui serpentent dans le bunker du PCF rue du Colonel Fabien qui fit office de plateau de tournage) rappelant à quel esprit tordu et inconventionnel on est venu se frotter.

Dans ce huis-clos à l’absurde courbe spatio-temporelle, il faut en effet s’attendre à ce que rien ne soit d’équerre, à ce que les protagonistes n’aient pas le compas dans l’œil, et vice-versa. Sous la lumière froide des plafonniers étincelants, ce drôle d’oizo réalisateur braque son projecteur omniscient sur sa vérité, nous place en « garde à vue », entre Twin Peaks et Claude Miller, pas très loin du Lumet de « The Offence », dans une sorte de bureau d’à côté où on aurait laissé à Benoît Poelvoorde le soin de cuisiner le suspect numéro un. Au fond de la pièce, l’adjoint Philippe  rédige sa lettre de motivation pour entrer dans la police. Encore une facétie du réalisateur et scénariste qui de la cohérence ne se soucie guère et s’autorise à mettre les éléments dans le désordre qui lui sied. Passé, présent, futur, morts et vivants se rejoignent et s’interpellent. Les souvenirs en images s’évadent de la machine à écrire du commissaire et nous emmènent prendre l’air sur les lieux du crime.

L’impayable Marc Fraize est le One Eye Jack du poste de police, le valet borgne et crétin de service, une sorte de Jean Lefèvre à la langue trop pendue qui permet à cet hurluberlu de Benoît Poelvoorde de passer pour le Bébel de la PJ, Cooper à col roulé, limier bourru au pif expérimenté. Enfin presque. Il ouvre l’œil et le seul, braqué sur Grégoire Ludig, ex-commissaire à la poursuite de « Santa & Cie », qui se retrouve ici de l’autre côté de la table d’interrogatoire, dans le collimateur de la caméra et du flic chargé de cette affaire d’homicide apparent : un homme a été retrouvé gisant dans son sang au pied d’un immeuble, un fer à repasser posé à ses côtés. Avec Dupieux, la mort est un gag (voire une envie passagère) qui fait plutôt dans le brutal, qu’il s’agisse d’un pneu qui met le feu, de personnes qui convulsent de douleur dans les fantasmes d’Alain Chabat (aura-t-il un Oscar pour ce nouveau cri ?), ou de cette meurtrière à la hache qui s’en prend au chanteur de Metronomy dans le clip qui leur a réalisé.

Un peu hagard, presque étonné d’être là, le pauvre Fugain ne semble rien comprendre à ce big bazar de polar, lui qui a tout du brave témoin à moustache au profil irréprochable. Il commence aussi à trouver le temps long alors que l’on fait à peine sa connaissance. Le décor est planté, les trois coups de cette mascarade policière bien connue peuvent retentir. « On reprend » dit le flic à l’accent belge après maintes tergiversations téléphoniques sur un autre sujet. Car dans ce café-théâtre policier qui enferme ses comédiens à double tours (et ses cadavres dans un placard), les faits sont principalement rapportés par la parole. « J’avais une grosse envie de filmer du dialogue » confesse le réalisateur frustré de n’avoir pas pu laisser chanter librement sa prose durant sa carrière aux Etats-Unis. Dupieux s’amuse de nos tics de langage, fait de l’ordinaire et du prosaïque une ressource précieuse qui n’appelle nulle justification (« la banalité m’intéresse » explique-t-il). Aussi n’hésite-t-il pas à tourner en ridicule le diktat du « c’est pour ça ».

Après avoir initié la quête du juste cri dans son précédent film, le voici parti à la chasse du terme approprié. D’un « aller-retour » narratif à l’autre, le « va-et-vient » obtenu est quoiqu’il en soit hautement jubilatoire. Le rire surgit sans crier gare, dans un mélange sucré-salé de situations plus inattendues les unes que les autres, jusqu’au débrief post-générique. Dans le cinéma « No Reason » de Quentin Dupieux, il faut se préparer à ce que tombe le quatrième mur, à ce que l’insolite devienne la norme, que l’incongruité fasse loi. Le réalisateur assume ici son flagrant délire en une sorte de braquage « Magnifique » de l’esprit de Broca secoué dans la hotte du « Père Noël est une ordure ». « Tu seras Zézette » a-t-il dit à Anaïs Demoustier qu’il affuble de l’improbable coiffure bouclée de Valérie Mairesse.

Réfugié dans son hexagone natal, Dupieux laisse loin derrière lui flics californiens, producteurs snipers et autres pneumatiques psycho killers. C’est un retour original et savoureux à la mode du polar de tradition française, où ce qui compte, c’est le pourquoi du comment ça s’est passé. Enfin presque.

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18 réflexions sur “Au POSTE !

    • Bonjour Dasola,
      ça vaut un bon match assurément, et c’est aussi beaucoup plus drôle ! Pas sûr que la ferveur Dupieux Quentin plaise à tout le monde néanmoins, j’ai déjà commencé à lire l’ire que quelques grinceurs de dents. 😉

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    • Dupieux ici est à deux pas de Chabat malgré tout. Il y a chez lui une démarche proche des Nuls qui vient des Monty Python, des surréalistes et des pataphysiciens.
      C’est sûr que dans le paysage de la comédie aujourd’hui, il marche seul.

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  1. Pingback: [Rétrospective 2018/7] Le tableau étoilé des films de juillet par la #TeamTopMensuel – Les nuits du chasseur de films

  2. Tiens, je vais passer encore pour une rageuse, j’ai pas du tout aimé (alors que j’avais adoré Réalité). J’ai trouvé ça interminable et assez prétentieux pour un final prévisible et proche du foutage de gueule.

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    • Interminable pour un film qui ne dure même pas 1h30, c’est inquiétant en effet. Et prétentieux, ça me surprend aussi car s’il y a un réalisateur qui ne se prend pas la tête avec l’égo, c’est à mon avis Quentin Dupieux. Maintenant, ses films sont suffisamment dingos pour qu’ils puissent laisser du monde à la porte. Et il faut bien avouer que si on ne se prend pas au jeu dès le départ, on risque de trouver le temps long. En ce qui me concerne, je crois que si Dupieux filmait un pneu qui se promène dans le désert californien pour tuer des gens, ça me plairait aussi (ah bon ? c’est déjà fait ?) 😉

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