RAMBO : first blood

Medal of honor

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« Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : faiblesse ou force : te voilà, c’est la force. Tu ne sais ni où tu vas, ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre. »

Arthur Rimbaud, mauvais sang, 1873

« Rambo. Compliqué, préoccupé, obsessionnel, trop souvent incompris. Si vous avez entendu parler de lui et que vous ne l’avez pas encore rencontré, il est sur le point de vous surprendre. »

David Morrell, Santa Fe, 2000.

Survivre à la guerre. La question s’est posée à tous ceux qui, harnachés, entraînés, équipés et armés, sont un jour partis en mission sur les points chauds de la planète. Combattre, échapper aux balles et aux explosions, déjouer les pièges de l’ennemi, s’infiltrer dans les tunnels, se faire prendre et tenir bon face à la torture, face aux plus atroces conditions de détention : tout ceci n’est qu’une partie de l’incroyable gageure relevée par les soldats envoyés au front. Tous ces périls, « Rambo » les a surmontés au Vietnam. Ce soldat d’exception, héros fictif né sous la plume de David Morrell, porté à l’écran par le canadien Ted Kotcheff, est devenu légende sous les traits de Sylvester Stallone. Pour lui, comme pour bien d’autres vétérans ayant versé le « Premier sang », le retour à la mère patrie n’est pas la garantie d’une éternelle reconnaissance.

Au bout d’un chemin, au débouché d’une route encore trempée par la dernière averse, Johnny comes marching home. Le vagabond a la carrure solide (celle que s’est forgé Stallone avant d’enfiler les gants de « Rocky »), porte blue-jean et veste de treillis militaire. Ses cheveux sales, sa figure pileuse et son impressionnant couteau de chasse attirent l’attention et la méfiance du représentant de l’autorité locale. Mais la plus grave atteinte à la tranquillité publique, la plus problématique offense faite à ce petit coin « ennuyeux » du Pays de la Liberté, semble être ce drapeau cousu sur sa poitrine, motif de fierté auquel le vet-errant s’accroche en désespoir de cause. « Ce drapeau avec votre allure, c’est une provocation ici. » lui lance le sheriff Teasle (Brian Dennehy, ignoble à souhait, qui avait déjà croisé la route de Stallone dans « FIST »), une sorte de redneck étoilé qui s’est octroyé les pleins pouvoirs sur ce petit coin reculé des Etats-Unis.

L’insupportable arrogance dont l’homme en uniforme fait montre à l’égard de l’ancien soldat immédiatement indigne et révolte. Pourtant, elle n’est que le reflet d’une opinion largement partagée à l’époque à l’égard de ceux qui revinrent de cette campagne lointaine et impopulaire. D’emblée Kotcheff, sur la base d’un script maintes fois remis sur le métier (et sur lequel Stallone lui-même a posé sa griffe), pointe du doigt l’attitude d’une partie non négligeable du pays épuisé par près de vingt années de guerres quasiment ininterrompues à l’autre bout du monde (de la Corée au Vietnam), marquée par une défiance à l’autorité centrale, n’assumant plus son histoire, ses valeurs communes et ses choix politiques. Quant à Rambo, le hobo en veste kaki qui porte à jamais sur son corps les stigmates de souffrances endurées pour son pays, il est le symbole d’une frange de l’Amérique déboussolée, esseulée, qui ne sait plus où elle habite. A cette ultime humiliation, il répondra en franchissant le Rubicon.

Sylvester Stallone a longuement hésité avant de devenir cet homme, échaudé par plusieurs tentatives de sortir du ring qui se soldèrent par des échecs. Il faut dire que l’adaptation de « First blood » n’a pas bonne réputation, ayant voyagé près de dix années d’un studio à l’autre, de réalisateur en réalisateur, boudée par une pléiade d’acteurs de renom. Quand enfin il échoit dans le paquetage de Sly, le projet est dans le même état que son personnage principal, repoussé et abandonné de tous, même « Zippy le singe a dit non » plaisante l’acteur. C’est dire si l’histoire de ce viet-vet en a dérangé plus d’un à l’époque. Il faut dire que cette guerre, terminée à peine dix ans plus tôt sur le fiasco que l’on sait, n’a pas franchement bonne presse dans le pays. « Le retour » de ce « Voyage au bout de l’enfer » a déjà engendré des films poignants et mortifiés, mais jamais encore la rage déployée sur le front ne s’était ainsi retournée contre son camp.

