Quelques jours avec moi

Larme à gauche

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« Travailler avec Marielle a été un grand plaisir. Pour moi, c’était une apothéose de lui donner un second rôle de cette qualité. »

Claude Sautet in Sautet par Sautet, N.T. Binh et Dominique Rabourdin, 2005

« Les Césars, j’en ai rien à foutre. Je ne suis pas un acteur de tombola. »

Jean-Pierre Marielle

Quand un acteur s’éteint, c’est aussi une voix qui se tait. Jean-Pierre Marielle était une voix unique, singulière, reconnaissable entre toutes. Ne retenir qu’un film parmi tous ceux qu’il a tournés relève de l’absurde, car ils appartiennent tous à ce que Philippe Labro appelle « la légende Marielle ». Mais lorsque Claude Sautet lui propose de passer « quelques jours avec moi », on ne demande pas mieux. Sur son nom, on est prêt à faire les valises et à partir vers on ne sait quelle destination.

Il se trouve que depuis la fin des années 60, dès lors que Sautet préférât l’auscultation de la bourgeoisie parisienne à l’exotisme d’un périple voilier sous le soleil des Antilles (au risque de passer « l’arme à gauche »), ses films n’avaient plus guère l’occasion de dépasser la ceinture du boulevard périphérique. « Je sentais que je m’engluais », explique-t-il, « que j’avais touché le fond avec « Garçon ! », prisonnier d’une espèce d’auto-complaisance. A force de suivre des personnages de ma génération, ça avait fini par me coller à la peau, et je me suis dit que je ne pouvais plus continuer comme ça. »

Sautet prend donc ses cliques et ses claques, délocalise sa caméra en province, dans le Limousin très exactement, pour y voir si les rapports humains y sont plus sains. Il change aussi de scénariste (adieu Dabadie, bonjour Jacques Fieschi) et renouvelle sa famille d’acteurs. C’en est donc fini de Romy, Lino, Piccoli, Montand et les autres. Les premiers sont morts, les autres ont changé de réalisateur, ce sont les choses de la vie. Sautet pioche allègrement dans le vivier des trentenaires en vogue à l’époque. L’homme au cigare en profite donc pour passer ses nerfs sur un tout jeune Vincent Lindon pétrifié de tics et de trac, tandis qu’il s’enthousiasme du jeu de Daniel Auteuil qu’il réembauchera pour son film suivant unanimement salué « un cœur en hiver ».

Pour l’heure il s’agit donc d’opérer une curieuse mutation, un savant mélange entre chronique de classe et comédie douce-amère, tirant parfois vers un absurde pas forcément désagréable. Chaque personnage semble ici évoluer en tant que stéréotype de son époque, essayant de concilier au mieux interprétation personnelle et contrainte d’écriture. Hormis Auteuil qui se maintient dans une forme d’observateur anticonformiste et neutre tout droit sorti d’un asile psychiatrique, ce sont les vétérans du groupe qui s’en sortent le mieux. Jean-Pierre Marielle, parangon d’hypocrisie au discours lénifiant depuis longtemps rôdé, est tout simplement formidable (mais le César ira cette fois à Patrick Chesnais pour « la Lectrice »), tandis que la divine Danielle Darrieux se contente de tirer une tronche pas possible en voyant son fiston négliger froidement les principes fondamentaux de son milieu d’origine.

Héritier d’une riche famille ayant fait fortune dans le supermarché (les Pasquier pourraient bien cousiner avec les Leclerc), écœuré des faux-semblants conventionnels qui l’obligent à cohabiter avec une épouse qui couche avec un collaborateur, Martial quitte Paris pour inspecter un magasin de Limoges. Il n’y trouve rien que de très attendu, à commencer par ce monsieur Fonfrin qui se fait prendre avec les doigts dans la caisse comme un écolier de la communale. La partie qui nous amène chez les époux Fonfrin (mention spéciale à Dominique Lavanant qui faisait alors parfaitement montre de sa capacité à jouer les bourgeoises constipées), qui nous vaudra une très savoureuse scène de repas, le film tutoie le meilleur de la satire sociale.

