Le VOYAGE dans la LUNE

Pas de géant

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« De deux choses l’une, l’autre c’est le soleil. »

Jacques Prévert.

Lorsque les frères Lumière inventent le cinéma, ils ouvrent la voie vers d’autres contrées visuelles, repoussent les frontières de l’image. Une des premières grandes conquêtes du cinéma sera la Lune. L’astre qui illumine nos nuits avait depuis trop longtemps nargué le regard des habitants de la Terre pour que dès que l’occasion se présentât, il ne leur prenne l’envie d’aller lui rendre une petite visite. Lune mince, Mens Lune. Qu’elle soit croissant, pleine ou gibbeuse, sa charmante surface de nacre a, dans l’imaginaire des explorateurs de pellicule, toujours été couverte d’un voile de mystère dissimulant bien des dangers…

Tandis que Jules Verne couche par deux fois sur le papier le détail d’un voyage mouvementé, H.G. Wells l’imagine peuplée de sélènes primitifs et hostiles. Au siècle suivant Hergé y expédie son reporter à la houppette, laissant son empreinte dans la poussière lunaire près de quinze ans avant l’exploit du « First Man » Neil Armstrong, mais s’inspirant très largement des premiers pas de Friede Welten, « la femme dans la Lune » que Fritz Lang propulsa en 1929. Dix-neuf années avant Saturn V, la NASA était doublée sur son propre terrain d’exploration par les astronautes d’Irving Pichel dans « Destination Lune ». Premier stade vers l’exploration de l’infini, la Lune fut vite dépassée par un objectif encore plus lointain et énigmatique : la planète rouge. Mars la guerrière et belliqueuse qui fut jadis choisie par les Soviétiques pour y déposer leur « Aelita » en 1924. Après avoir décroché les étoiles pour les incruster sur Hollywood boulevard, le cinéma s’est échiné à attraper la lune au lasso. Retour sur une des premières missions signée Méliès : compte à rebours, allumage, voyage…

Si la conquête de la Lune donna l’occasion de franchir un nouveau cap de l’épopée de l’humanité, elle permit également, bien des décennies plus tôt, d’accomplir un pas supplémentaire dans la formidable saga du cinématographe. Grâce à George Méliès et son célébrissime « Voyage dans la lune », l’invention des frères Lumière qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, quitte l’orbite de la simple captation d’images du monde environnant, ou bien encore la reconstitution documentaire de faits historiques ou d’actualités à vertu informative ou pédagogique (« Cléopâtre » ou bien « l’affaire Dreyfus », déjà l’œuvre de Méliès) pour investir le champ de la fiction fantastique, ouvre la voie de la science-fiction et de la féerie au cinéma. C’est en s’inspirant des récits de prestigieux écrivains visionnaires comme Jules Verne (« de la Terre à la Lune » et « autour de la Lune ») ou H.G. Wells (« les premiers hommes sur la Lune ») qu’il fait suite à l’opéra d’Offenbach éponyme et propose un film de 260 m, entièrement coloré à la main, composé de trente tableaux baroques et fantaisistes élaborés dans ses studios de Montreuil.

Méliès s’inscrit pleinement dans son œuvre en se plaçant à la fois derrière et devant la caméra, dissimulé sous l’épaisse toison du professeur Barbenfouillis, président d’une expédition picaresque pour le moins farfelue. Méliès, loin de chercher cette fois à adopter le ton sérieux d’un réalisme compassé, joue son rôle d’amuseur public, dans la lignée de sa formation de prestidigitateur de foire comme à l’époque où il dirigeait le théâtre Robert Houdin. C’est d’ailleurs du répertoire de l’illusionniste qu’il puise ses effets spéciaux, apparitions et disparitions dans les fumigènes qui sont autant de trucs désuets qui font aujourd’hui le charme immarcescible de son film. Il fait pleurer la Lune, chanter les étoiles et danser le roi Sélène. Méliès invente le surréalisme et introduit la poésie dans le cinéma. Guillaume Apollinaire dira d’ailleurs : « Monsieur Méliès et moi faisons à peu près le même métier : nous enchantons la matière vulgaire ». A la rencontre des artistes des Folies Bergères déguisés en diablotins sélénites, de champignons hallucinés étrangement mobiles, à la merci de divinités cosmiques facétieuses, la fine équipe du professeur Barbenfouillis (le bonimenteur nous les présente comme étant les savants Nostradamus, Alcofrisbas, Micromegas, Omega, et Parafaragamus) ne sait sans doute pas encore que ce petit pas qu’elle franchit en 1902, est en réalité un grand pas pour le cinéma.

