Au COEUR de l’ORAGE

Ici commence le pays de la Liberté

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« Anne et Dubreuilh étaient descendus de leurs bicyclettes et regardaient quelque chose. Henri les rejoignit et vit que c’était des croix : des croix blanches sans nom, sans fleurs. Le Vercors. Ce mot couleur d’or brûlé, couleur de chaume et de cendre, rude et sec comme une garrigue mais traînant après soi un relent de fraîcheur montagnarde, ce n’était plus le nom d’une légende. Le Vercors. C’était ce pays de montagne au poil humide et roux, aux forêts transparentes, où le dur soleil faisait lever des croix. »

Simone de Beauvoir, Les Mandarins, 1954.

Si aucune région de France n’a le monopole de la douleur, il est des endroits reculés où les cicatrices semblent encore à vif. Le Vercors est une citadelle inexpugnable, un havre d’écrivain (Jean Prévost), un massif d’inspiration (d’où l’on peut entendre « le silence de la mer »), un refuge pour l’insurgé. C’est surtout une formidable terre d’espoir dans un pays « Au cœur de l’orage ». Son insolente existence, insupportable aux yeux de l’envahisseur, conduira ses habitants au douloureux sacrifice, celui auquel le cinéaste Jean-Paul Le Chanois entend rendre hommage, afin d’offrir à ses martyrs leur droit à l’immortalité.

Alors que les armées d’Hitler n’ont pas encore rendu les armes, le Comité de Libération du Cinéma Français décide de mettre en chantier un film-documentaire sur le maquis du Vercors. Jean-Paul Le Chanois, réalisateur et scénariste ayant travaillé pour la Résistance au cœur même de la très allemande Continental, hérite de la rude tâche de collecter les images éparses tournées clandestinement par les opérateurs Forestier (qui a fait ses armes  durant la Guerre d’Espagne), Weil et Coutable, et de les coupler à des bobines largement prélevées dans les cinématographies alliées et ennemies. Quatre montages plus tard et bien des déboires avec les différents comités chargés de sa validation, le film apparaît d’abord comme un hommage solennel à la Résistance dans son ensemble, un regard sur toute la guerre, allant de l’invasion allemande jusqu’à Stalingrad, de la Bataille d’Angleterre au Débarquement de Normandie, avant de s’arrêter enfin sur les routes sinueuses et les verrous encaissés du massif du Vercors.

Les documents proposés sont particulièrement saisissants et violents, ne ménageant évidemment pas l’armée allemande dont le commentaire détaille l’ignominie face aux colonnes de civils en exode avant de s’épandre sur sa déconfiture en Russie (« la fière armée allemande en route vers les camps » dit le commentaire vengeur). Une voix pour chaque pays, délivrant son laïus avec un accent différent afin de représenter fidèlement chaque parti-prenant et envisager le conflit dans son internationalité. Pas question en effet d’éluder le sacrifice des millions de Soviétiques quand on sait que le Parti Communiste est en partie à l’origine de la commande du film ! Henriot (« l’homme qui disait la vérité » rappelle ironiquement le commentaire), Darnand, Doriot, Déat et bien sûr Pétain, Laval et les porte-parole du fascisme européen sont dans la ligne de mire de Le Chanois qui satisfait un public exigeant des responsables.

Pour contrer la politique collaborationniste, le film fait la part belle à la Résistance. A ses martyrs d’abord, comme ce monsieur Vidal qui organisa la lutte intérieure depuis Bourg-en-Bresse avant d’être trahi, arrêté et conduit vers Dachau, ou bien le vaillant Chabal qui périt avec ses chasseurs alpins au belvédère de Valchevrière. Et puis au Maquis ensuite, vers lequel semblent se tourner toutes les couches sociales prêtes à en découdre dans un bel élan communautaire  (« on ne portait qu’un seul brassard : FFI » dit la voix de Jean Chevrier afin de ne froisser personne). Au sacrifice de ces colonnes de combattants sans uniforme se mêle, dans les dernières images, celui des braves de Valmy et des poilus de la Grande Guerre. S’il dénonçait la propagande vichyste un peu plus tôt (« Radio Paris ment »), celle de Le Chanois, même gouvernée par des intentions plus nobles, n’emploie pas d’autres ficelles grossières. Alors que le générique laisse entendre que toutes les images utilisées dans le film sont des documents authentiques et pour la plupart inédits, on est surpris de voir un certain nombre de plans reconstitués avec des figurants certes non professionnels.