Passer à table avec Sautet, c’est un peu comme un travelling chez Orson Welles ou un gros plan chez Sergio Leone, c’est une sorte de passage obligé. Ça et discuter en voiture, car depuis son premier film « classe tous risques » où Ventura et Bébel tapaient la discute sur la route Italie Paris, on n’a pas fini de jacter au volant dans les films de Claude. Filmé en studio, à l’ancienne, avec un panneau déroulant en arrière-plan comme dans un vieux Hitchcock, on dirait que Sautet a voulu ajouter une tonalité un peu surannée à sa mise en scène. Plutôt paradoxal quand on suppose que le propos incisif se veut en phase avec les réalités de son temps.

Bien moins inspirée encore est la nature de cette relation façon « je t’aime moi non plus » entre le rupin Martial Pasquier et la bonniche prolo Francine campée par Sandrine Bonnaire. Le final tragique résonne quant à lui de manière si artificielle et prévisible que la happy end équivoque qui s’ensuit laisse une impression mitigée sur l’ensemble du film. Il faut dire que le souvenir de la mode musicale et vestimentaire de la fin des années 80 n’aide pas beaucoup. La scène de la soirée dans l’appartement de martial prend à ce titre des allures de java reggae complètement incongrue qui, sans l’évidente satire sous-jacente, sombrerait dans un grotesque achevé (la présence de Jean-Pierre Castaldi grimé milord du PMU comme une sorte de Dino sans Shirley n’aidant pas non plus). Bref un Sautet somme toute assez moyen, plutôt daté, mais un Sautet quand même.

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37 réflexions sur “Quelques jours avec moi

  1. Bon jour,
    Excellent article 🙂
    « Vincent Lindon pétrifié de tics et de trac » : j’ai eu l’occasion de le rencontrer une fois et à la question de ses tics, il a dit : »j’ai des tics comme ceux qui ont des tocs. À chaque fois que je fais un tic, je m’en rends compte et d’ailleurs je me dis : tiens encore un tic. Mais quand le metteur en scène dit : « moteur » je n’ai plus de tics. Une fois, des camarades de tournages mon fait croire qu’il y avait une caméra, mais bon cela n’a pas fonctionné, elle ne marchait pas. »
    Max-Louis

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  2. Je suis moins sévère que toi avec ce film dont je garde un merveilleux souvenir.
    Je trouve que Sautet ici et dans Un coeur en hiver y sublime Auteuil qui se laisse parfois aller à la facilité.
    Mais le grand Marielle en Fonfrin touche au génie. Sa tendresse pour Martial est émouvante et sincère. Il savait comme personne interpréter l’humanité et la compassion.
    Et cette voix !!! Traînante, fatiguée, plutôt classe et drôle à la fois.

    Vincent n’avait pas un rôle facile…

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    • Marielle est un Fonfrin tout bonnement parfait. C’est effectivement un grand du cinéma français qui tire sa révérence.
      Pour tout dire, j’ai farfouillé dans mes archives pour trouver un film qui illustre le génie de JP, j’en ai sorti ce vieil article sur ce petit Sautet que, j’avoue, je n’ai pas revu depuis. Je serais peut-être plus indulgent en le revoyant aujourd’hui. Il faut que je voie « un cœur en hiver » qui a une excellente réputation.

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  3. Tu as tout dit : Ah la voix, le regard de Jean Pierre Marielle.. que de souvenirs. Je l’appréciais beaucoup cet immense acteur. « Que la fête commence » de Tavernier m’avais beaucoup plu et un autre film où il vend des encyclopédies, une arnaque à des pauvres gens crédules.. c’était très drôle mais je ne sais plus le titre du film ^^ 😉 Merci à toi pour cet hommage 🙂

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    • C’est vrai, ce sont deux personnalités remarquables du paysage cinématographique français qui nous quittent coup sur coup.
      J’ai bien fouillé mes archives pour trouver trace d’un film avec Anémone que j’aurais chroniqué mais… non, rien. Et c’est un grand regret.
      Evidemment, on rappelle sa participation aux formidables comédies populaires tournées avec l’équipe du Splendide, également sa prestation acclamée pour « le grand chemin », mais je garde d’elle, très fort en mémoire, un rôle plus à la marge, la dénommée Maxime qu’elle interpréta dans « pas très catholique » de Tonie Marshall. Elle était une actrice rare, et donc d’autant plus précieuse.

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