RAMBO : last blood

Portée disparue

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« Ce film est une épave. Je suis très embarrassé d’avoir mon nom associé à ce projet. »

David Morrell, 2019.

Dans son trou vivait un béret vert. On le croyait rangé des viet vets, remisé au musée des armes de collection, essoufflé de la gonflette. Mais non, Sylvester Stallone a encore quelque chose à raconter dans « Rambo : last blood », et il tient à verser le dernier sang sous la conduite d’Adrian Grünberg. Mais ce qu’il a à dire est-il bon à entendre ?

Le soldat imaginé par David Morrell il y a maintenant plus de quarante-sept ans n’aura donc jamais droit au repos éternel. Sans chef de compagnie pour lui donner des ordres, le voilà désormais contraint de se fixer lui-même une mission : défendre son pays contre les agressions extérieures et sauver les vies des bons Américains en perdition. Car son beau pays est menacé. Il est menacé par des périls venus d’ailleurs : des tempêtes ravageuses qui ébranlent la home of the brave, des criminels armés jusqu’aux dents qui passent la frontière comme une fleur.

« Est-ce qu’on va mourir ? » dit la jeune femme angoissée prise dans le torrent meurtrier. Il est des prouesses que le soldat d’élite ne peut accomplir. Les sacs à viande continuent de s’empiler sur son chemin, les souvenirs du carnage vietnamien continuent de hanter sa mémoire. Le péril est sur le seuil, et qui peut croire qu’une simple clôture l’arrêtera ? Heureusement, quelqu’un a eu la bonne idée d’élever un mur qui devrait en freiner quelques-uns. Contre les plus déterminés qui franchissent les limites, Stallone fait donc figure de dernier rempart. « Last blood » prend acte de la menace, répond à l’alerte, à l’écho des discours alarmistes postillonnés par un président à l’étrange couleur capillaire.

Evidemment, rien n’est si clair sur la durée du métrage, le spectateur est d’abord venu pour voir couler le (dernier ?) sang, admirer le super-soldat dans ses œuvres, lui qui est si doué dans l’art de trucider, trancher et transpercer les méchants. Le scénario flattant les bas instincts d’une moitié d’Amérique great again voudra nous faire croire une fois de plus que ce n’était pas sa guerre, que ce sont les circonstances qui l’ont poussé à cette extrémité. Dans son repaire creusé à même le sol de la mère patrie, il n’aspirait qu’à élever ses chevaux, en poor lonesome cow-boy, en old man Rambo. Oncle John s’est replié dans la ferme familiale, s’est construit une famille adoptive, aspirant à la quiétude en compagnie d’une brave mamie Mexicaine (déjà croisée dans la « Babel » d’Iñárritu), et d’une orpheline latino qui cherche la vérité sur son père.

Pas question de passer pour l’agresseur, mais quand la plus jeune des deux se fait enlever par des trafiquants de femmes, Rambo redevient impitoyable, il sert les poings et les dents dans son pick-up qui roule à vive allure vers la frontière, plus déterminé encore que cette tête de « Mule » de Clint Eastwood. Faut pas lui chercher des noises à John Rambo car, même à la retraite, Johnny got his gun. « Kill the Gringo » s’intitulait le précédent film d’Adrian Grünberg, et c’est exactement le but que se sont fixés les hargneux Mexicains. Autant dire qu’après drogues dures, passage à tabac et autres sévices innommables infligés à la pucelle, on se doute qu’ils vont payer cher leurs pratiques abusives. Balayés les communistes, anéanties les juntes militaires, il restait les cartels à mettre au pas. Rambo chasse désormais sur son terrain, sans crainte de l’infériorité numérique (« Five to one baby, one in five, no one here gets out alive ! » hurlent les Doors dans les haut-parleurs). Il utilise les armes de Charlie, les chausse-trappes et les explosifs à déclenchement automatique.

On n’en voudra pas à Grünberg qui, ayant forgé son style au service des plus prestigieux (Soderbergh, Peter Weir, Jarmusch et John Sayles, Gibson et Mendès, la liste est impressionnante), fait de son mieux pour faire bonne figure au soleil, sous la terre ou sous la pluie. Des ellipses maladroites, un montage à la hache ne lui font pas honneur car tout de même quelques plans ont de la gueule : Grünberg s’attarde sur le regard affaissé de l’acteur, sur le faciès buriné, tailladé, crevassé du personnage qui lui procure une autorité incontestable autant qu’une aura mélancolique. Celle-ci hélas s’effondre sous le poids de dialogues souvent calamiteux. Le rythme se maintient néanmoins, bon an mal an vers un climax à la fureur trash et cash qui ne s’autorise pas de limite.

Côté Mexique, sa peinture des bas-fonds interlopes s’appuie sans vergogne sur des clichés qui s’accordent au genre adopté. Les frères Martinez, jeunes barons fougueux qui forment le tandem antagoniste, sont des archétypes qui s’accompagnent de la horde sauvage attendue. Mais leurs querelles intestines ont tout de même un petit arrière-goût savoureux qui s’ajoute par ailleurs à leur cruauté naturelle. Côté Etats-Unis, on est dans le chromo classique du ranch isolé et tranquille. Ne manque que la bannière étoilée flottant au fronton. Contre les vils détracteurs qui auraient l’outrecuidance alors de brandir l’argument conservateur et xénophobe, Maria et Gabrielle serviront de caution, de boucliers humains contre les sous-entendus gênants étayés par le discours final. Ce n’est pas joli joli monsieur Sly, et on comprend l’embarras de David Morrel.