On est évidemment loin de l’objectivité. Néanmoins, lorsque les fameux opérateurs cités au générique prennent le maquis à leur tour, leur petite Eyemo dissimulée dans un panier de légumes, lorsqu’ils filment les derniers moments de détente des maquisards jouant aux cartes (le pistolet à portée de main), lorsqu’ils capturent les sourires des francs-tireurs qui partent défendre les hauts, lorsque les containers de matériels parachutés viennent percuter le sol à leurs pieds, le documentaire prend soudain aux tripes, retrouve le goût de la vérité. Filmées au plus près de combattants pour la plupart bien jeunes et dont on connaît aujourd’hui le sort funeste, ces images prises sur le vif nous montrent le quotidien de cette précieuse parcelle de France libre, faute de pouvoir retranscrire avec une absolue réalité la violence du combat.

« Ici commence le pays de la Liberté » dit un panneau à l’entrée de cette forteresse naturelle ; un schéma très précis vient en expliquer l’intérêt stratégique en détail. Le film se veut alors beaucoup moins didactique (même ponctué ça et là de digressions extérieures permettant de suivre en parallèle l’évolution de la situation à l’échelle nationale) et plus proche du terrain. Assiégés par les troupes de choc de la SS, les opérateurs reculent en même temps que les combattants, abandonnant leurs bobines sous le marbre d’anciennes tombes franciscaines. Si ce sont de faux coups de feu que Le Chanois donne à voir, ce sont en revanche de vrais morts qui jonchent les ruines et témoignent sans fard de la cruauté de la guerre (les femmes violées, les pendus de Vassieux pourrissant sur un pied) et son cynisme insupportable (la publication de la lettre retrouvée sur un jeune SS qui se réjouit de ce massacre). Les temps sont durs dans le Maquis, on en est réduit à bouffer du trèfle en attendant d’attaquer les pissenlits par la racine ! Le retournement favorable de l’Histoire permet alors de rendre coup pour coup en montrant Berlin en flamme et le corps calciné de Goebbels.

« Qui sème le vent récolte la tempête » dit la morale et d’enchaîner sur ces casques teutons roulants dans l’herbe. La grandiloquence du commentaire et le symbolisme naïf des images n’altèrent pourtant pas la valeur du témoignage que lègue Jean-Paul Le Chanois.

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15 réflexions sur “Au COEUR de l’ORAGE

      • En tout cas, ton texte me renvoie à mes cours (ce qui n’est pas une mauvaise chose, même pendant les vacances !) et me rend curieux de ce film. Et cela d’autant plus que je travaille depuis quelques années sur des images du film sans le savoir, ou en n’y prêtant plus attention, car il nourrit un court documentaire que je montre à mes élèves qui porte justement sur la Résistance dans le Vercors et sur le réseau des Francs-Tireurs. Donc, merci !

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        • Mais de rien. 😀
          Il faut savoir tout de même que Le Chanois n’a utilisé qu’une petite partie des images filmées par Forestier dans le Vercors. Ce dernier n’avait en effet pas la possibilité de se déplacer sur les coups de main et il avait choisi de mettre en scène quelques reconstitutions jugées médiocres par Le Chanois. Il a choisi d’en tourner d’autres notamment au belvédère de Valchevrière pour combler ces « images manquantes ». Une bonne partie également du materiel filmé avait été laissé de côté, une bonne partie également abîmée par les conditions de conservations rudes des bobines qui avaient été enterrées.
          En 2013, on a pu remettre la main sur une partie des images qui n’apparaissent pas dans le doc de Le Chanois et qui complètent notre vision du maquis.

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  1. Une chronique passionnante sur un documentaire d’époque que je n’ai pas eu la chance de voir. Pour ma part, j’ai toujours été ému par le destin de ces hommes dans le Vercors, leur courage, leur jeunesse, le peu de moyens dont ils disposaient.. L’histoire de la résistance m’a toujours passionné. J’ai lu les ouvrages de Daniel Cordier sur Jean Moulin notamment. Merci pour cette page d’histoire et ce regard fort intéressant que tu portes sur cette dernière. 😊

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