SOLO

M le Mocky

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« Quand je serai mort, il est possible qu’on parle plus de moi que de Luc Besson. »

Jean-Pierre Mocky, Pensées, répliques et anecdotes, 2009.

Dernier, ou presque, des ruffians de la Nouvelle Vague, Jean-Paul Adam Mokiejewski dit Jean-Pierre Mocky était sans doute le plus virulent, le plus caustique aussi. Sûrement pas un franc-tireur (« moi je n’ai jamais tué personne ! » disait-il), mais un insoumis assurément, un desperado de première dont on gardera en mémoire les célèbres emportements. Mocky c’était aussi un acteur, sorti du Conservatoire avec Marielle et Bébel, sous la baguette d’un Jouvet qui trouvait qu’il avait une gueule d’aventurier. Mocky c’était aussi évidemment un metteur en scène, qui a côtoyé tout ce qui s’est fait mieux dans le cinéma français. Tandis qu’on se lacrymogène dans les avenues de Paris, Mocky fait sa « grande lessive (!) » avec Bourvil et Francis Blanche. Dans la foulée, il se met en scène dans « Solo » (aucun rapport avec le flibustier de Ron Howard), polar nerveux qu’il réalise au sortir de la chienlit, où il fait le plein de fiel et d’amertume.

Sec et nerveux, le récit est enlevé, l’atmosphère sombre, le constat plutôt sévère. Mocky y joue le rôle d’un truand solitaire, soliste violoniste en façade mais détrousseur de riches bourgeoises pour les intimes. Il est surtout un personnage à la Hawks, un séducteur de ces dames à la Bogart, le verbe cynique (magnifiquement dialogué par Mocky et Mouny) et la geste élégante de ces types en costumes noirs qui jouent l’assurance pour mieux se parer d’indépendance. Il ressemble pas mal au François Besse du « Mesrine » de Richet, en plus élégant naturellement ; il laisse aussi l’idéologie sans issue aux révolutionnaires romantiques qui refont le monde en posant des bombes, préférant de loin miner le système de l’intérieur et se sucrer au passage. Car finalement, l’argent c’est peut-être « petit bourgeois » mais ça peut aider ! Et si ça fait pas le bonheur, ça y contribue quand même pas mal.

Hélas pour lui, cet insaisissable Lupin des paquebots de luxe a une faiblesse : un frère anarcho-bolchévique bien décidé qui, avec une clique de son acabit, poursuit tonitruant, à coup de rafales de mitraillette, la lutte finale en cassant l’ambiance des parties fines organisées par les profiteurs du grand capital. Embarqué dans une histoire politique, Vincent Cabral, l’homme seul, devient malgré lui la cible des forces de police aux trousses du groupuscule d’assassins gauchistes. Mocky, comme son personnage, ne cherche visiblement pas à prendre parti et devient de ce fait une victime collatérale. D’ailleurs, même s’il met comme toujours un point d’honneur à faire un film indépendant, comportant certaines scènes filmées à la hussarde avec une troupe d’acteurs au jeu parfois très approximatif, et une bande-son gratouillée par Moustaki. Il ne crache pas toutefois sur quelques biffetons généreusement avancés par les Champagnes Taittinger ravis de mettre à disposition quelques décors, et déniche à Reims et aux alentours un convaincant Paris de cinéma (les connaisseurs du coin apprécieront le hic dans les distances affichées sur les pancartes).

S’il s’inspire de conversations glanées dans les rades d’après manif, Mocky ne choisit pas son camp pour autant, renvoyant dos à dos la stupide violence des deux côtés, où l’on s’entretue en y mettant les moyens. Les flics sont ici armés de rigueur, casqués jusqu’aux dents, mais leur visage ne respire pas l’intelligence. Même les deux enquêteurs, un peu plus futés que leurs sbires, font preuve d’une détermination qui ne s’embarrasse pas d’équivoque et qui facilite plutôt les conclusions hâtives pour mieux régler cette affaire. De l’autre, la passion révolutionnaire est surtout l’apanage d’une jeunesse naïve à l’idéalisme mortifère tout droit sorti d’une autre époque, voire d’un autre siècle.

Le film en salles un peu plus d’un an après le fameux mois de mai fit sensation et fut couvert d’éloges dont Mocky n’était pas peu fier. Il fut ensuite, selon les termes de son géniteur « obturé » par les médias et le film demeura invisible pendant trente ans. Sans rien perdre de son exubérance rhétorique Mocky, revenant sur son film pour les Cahiers du Cinéma, dressait ainsi le bilan de 68 : « Une nouvelle révolution ? un nouveau 68 ? Les soixante-huitards ont remisé leurs couilles au vestiaire, quant aux jeunes, je doute qu’ils cassent des voitures en allant voir « Titanic ». Quant à moi, fidèle à mes principes et à Mai 68, je continue à donquichotter. »

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20 réflexions sur “SOLO

  1. Je lirai plus tard. ça me rend triste, il était tellement hors normes, tellement libre ! Quelle chance il a eue !
    J’adorais l’entendre raconter toute l’histoire du cinéma et sa façon de composer le sien de bric et de broc.
    C’est la merde !

