… Et tu retourneras à la poussière.
« Débris de gens du monde entier. United Colors of Babel. »
Frédéric Beigbeder, Windows on the World, 2003
C’était aussi un mardi. « 8h30. Le ciel est bleu mais personne n’en profite. » écrit encore Beigbeder. Et pour cause. Un point d’incandescence s’illumine sur la planète en cette année « 2001 » si redoutée par Herbert et Kubrick. L’anticipation rejoint la réalité lorsque deux avions de ligne détournés par des terroristes percutent les tours du World Trade Center. L’évènement inaugurait « l’ère la plus dangereuse que le monde ait connu » (selon les termes du grand prédicant Rumsfeld). Un nouveau siècle débute, placé sous le signe de la grande menace, l’avènement d’un Big Brother orwellien baptisé « Patriot act ». Mais c’est à un autre grand nom de la science-fiction, la plume éminente et éclairée de Ray Bradbury, que Michael Moore a choisi de porter la température de son fracassant documentaire « Fahrenheit 9/11 ».
Lauréat de la prestigieuse Palme d’Or cannoise, l’investigateur polémiste comptait bien miser sur l’impact médiatique et le succès possible de son film pour faire échec à la réélection du président George W. Bush. Hélas pour lui, il n’en fut rien car aucun roman (et a fortiori aucun film fût-il documentaire) n’est capable de changer la couleur d’un bulletin de vote. Le brûlot de Moore ira ainsi se consumer lentement dans le brasier irako-afghan allumé par son pire ennemi politique. Les vérités y sont pourtant assénées dans un réquisitoire partial et orienté, selon un procédé forcément contestable (au point de taxer le film de « documoqueur » par certains critiques), désignant un seul et principal responsable du carnage : le gouvernement en place aux Etats-Unis.
Revoir « Fahrenheit 9/11 », alors que l’ombre de l’obscurantisme et du populisme plane sur nos têtes de démocrates, permet de revenir aux fondements même des troubles qui agitent notre actualité. Bien sûr, lorsque Moore boucle son documentaire, le dictateur Saddam Hussein est encore introuvable et Oussama Ben Laden n’a pas encore stoppé sa cavale à « Zero Dark Thirty ». Souvenons-nous qu’avant de déclarer la fatwa à l’encontre « des Juifs et des Croisés », le sinistre gourou d’Al-Qaïda se félicitait pourtant de l’aide apportée par ses alliés américains dans la lutte « contre les athées et les communistes » en Afghanistan. Par un savant montage dont il a fait sa marque de fabrique, Moore prend d’ailleurs un malin plaisir à démontrer les multiples collusions entre les princes du pétrole saoudiens très proches de Ben Laden et la famille Bush destinée à diriger la première puissance mondiale sur deux générations. Il ne dit rien en revanche des raisons du revirement qui conduisirent aux attentats du 11 septembre. Ceux-ci, si abondamment exhibés sur toutes les télés du monde, resteront dans l’ombre d’un mardi noir que l’écran se refuse à nous montrer à nouveau. Moore, inspiré, préfère la puissance du contre-champ, de ces visages de policiers, de pompiers ou de simples citoyens new-yorkais frappés de stupeur, souvent incapables de réaliser. On trouvera dans la pluie de cendres et de papiers voltigeant dans les rues de la ville sans doute les plans les plus forts du film. Quant au laxisme dont ont fait preuve les autorités au lendemain même des évènements, il jette un voile trouble sur la gestion de la situation, au risque de renforcer les convictions des hyènes affamées de conspirationnisme.
Certes, « Fahrenheit 9/11 » est loin de porter un regard objectif sur le sujet (à ce titre, on lui préfèrera le plus subtil « monde selon Bush » de William Karel) et tous les moyens semblent bons pour mener à bien son combat politique. Mais on ne pourra lui reprocher de nous mener par le bout du nez un peu plus loin que la surface des médias. Comme le dit très bien Alexandre Tylski dans son commentaire, « là où la télévision américaine s’arrête, le cinéma de Michael Moore commence ». Toujours animé de cette même logique de pensée adossée aux grands thèmes de la littérature d’anticipation, l’uchronie qui ouvre le film intronise l’écolo Al Gore à la Maison Blanche, ayant de toute façon obtenu plus de voix que son adversaire en 2000. Qui peut dire si l’avenir en aurait été changé ? Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les feux allumés en Irak sont bel et bien de la responsabilité de la présidence Bush, et la guerre qui s’ensuivit s’accompagne de son indéfectible cortège d’atrocités et de traumatismes.
Pour mieux choquer les esprits, Moore donne volontiers dans l’étalage de cadavres mutilés, carbonisés et démembrés, de soldats, de civils, de femmes et d’enfants submergés de souffrance et de malheur. Dans un montage au cynisme chirurgical, il s’emploie à confronter les déclarations d’un Donald Rumsfeld faisant l’apologie d’une guerre « d’une grande humanité » aux conséquences avérées des bombardements. Aux cris de douleur des mères iraquiennes pleurant leurs enfants massacrés, Moore répond par les larmes d’une mère américaine inconsolable après la mort de fils dans les rangs de l’armée U.S. « Celui qui ne craint pas la mort ne meurt pas ! » crie un Iraquien montrant le corps sans vie d’un enfant devant la caméra, et c’est alors le visage hideux de la grande boucherie qui sévit encore aux confins de la Syrie qui remonte à la surface. Avec le recul, on peut constater avec effroi combien ce discours guerrier n’a fait qu’aggraver la situation, radicaliser les esprits, faisant basculer l’humanité un peu plus vers le chaos.
Cette invasion sous couvert de « libération », motivée par des enjeux financiers énormes, a laissé des séquelles énormes, ouvert des plaies béantes qui ne se sont jamais refermées. Elles se sont même élargies. « Il ne s’agit pas de savoir si la guerre est réelle ou non. La victoire n’est pas possible. Il ne s’agit pas de gagner la guerre, mais de la prolonger indéfiniment. » écrivait George Orwell dans son visionnaire « 1984 ». Il ne nous reste plus à espérer qu’il finira un jour par avoir tort.
Les films de M. Moore sont excessifs et pas toujours objectifs mais nécessaires . Je me souviens que celui ci m’avait impressionnée et enthousiasmée.
Je ne retrouve plus mon article. Tant pis.
ira ainsi son consumer
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Pas toujours objectifs, c’est un euphémisme. On est effectivement ici face un argumentaire très largement orienté. Mais force est de constater que les conséquences de cette politique se font encore sentir plus de quinze ans plus tard.
J’imagine déjà le bain de vitriol dans le quel il va tremper son documentaire sur Trump.
ps : merci, je corrige
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Le mien aussi est un vieil article que j’ai dépoussiéré pour qu’il colle à l’actualité.
J’ai voulu mettre en illustration ces images terribles de New York frappée au cœur, shaky cam terriblement cinématographique d’une terrifiante réalité.
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