Car là précisément se situe le nœud inédit de la problématique soulevée par « Rambo » première giclée, ce qui en fait une œuvre à part, importante et redoutablement percutante. Bien avant que le nom de Ben Laden n’entre au fichier du FBI, Morrell imaginait déjà l’histoire d’une arme forgée par les meilleurs instructeurs de l’armée américaine se retournant contre le pays qui l’a utilisée à des fins stratégiques et militaires (ironie du sort, Rambo finira lui-aussi par combattre en Afghanistan dans le troisième volet). Sur ce plan, le film se fait plus modéré que le roman, se refusant à réveiller chez le béret vert son instinct de mort, à le changer en cette bête sauvage qu’on lui demandait d’être à l’égard du Vietcong. « J’aurais pu tous les tuer » se contente-t-il d’asséner au sheriff Teasle après avoir neutralisé un à un ses adjoints inexpérimentés (et parmi eux un tout jeune David Caruso qui l’avait senti venir). Il n’aura pas plus de mal à se défaire de toute la troupe de la garde nationale lancée à ses trousses sur les flancs boisés et escarpés dénichés pour le tournage dans les montagnes de Colombie-Britannique, aussi perdus et empruntés que l’était la bleusaille du « Sans retour » de Walter Hill, déjà superbement piégée dans un écrin naturel par le même chef opérateur Andrew Laszlo.

L’idée d’arborer les galons du colonel Trautman, sorte de docteur Frankenstein à la recherche de sa créature (« Dieu n’a pas fait Rambo, c’est moi qui l’ai fait »), avait un temps séduit Kirk Douglas, lui qui savait mieux que quiconque que « seuls sont les indomptés ». Le western de Miller, scénarisé par le blacklisté Dalton Trumbo, affichait d’ailleurs, vingt ans auparavant, une structure narrative très similaire au « Rambo » de Kotcheff, jusqu’au fameux épisode de l’hélicoptère qui verra la traque du fugitif faire sa seule victime. L’officier des « Sentiers de la Gloire », l’insurgé de « Spartacus », rendit finalement son uniforme faute de pouvoir verser son sang au scénario, l’excès de clémence dont il fait montre envers ses concitoyens ayant sans doute eu raison de son engagement dans le projet. Il sera vite remplacé par Richard Crenna qui s’investit pleinement dans ce rôle et qui en fit son plus mémorable emblème.

S’il en est un autre à s’engager corps et âme dans le film, c’est bien Sylvester Stallone, parfaitement taillé pour être le dernier des bérets verts, survivant d’une escouade dressée pour tuer, une espèce vouée à l’extinction mais qui se refuse à courber l’échine, ou à disparaître dans un body bag. Kotcheff, dans une mise en scène dynamique portée par l’inoubliable partition de Jerry Goldsmith (« Quand je réalise mes films, je suis une structure musicale » explique le réalisateur), exploite le potentiel spectaculaire que représente cette chasse à l’homme. Selon lui, il était même prévu que le héros meure à la fin du film, respectant ainsi la conclusion du roman de Morrell. Mais l’acteur tint à ce que Rambo reste ce caillou dans la chaussure de l’idéal américain, qu’il continue de hanter sa mauvaise conscience, payant de sa sueur et de son sang le prix du fourvoiement politique.

On sait hélas comment il fut détourné ensuite par les pires faucons de la Maison Blanche, utilisé comme arme de propagande contre le communisme, avant de revenir dans le giron d’un Stallone au regard plus nuancé. L’acteur vient d’ailleurs de mettre la dernière touche à sa cinquième incarnation, ultime goutte de sang versé sur les étoiles d’un drapeau qui a encore bien d’autres drames à se faire pardonner.

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45 réflexions sur “RAMBO : first blood

  1. Bon jour,
    Il est cette caricature de cette époque états-unien de gros bras qui gagnent seulement dans les films … mais, il m’est sympathique avec cette voix française tout à fait particulière, cette force tranquille et cette résistance à toutes épreuves … il devient un héro factice mais rassurant …
    En tout cas bel article comme d’hab (oui, je sais me je me répète) 🙂
    Max-Louis

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  2. Loin d’être fan du genre, il y a pourtant en moi quelque chose qui me fait adorer ce genre de film où l’un concentre les sens du devoir, de la liberté, de l’amitié et se bat contre les a priori, le côté grégaire, pour ne pas dire bovin de l’humain. Une fois cette crispation surpassée, je suis un bon client.
    Comme je suis bon client des articles ici postés, parce qu’ils ne survolent pas mais fouillent, creusent et exposent maints détails. Et cela avec un langage des plus beaux.
    Merci mon prince.

