HOSTILES

Two rode together

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« The only good indians I ever saw were dead. »

General Philip Sheridan, 1871

Aujourd’hui plus qu’hier encore, le western est moribond. Les Oscars d’Eastwood et de Costner sont désormais bien loin et ils ne sont plus qu’une poignée chaque année à entretenir la flamme du bivouac. Parmi eux, il y a Scott Cooper, qui pense que « tout réalisateur américain qui se respecte devrait, à un moment de sa carrière, diriger un western. » C’est chose faite en ce qui le concerne avec « Hostiles », chronique âpre et brutale d’un passé taché de sang.

Comme dans son précédent film « Strictly Criminal », Cooper semble fasciné par la violence des hommes. Les criminels ici à l’œuvre sont toutefois d’une autre trempe, appartenant à deux archétypes distincts. Derrière l’épaisse moustache de vieux matou mal léché on reconnaît Christian Bale (grand ami du réalisateur) en Captain Joseph Blocker, boucher assermenté, vêtu du bleu de la probité, portant haut la bannière étoilée et parlant couramment la langue de l’ennemi. De l’autre côté des barreaux, il y a le Chef Yellow Hawk confié à l’impressionnant Wes Studi (le Huron sanguinaire du « Dernier des Mohicans » de Michael Mann), vieux Cheyenne, à la peau cuivrée et parcheminée, boucher de circonstance, qui protégea son peuple et sa terre natale quitte à user des méthodes les plus cruelles. « Hostiles », ils le sont donc l’un pour l’autre, aussi irréconciliables que McIntosh et Ulzana dans l’excellent « Fureur Apache » de Bob Aldrich. Apparemment.

« Les Etats-Unis sont plus que jamais une nation fracturée, expliquait le réalisateur dans Le Point. En tous cas j’ai le sentiment que nous n’avons jamais été aussi divisés. » Sur ce sujet, une des meilleures scènes que filme Cooper se situe dans le bureau du colonel Biggs (interprété avec prestance par Stephen Lang, autre récurrent des films de Mann mais surtout cadre militaire impitoyable dans « Avatar », le western SF de James Cameron) où s’affrontent par le verbe l’Amérique aux mains sales incarnée par Blocker, et l’Amérique emplumée de vertu représentée par ce journaliste venu de l’Est pour faire la morale au tueur d’Indiens. Sous le regard passif de l’officier supérieur, les tensions s’exacerbent à l’énoncé des faits d’armes, à l’évocation des actes de sauvagerie. On comprend alors que la haine raciale qui boue en Blocker est le dernier rempart moral avant effondrement.

La mémoire (rancunière donc mauvaise conseillère) joue d’ailleurs un rôle essentiel dans la justification des actes du film, et les dialogues n’ont de cesse d’y faire appel. A plusieurs reprises, les hommes vont puiser dans leurs souvenirs pour verbaliser telle injustice ou tel traumatisme. Il peut arriver à Cooper de filmer la violence, de la montrer « sans concession » comme il le dit lui-même, mais il a aussi l’intelligence de savoir qu’il faut parfois la dissimuler, sous une toile de tente ou dans le hors-champ d’une ellipse, pour qu’elle en devienne plus insupportable encore. Sa manière de filmer Indiens, cavaliers et paysages grandioses, sa propension à se laisser porter parfois par le score magnifique de Max Richter, tout concourt à réveiller le meilleur de l’âge d’or du genre.

Anthony Mann est en embuscade, mais c’est surtout à John Ford et à ses « Searchers » que renvoie l’attaque inaugurale qui voit une famille de pionniers se faire étriper par des Comanches en furie. Joe Blocker, vieux soldat qui, tel le John Wayne de « she wore a yellow ribbon », s’apprête à prendre sa retraite, est à la croisée d’Ethan Edwards et de l’« Unforgiven » William Munny. Mais Cooper, optimiste invétéré, veut croire lui en une hypothétique rédemption, et surtout en une possible réconciliation. Il l’imagine sous la forme d’un long périple jonché de cadavres. Il y trouvera femme et réconfort (Rosamund Pike, magistrale mais hélas, comme dans beaucoup de westerns, trop accessoire), en même temps qu’une lueur d’espoir dans la nature humaine.

Le récit se déploie assez vite à travers les grands espaces, de l’aride Nouveau Mexique vers les vertes vallées du Montana. Le soir, à la faible lueur jaunâtre d’une lampe à pétrole, le capitaine Joseph Blocker s’évade en lisant Jules César dans le texte, « un des hommes les plus courageux qui soient » d’après lui. Ce choix de lecture en dit long sur la mentalité du chef d’escadron. Il est un conquérant, de la race des vainqueurs. Il a été de tous les fronts, a survécu à Little Big Horn (pas comme Custer aime-t-il à rappeler dans un dialogue), a lavé son honneur dans le sang des hommes, des femmes et des enfants qu’il a massacrés à Wounded Knee. Il a fait le job certes, mais il est désormais condamné à vivre avec ça sur la conscience.