Avant même que la NASA ne fasse alunir son aigle, Stanley Kubrick, lui, avait accompli la prouesse d’y faire apparaître un énigmatique monolithe noir. « Nous avons choisi d’aller sur la Lune en cette décennie et de faire d’autres choses, pas parce qu’elles sont faciles mais parce qu’elles sont difficiles. » avait dit John F. Kennedy dans son discours de septembre 1962. Impossible même ! prétendront certains qui, comme William Karel dans son célèbre bidonnage « Opération Lune », remettaient en cause l’authenticité des fameuses images de l’homme sur l’astre de la nuit. C’est d’ailleurs à Kubrick lui-même qu’il impute la falsification, bénéficiant, en retour, d’une pellicule ultra-moderne et ultra-sensible élaborée par les scientifiques des services secrets qui lui aurait permis de filmer son « Barry Lyndon » à la seule lueur des bougies. Mais qu’importe les esprits chagrins, les merles moqueurs, en posant le pied sur la Lune il y a maintenant un demi-siècle, Armstrong a sans doute détruit une part du rêve, mais prolongé le regard bien plus loin. « Nous voulions explorer la Lune, et nous avons découvert la Terre » a dit un des astronautes de la mission Apollo 11. Le « Gravity » de Cuarón aura su ensuite nous rappeler que notre planète est un trésor à chérir, car l’extinction nous guette (elle a déjà sévi par le passé). Les productions de science-fiction iront certes chercher ailleurs d’autres espaces de conquête, plus lointains, plus inquiétants. Des guerres stellaires où l’on s’aligne sur la Force jusqu’à des planètes infestées de xénomorphes terriblement dangereux. Lune, astre stérile et inhospitalier ? « Jack, tirons-nous d’ici ! » seront les derniers mots prononcés par un astronaute à sa surface.

kinopoisk.ru

50 réflexions sur “Le VOYAGE dans la LUNE

  1. Hommage à Méliès et un tour d’horizon du cinéma SF, pour une rétrospective lunaire 🙂
    Merci pour cet excellent article !
    Je me permets une petite correction concernant la citation « De deux choses l’une, l’autre c’est le soleil. » il faut l’attribuer à J. Prévert, phrase citée dans son poème « Le paysage changeur »

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    • De rien. Il faudra que j’aille voire cela dès que possible. Merci pour l’info !
      Un génie un tantinet oublié aussi. Rappelons que Méliès a fini ruiné et disparut dans l’indifférence jusqu’à ce que Langlois ne le sorte de l’oubli et récupère ce qui n’avait pas été détruit dans l’incendie des studios de Montreuil. On peut d’ailleurs voir aujourdui dans les collections permanente de la cinémathèque à Paris les costumes des Sélènes et de très belles affiches originales.

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  2. Magnifique hommage aux grands créateurs, innovateurs du cinéma que tu as introduit sous le thème  » Voyage dans la lune  »….
    J’ai beaucoup aimé le film  » Hugo  », ( qu’on a repassé à l’antenne dernièrement ) qui m’a permis de connaître d’avantage l »Oeuvre de Georges Méliès…

    Mes amitiés
    Manouchka

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    • « Hugo Cabret » adapté d’un roman de Brian Selznick, lui même arrière petit-cousin de David O. Selznick (grand producteur hollywoodien à qui on doit « gone with the wind » entre autres), est sans doute le plus bel hommage rendu à ce pionnier du cinéma, cet enchanteur exceptionnel qu’était Georges Méliès. Le film de Scorsese le montre d’ailleurs redescendu de son firmament lunaire, sur le déclin, alors qu’il tenait une petite boutique de jouets gare Montparnasse. S’il avait un don unique pour la féerie, il n’avait hélas nullement le sens des affaires. Il a failli alors tomber dans l’oubli, dont il n’est d’ailleurs pas totalement sorti. J’ai participé modestement au crowd funding en vue de la restauration de sa tombe au Père Lachaise.

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  3. J’ai fait la connaissance de Méliès justement à travers le superbe « Hugo Cabret » et après, j’ai voulu m’y intéresser vraiment ! J’ai donc regardé une grande partie de sa filmographie, dont celui-ci et il est assez bluffant de voir ce qu’il a été capable de faire à l’époque…

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  4. Wells n’était guère pacifique à vouloir que Mars nous canonnât ses envahisseurs à la figure. La véritable genèse de la science-fiction lunaire n’est-elle pas à trouver, étonnamment, chez un versificateur ?

    — Je tombe de la lune !
    — Ah çà ! Monsieur !
    — J’en tombe !
    — Soit ! soit ! vous en tombez !… c’est peut-être un dément !
    — Et je n’en tombe pas métaphoriquement !…

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  5. Très beau texte. Air avait travaillé sur un album concept autour « du voyage sur la lune » de Georges Méliès. La France était à la pointe du cinéma à l’époque de Méliès. J’ai le DVD du film avec le cd de Air que j’aime beaucoup. Le livre de Brian Selznick « Hugo Cabret » et l’adaptation cinéma de Scorsese m’avais beaucoup plu également 😊

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    • Je reviens justement d’un pèlerinage sur la tombe de Méliès au Père Lachaise, où il est mentionné comme « créateur du spectacle cinématographie », et je repense avec émotion à toutes les féeries qu’il nous laissées, ainsi qu’à toutes celles perdues à jamais dans l’incendie des studios de Montreuil.
      Scorsese lui a offert un des plus beaux hommages qui puissent être.

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  6. Un des films fondateurs du cinéma et un si ce n’est le premier film de science-fiction au monde (je ne suis pas sûr). L’imagerie fait rêver, les décors sont somptueux, puis c’est une prouesse technique incroyable. Plus de 100 ans plus tard, le film a encore de la gueule. Des films d’à peine 1 an en ont moins…

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