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    • C’est beaucoup d’honneur que vous me faites.
      Plus que le sens du devoir, ici c’est c’est vraiment le pathétique du personnage qui l’emporte, un homme si fort extérieurement mais dévasté de solitude intérieurement. Et puis le film évoque tout même les conséquences d’une guerre qui dresse une Amérique contre une autre.

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  3. Comment ne pas penser la parodie de mozinor ou a hot shots 2 en voyant le film ha ha ha …

    Une phrase m’a interpellée lorsque j’ai vu ce film, Rambo dit un truc du genre  » a la guerre je pilotais des helicos a plusieurs millions et ici je ne suis rien » (désolé je n’ai plus la phrase exacte en tète).
    Mais l’idée est la, le mec est un grand guerrier (quoi que personne par la guerre ne devient grand il parait) et du jour au lendemain c’est un paria dans son propre pays. J’ai trouvé le film touchant malgré sa réputation (ça va péter mon colonel) J’ai du voir le 2 et 3 mais je ne m’en souviens pas vraiment, le 4 par contre fait un peu moins dans la finesse mais s’en trouve réaliste selon les dires de vétérans.

    Un film a voir pour ma part.

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    • Le sketch de Hot shot 2 s’appuie davantage sur le deuxième Rambo qui prêtait le flanc à la parodie.
      Dans « First blood », première apparition du personnage hélas un peu éclipsée par sa deuxième incarnation beaucoup plus patriote (à partir d’un scénario concocté par Jim Cameron), il y a effectivement ce terrible moment final où Rambo vide son sac face à Trautman, scène absente d’ailleurs du livre qui s’achève dans le sang. Stallone (à revoir en VO absolument) s’y montre bouleversant, notamment lorsqu’il dénonce ses compatriotes qui le repoussent et le renient (« there’s no friendly civilian » lache-t-il), ou lorsqu’effectivement il compare sa situation au front, où on lui confiait les missions les plus périlleuses tandis qu’ici on lui refuse même le droit d’être gardien de parking. Cette vérité crachée au visage de l’Amérique (incarné ici par l’autorité stoïque du colonel Trautman) en dit long sur le malaise des vétérans dont le pays n’a d’ailleurs pas encore fini de payer les conséquences (un taux de suicides effrayant chez les soldats revenus du front).
      A voir, et à revoir. Ne serait-ce que pour ce thème de Jerry Goldsmith…

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  4. Splendide chronique, splendide hommage à un grand film s’inscrivant parfaitement dans l’esprit du cinéma américain des 70’s (son regard critique envers le merdier vietnamien, son commentaire sur l’intolérance d’une Amérique rejetant les « perdants »). À tel point que la fin initialement prévue (beaucoup plus sombre puisque mettant en scène le suicide de Rambo) aurait pu avoir sa place dans le montage définitif (mais aurait tué dans l’œuf toute idée de suite)…

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    • Une fin qui collait davantage à celle du roman mais que Stallone (et visiblement le public test à qui elle a été proposée) trouvait injuste pour le personnage. Je trouve finalement celle retenue plus pathétique encore. Bien évidemment, elle permettra une ouverture sur les suites que l’on connaît, et qui n’avaient, au regard du roman de base, pas lieu d’être.
      Ceci dit, j’aime assez ce que Stallone a fait du personnage dans le 4ème volet, et je suis curieux de voir son évolution (finale ?) dans le 5.
      Merci pour le compliment. 😉

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  5. C’est très bien écrit comme d’habitude 😉. Même ma belle-maman, qui a 83 ans, c’est laissé séduire par le charisme, les muscles et peut-être l’émotion que dégage le personnage de Rambo. Au fond, il n’y a pas d’âge pour regarder la saga Rambo 😊.

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    • Il n’y a pas d’âge pour un bon film. Beaucoup aiment la version doublée avec la voix emblématique d’Alain Dorval (« J’te ferai une guerre comme t’en n’a jamais vu »), mais voir le film en VO donne une dimension plus tragique au personnage.

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    • Merci.
      Le personnage pâtit tout de même encore de l’image qu’il renvoie dans les opus les plus célèbres (2 et 3). Beaucoup le considère comme un film militariste alors qu’il est tout le contraire. First blood n’est pas considéré à sa juste valeur, contrairement à Rocky qui lui bénéficie d’un accueil plus favorable.

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  6. Que de souvenirs en relisant ton article ce matin. Toute une époque : ça fumait dans les salles de cinéma, la guerre du Vietnam était encore très récente dans les esprits avec son pendant français, la guerre d’Algérie et l’Indochine. C’est un film que l’on redécouvre sous ta plume avec une profondeur historique et sociologique bien montrées

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  7. Je l’ai découvert récemment (l’été dernier), enfin on m’a plutôt « forcée » à le regarder, plein de préjugés. Quelle fut ma surprise de découvrir un film émouvant, brut. Tellement dommage qu’il soit si caricaturé.