Depuis ses premiers tours de manivelle, Scott Cooper est le cinéaste d’un peuple en souffrance. Attaché aux racines de son pays, il aime en suivre les chemins de traverse, emprunter les pistes secondaires, s’invitant chez les déclassés ou les laissés pour compte. Il s’est voulu « Crazy Heart » en suivant la trace d’un chanteur de country en bout de route (il garde ici le goût des ballades au coin du feu en engageant le songwriter Ryan Bingham), s’est pris pour Cimino en se faisant chantre des « Brasiers de la colère » d’ouvriers au bout du rouleau. Dans tous les cas la mort est aux aguets, prête à fondre ici sur l’Indien entravé comme sur le cavalier en uniforme. Tous ont été soigneusement échantillonnés par Cooper : un Sudiste « mélancolique », un Buffalo Soldier, un gradé de West Point et un petit bleu frenchie confié à notre Timothée Chalamet qui va vite comprendre sa douleur. Si disert à faire verbaliser le contentieux qui oppose le colon au Natif, il reste néanmoins très distant sur celui qui pourrait opposer le Noir et le Confédéré, le Rebelle et le Yankee. Au contraire, il exacerbe chez eux un sentiment de fraternité liée à l’uniforme, scellée au front des guerres indiennes, comme s’il fallait qu’une force antagoniste vienne concilier l’inconciliable.

Ainsi se justifie le long chemin de souffrance que Cooper, la main toujours aussi lourde sur la représentation du pathos, a préparé en amont pour autoriser une réconciliation dans la douleur. Mais les artisans de cette réconciliation ne peuvent être les barbares de naguère, et celle-ci ne peut éclore que d’une autre génération à qui, étrangement, il choisit de remettre un livre de « Guerre ». Curieux choix qui s’accorde à cette fin prenant le contre-pied d’Eastwood ou de Ford. Formellement impressionnant et magnifiquement dirigé, « Hostiles » reste néanmoins sur le seuil des grands totems du genre, bien trop alourdi par ce fardeau moral auquel tient tant son réalisateur.

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45 réflexions sur “HOSTILES

  1. seuil dans grands totems du genre ?
    Toi parler petit cherokee ?

    Rosamund est magistrale : point.

    Tu confonds pathos avec compassion, humanisme, utopisme, rédemption mûrement réfléchie…

    J’ai un défaut ou un atout, je vois les films sans les comparer (ou exceptionnellement) même si je perçois les influences.

    Tu ne mérites pas ce film et tu m’énerves. BZZZZ.

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  2. Je rigole dans mon coin et, du coup, autant rire à plusieurs. Essayer, en tout cas.

    Juste pour dire que je n’ai toujours pas vu le film, mais qu’en plus des arguments favorables développés ici et là, votre petite controverse, Pascale et Princécranoir, réveille mon envie de se mettre sur la piste de ce western tardif.

    Y a-t-il plus beau film d’indien « récent » que « Danse avec les loups » ? Cela reste donc pour moi à déterminer…

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  3. Décidément, ce film fait écrire et parler. Cet état de fait est plutôt positif. Je reste enthousiaste sur l’opus de Cooper. Il traite une question difficile. Malgré les traumatismes collatéraux, il tente d’esquisser une réconciliation, une note d’espoir sur l’autel du massacre et du sang. Je pense à un autre film, celui de Delmer Daves dans un autre registre et à une autre époque: « Broken Arrow » mais surtout à l’esprit voulu par l’auteur . Ce dernier disait sur la flèche brisée:  » sa nécessité de comprendre nos voisins, sans distinction de race et de couleur de peau, pour arriver à un seul genre de vie raisonnable que l’on puisse mener, la vie pacifique ». Voeux pieux certainement, mais que Cooper veut distiller dans son film dans une volonté de paix indispensable comme à l’approche de la fin d’un conflit. Cette chevauchée initiatique vers le territoire d’origine n’est-elle pas une recherche vers une sortie réconciliatrice et finalement la tranquillité d’esprit de ses hommes.
    Rappelle toi princecranoir de cette chanson au début du film de Ford que tu citais:
     » A man will search,
    Go searching way out,
    There his peace of mind,
    But where, o lord,
    Ride away, ride away, ride away, ride away…. »

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    • Autre époque en effet que celle de Daves qui prône surtout et d’abord un révisionnisme westernien, qui réhabilite l’image de l’Indien et s’oppose à l’imagerie du « sauvage » que l’on massacrait comme du bétail dans les films des années 30 et 40. On sait surtout ce qu’il est advenu des tribus une fois les guerres indiennes terminées, de ces peuples déportés, affamés, alcoolisés et oubliés au fin fond des montagnes (là encore je renvoie à « Wind River » et sa moto-neige). Facile de tendre la main quand celle-ci n’est plus capable d’être mordue.