Il faut dire que depuis l’écoulement du « First blood », dont les bribes musicales signées Goldsmith se laissent encore lointainement percevoir avec nostalgie, Rambo a changé son fusil d’épaule, il sait désormais où sont les ennemis véritables. « J’ai souhaité essayer de construire une interprétation un peu différente du personnage, quitte à ce qu’elle déplaise. » assume Stallone qui, sans doute à force d’en avoir dix ans durant trituré le scénario, livre un baroud de déshonneur assez pitoyable. Dévoyé, Rambo perd définitivement son âme farouche, se vide de sa substance initiale, et finit par rentrer dans le rang (et pas le plus glorieux) au triste balancement d’un vieux rocking-chair.

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33 réflexions sur “RAMBO : last blood

  1. Voilà qui ne me dit rien qui vaille, et qui confirme les peurs que j’avais sur ce film de trop. JOHN RAMBO il y a plus de 10 ans bouclait parfaitement la boucle (et avait d’ailleurs plu à David Morrell, autant dans sa violence sèche que dans la noirceur générale et du personnage). Ce cinquième opus, espérons le dernier, attendra pour ma part une sortie DVD, ou un prêt si l’un de mes fous d’amis ose acheter la bête.

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    • Tu peux largement attendre la parution DVD. D’ailleurs, s’il n’y avait la marque Rambo, il aurait sans doute fini dans un bac comme ersatz de Taken.
      Cela dit, il m’aura tout de même donné envie de découvrir le précédent film de Grunberg avec Mel Gibson.

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    • C’est assez juste. On en vient à regretter que Kotcheff n’ait pas gardé la version où Trautman achève Rambo à la fin de « First Blood ».
      Il y avait néanmoins dans « Rambo 2 » en sous-texte cette perpétuelle trahison d’un Etat scélérat qui rendait encore relativement « sympathique » sa mission, tout du moins le personnage, indépendamment du nombre de vietnamiens dégommés au M60.
      Sur le 3, difficile de sauver grand chose dans le barnum propagandiste assez peu clairvoyant sur l’avenir de l’Afghanistan.
      Enfin, « John Rambo », qui emporte l’adhésion de Morrell, retrouvait finalement la sauvagerie dépeinte dans son premier livre (finalement absente à l’écran), le tout dans un environnement où les bons sentiment de l’impérialisme occidental se heurtaient à la réalité du contexte culturel, religieux et politique local. Je vais peut-être un peu loin dans l’interprétation du film qui demeure d’abord un film d’action assez sanglant c’est vrai, mais le choix de la Birmanie comme théâtre d’opération me semblait alors intéressant.
      Ce retour au pays en revanche…

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  2. Je vois que l’on est assez d’accord sur le ressenti final, j’ai été extrêmement gênée par les dialogues, clairement mauvais à mon sens…Personnellement, je ne m’attendais pas à des scènes aussi violentes, je ne suis pourtant pas une chochotte, mais j’avoue que la scène dans le pick-up m’a vraiment surprise ! Bon, ça se laisse regarder quoi, mais c’est pas exceptionnel…

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    • Même chose pour moi finalement. Je trouve par endroit le script assez féroce envers ses personnages (le passage à tabac, la scène du pick-up de nuit que tu évoques, j’imagine qu’on pense à la même,…) et le film se laisse traverser sans véritable ennui. J’aurais presque pu le trouver sympathique s’il n’y avait cette effluve nauséabonde en arrière-plan qui brandit la menace de l’invasion (après les cocos, les chicanos). Au moins Eastwood dans « la Mule » a l’art de prendre de la distance aussi avec son personnage.

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  3. Je n’ai pas senti l’odeur nauséabonde du dernier monologue à rocking chair… je n’ai pas dû creuser assez profond pour renifler. D’ailleurs je me demande vraiment s’il

    ATTENTION TRES GRAVE SPOILER.
    SPOILER C’EST LE MAL

    meurt ou pas !

    Et la musique de ouf pendant le carnage c’est The Doors ???

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  4. J’ai beaucoup aimé ton texte pleins de second degré et en même temps avec, on l’a bien compris, un vrai coup de gueule contre le message du dernier « Rambo » J’ai toujours eu une sympathie particulière pour Stallone. Malheureusement, la bande annonce de ce dernier Rambo m’a consterné : on dirait une série B.. et le discours qui, tu le confirmes, sous tend ce film, est honteux. J’avais aimé le précédent mais là je dis non. Pourquoi diable a t’il fait ce film de trop ? peut-être à t’il du mal à tourner la page. De ce point de vue, « La mule » de Eastwood c’était un au revoir de première classe. 😉

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    • Cela aurait pu être un sympathique film de série B, largement décomplexé et irrévérencieux à la manière du dernier Eastwood dans lequel, sans être d’accord avec ses positions politiques, on pouvait trouver sa manière grinçante de démonter les clichés assez réjouissante. Ici Stallone se montre évidemment plus « bourrin » dans le message, sans véritable recul ou second degré. Il fraye avec les démons les plus infréquentables de l’Amérique actuelle, ce qui finit de donner à son film une impression finale assez désagréable, et surtout aux antipodes du personnage dessiné dans « First Blood ». Le film s’achève sur un diaporama nostalgique des précédents épisodes, comme pour rallier à la guerre de ce Rambo 2019 celle que refusait le Rambo de 1982.C’est d’autant plus irritant. Il aurait effectivement mieux fait d’écouter cette voix qui lui disait de ranger définitivement les flingues.

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  5. Pingback: [Rétrospective 2019/9] Le tableau étoilé des films de Septembre par la #TeamTopMensuel – Les nuits du chasseur de films

  6. Bon alors je ne vais pas épiloguer 40 ans dessus. Ça se regarde, ça n’ennuie pas, mais ce n’est pas vraiment bon. C’est violent oui, parfois beaucoup, parfois même de manière bien abusive, mais c’est assez pauvre dans pas mal de domaines. Au moins, je l’ai vu, saga terminée.

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