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  8. Très belle chronique ! 👏 Je ne savais pas que Kirk Douglas avait faillit jouer le colonel Trautman. Ce film est culte. Le second et le troisième sont des nanars, le quatrième aussi mais ce premier Rambo est toujours aussi fort à regarder. La musique emblématique, les séquences et les dialogues qu’ont connaît tous et puis Sly Stallone.. J’ai toujours aimé ce type , contre vents et marées, même quand on disait de lui que c’était un « con de républicain, un inculte, un abruti ». Stallone est sincère dans tout ce qu’il entreprend. Il n’y a qu’à voir la réussite de Creed. Je continue à allez le voir au cinéma pour ça, parce qu’il incarne un âge doré, une Amérique sous stéroïdes et autres anabolisants certes.. mais une Amérique qui nous faisait « rêver ». Tu me fais plaisir en rendant un hommage à cet acteur qui touche par sa sincérité, son charisme. Tant pis pour ceux qui le dénigre, nous on l’apprécie Sly. Il a d’ailleurs un public de fans d’une fidélité. Par contre, je n’ai jamais apprécié son concurrent monolithique autrichien tendance gouverneur de Californie ^^ schwarzy pas ma tasse de thé. 😉

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    • Le 2ème sombre dans la caricature c’est vrai, mais je me souviens que, gamin, ce film m’avait totalement emballé. On y retrouve quelques touches de James Cameron au scénario, mais c’est vrai qu’il est bien différent du premier volet. Le 3 est un monument de propagande. Le 4 garde ce côté bis que Stallone a cultivé au sein de la Cannon et qu’il exploite à fond, mais il m’est plus sympathique. J’imagine que le dernier sera dans cette veine.
      L’acteur a été en effet décrié, et parfois à raison me semble-t-il. Dans Rambo comme dans Rocky, voire dans des films moins connus comme FIST, son film inspiré de la vie du syndicaliste Hoffa, montre une sensibilité populaire, voire populiste. Mais il a réussi à construire une légende, et tout comme John Wayne avant lui (dont les idées politiques en ont fait grincer des dents plus d’un), on le respecte pour cela.
      Quant à Schwarzenegger, je crois que son image vient surtout du personnage qui l’a révélé à l’écran, à savoir l’implacable robot de Terminator. Par ailleurs, son action pour le climat, qui s’oppose à la politique de Trump (à laquelle Stallone est sans doute plus sensible), me paraît plutôt louable.

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  9. Un très bel article pour ce film qui le mérite. Film que j’aurais au final découvert plutôt tardivement, mes premiers pas avec John Rambo furent avec le musclé et bien moins intéressant dans ses thématiques Rambo 2, même si très bon divertissement signé Cosmatos. Mais le premier a ce petit quelque chose qui l’éloigne de l’image que l’on a aujourd’hui de la saga, et en fait finalement un authentique drame, bien loin des autres opus, même si encore une fois, j’aime bien le second opus, ainsi que la quatrième. Bon le troisième, c’est une toute autre histoire par contre…

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  10. Beaucoup ont encore ce cliché du film bourrin à cause de ses suites avec Rambo qui dégomme du vietnamien, du communiste ou autres birmans avec violence. Mais le premier Rambo n’avait rien de tout cela. C’est juste Born in the usa avec le soldat qui revient au pays et voit progressivement que personne n’en a à foutre de lui. Les gens restés ne veulent pas entendre parler d’une guerre perdue et encore moins de ses rescapés. Rambo symbolise tout ce dédain avec virulence et cela reste un des meilleurs rôles de l’ami Sylvestre.

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  11. Un chef d’œuvre, Rambo, on peut le revoir dans dix ans sans problèmes, c’est pas du « expendables » (un avis ?). Encore un mec déclassé, comme j’aime, et un article qui éclabousse. Je vais devoir camper ici ! En tout cas, j’y ferai quelques tours quand je voudrais pas dormir !

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    • Rien à voir avec « Expendables » et autres stalloneries oubliables en effet.
      Je relisais justement ce soir le passage des mémoires de Kirk Douglas qui évoque la brouille avec Kotcheff et surtout Stallone et qui l’a amené à quitter le film. Partisan de la mort de Rambo dans le script (comme dans le livre), il porte un regard navré sur la franchise qui a suivi. Il raconte même qu’il a poussé le bouchon jusqu’à réaliser un documentaire sur les combattants afghan pour tordre le cou à la propagande déversée dans le troisième opus.

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