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      • Salut mon prince, on est tout a fait d’accord sur ce sujet. Cependant, je voulais parler surtout du rapprochement de deux hommes, finalement traumatisés par leurs trajectoires et ce qui s’imposait à eux à la fois dans une démarche de suprématie pour l’un et de survie pour l’autre. Au delà d’impératifs dictés par des pouvoirs, des commandements etc… il y a avant tout dans la rencontre entre le capitaine et le chef indien un face à face d’homme, l’un arrivé au bout de sa vie, l’autre au bout de sa carrière mortifère. Finalement, au fur et à mesure de cette chevauchée, chacun sort de sa fonction qui les divisait auparavant même si le chemin vers le Montana est parsemé d’ hostilité et jalonné de violence à l’image de leurs combats. Cooper veut peut-être insuffler une certaine humanité dans des individualités opposées et si proches au bout du compte ( dans un contexte de fin de parcours choisi ou pas). Le trait d’union reste la souffrance et surtout une réconciliation avec soi-même. Cette phrase d’un chef indien est à méditer:  » Ma main n’a pas la même couleur que la tienne, mais si je la perce, j’aurais mal. Le sang qui en coulera sera de la même couleur que le tien. Nous sommes tous deux enfants du grand esprit ».

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  4. Des intentions fort louables, une bien belle réalisation, des acteurs au top (bien que le petit Christian cabotine un peu, mais bon, c’est Cricri), mais un film qui se perd à trop vouloir en raconter : la rédemption du héros, le deuil pour la veuve, la recherche d’une paix bien méritée pour le vieil indien, la quête de sens des jeunes soldats, le road movie (ou path movie), la référence à César bien trouvée mais pas exploitée. A trop vouloir en raconter, le propos est je trouve atténué et c’est un peu dommage. En revanche j’adore la fin, qui réconcilie tout le monde dans une épiphanie d’une violence brute qui surprend le spectateur. Cooper est un bon, il l’a déjà démontré et même si son film n’est pas de la trempe de Danse avec les loups ou d’Impitoyable (pour rester dans les plus récents, quoique pas tant que ça), son western n’a pas à rougir : ceux qui ont vu le récent Hickok de Woodward comprendront, ceux qui ne l’ont pas vu s’économiseront 1h30 de temps précieux et une furieuse envie de démonter tout ce beau monde à coup de colt. Il faudra juste la prochaine fois avoir la main un peu moins lourde sur les épices, parfois une petite pincée de sel suffit.

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    • L’éparpillement a tendance,comme tu le suggères,à négliger certains personnages. C’est dommage en effet, car la manière est belle. J’aime l’idée de ce traitement post-traumatique du soldat, cette incapacité à envisager le futur. Il y a quelque chose de la mentalité de la Horde Sauvage dans cette impression qui se dégage de ces personnages n’appartenant plus à leur temps, comme s’ils étaient les produits d’un âge barbare. Cela en fait un western psychologique, pas forcément du goût de tout le monde. Malheureusement, malgré la lecture « moderne » du genre, il ne s’épargne pas quelques clichés malheureux : l’indien Yellow Hawk, lui aussi boucher sanguinaire, se montre beaucoup plus sage que son homologue blanc. Et puis il y a la présentation problématique des Comanches, y aurait-il de bons indiens (assagis) et de mauvais indiens (toujours sur le sentier de la guerre) ?
      L’enchaînement des incidents qui donne aussi au territoire son titre « hostiles », mais qui apparaît comme une sacrée poisse semblable à celle que traînait Bale déjà dans Out of the Furnace.
      Tout ça vient minorer l’impact d’un film qui pourtant reste intense en memoire, imprimé le souvenir d’avoir traversé l’Ouest (et le temps) en bonne compagnie. C’est vrai qu’ils sont peu les grands westerns sur nos grands écrans. As-tu jeté un œil sur « Godless », la mini série de Scott Frank (scénariste de Logan) produite par Soderbergh ? Vraiment pas dégueu.

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  5. J’ai oublié de dire que cela m’avait furieusement donné envie de revoir le téléfilm « Enterre mon coeur à Wounded Knee » que j’avais adoré à l’époque… Quelqu’un sait si ça se trouve dans les bons saloons ?

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  6. Pingback: [Rétrospective 2018/3] Le tableau étoilé des films de mars par la #TeamTopMensuel – Les nuits du chasseur de films

  7. Mon chef-d’oeuvre de l’année, je ne m’en suis toujours pas remise, j’écoute même régulièrement la BO (mais pas trop parce que je pleure et c’est dangereux au volant) et là BIM LE BLU RAY.

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