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    • « Je suis un cinéaste libre : je choisis mes sujets, je ne pratique pas d’autocensure et je fais ce que j’ai envie de faire. » (même source qu’en haut de la page)
      Qui d’autre aujourd’hui ?

      Une pensée pour tous les aficionados du Brady qui se remémorent la grande époque des doubles programmes.

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  2. Ah ben personne.

    Ah mais oui le Brady 🙂

    J’en reviens pas qu’il avait 90 ans ! Il était sur France Inter il y a qq mois, toujours énervé, drôle et de mauvaise foi.
    J’ai lu ta chronique et j’ai envie de voir ce film.

    Je me souviens qu’il avait coiffé Catherine 2neuve d’une improbable perruque.

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      • Je suis retombé là-dessus, déclaration de Mocky à l’occasion de la disparition de Rochefort :
        « on dirait un polar d’Agatha Christie ! Ils meurent tous les uns après les autres, bon sang ! D’abord Claude Rich, puis Jeanne Moreau et voilà Rochefort, maintenant, toute une génération. »
        Savait-il qu’il serait le suivant sur la liste ? Il faut mener l’enquête.

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  3. C’était un personnage assurément, lui qui disait je crois vivre jusqu’à 100 ans…c’est raté! Respect à ce grand réalisateur avec un film que j’ai aimé « À mort l’arbitre ». Bel article comme d’habitude ツ

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  4. Il est passé sur Arte hier soir après Soupçons, encore revu…
    Je suis contente de l’avoir vu. Un vrai polar engagé et un peu enragé même si le héros se retrouve au centre de l’histoire malgré lui. Tu as raison il ne choisit pas son camp, les flics comme les révolutionnaires sont bien ridicules je trouve.
    Il ne devait pas être un directeur d’acteurs exceptionnel, le jeu est effectivement très approximatif. Mais ça ne gêne pas, je dirai même que ça ajoute au réalisme.
    Par contre Mocky est vraiment très bon et d’une beauté….

    Ensuite il y avait Mr Long un film japonais que je ne connais pas. Jai été happée immédiatement mais je n’ai hélas pas tenu le coup.

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    • Une belle soirée de cinéma !
      Je suis heureux que le film t’ait plu. Ce n’est pas le Mocky le plus cité et pourtant il est d’une pure veine série noire. Sa présence à l’écran ajoute je crois une valeur supplémentaire au film. En plus il a été tourné pas loin de chez moi, ce qui me le rend d’autant plus attachant.
      Pas vu Mr Long, mais ce devait être pas mal en effet.
      Je te laisse, ce doit être l’heure de ton verre de lait. 😉🥛

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      • Je déteste le lait même éclairé de l’intérieur… Je n’en ai pas bu depuis mes 8 mois.
        Sauf une fois quand ma soeur, cetre sadique, m’a fait du chantage pour je ne sais plus quelle raison et obligée à en boire un verre… j’en ai encore les hauts le coeur.

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  5. Vu hier à l’occasion de l’hommage d’Arte et le film est plutôt intéressant. Comme tu le suggère, il y a un problème des deux côtés. Chacun va vers la violence et ils finissent par se casser les dents sur leurs propres principes. La police doit défendre mais tire dans le tas sans comprendre et les jeunes s’entretuent eux-mêmes sans s’écouter. Puis il y a Mocky au milieu qui essaye de rattraper quelqu’un durant tout le film sans y parvenir. Un échec de plus. Mocky m’aura au moins fait rire avec ce subtil « Tu peux y aller, j’ai pris la pilule. » 😀

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  6. La chute de Mocky sur mai 1968 est drôle et d’une lucidité qui nous démontre bien que ce cinéaste de grand talent était bien plus qu’un trublion qu’on invitait à la télé pour faire le pitre. Il était sans filtre, il s’inventait des vies.. ses 17 enfants.. une pure invention ^^ Michel Serrault formait une bien belle équipe avec lui. Il a tourné avec tant d’acteurs célèbres, cultes. Il ne reste plus qu’Alain Delon et ensuite ils auront tous disparu. Merci pour cet hommage à Mocky. Son regard sur le monde va nous manquer.

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