Jusqu’à l’os
« Il est un lieu là-bas qu’attristent les ténèbres,
mais non les peines, et où les plaintes
ne résonnent pas en cris, mais en soupirs. »Dante Alighieri, La Divine Comédie : Le Purgatoire, XIVème siècle.
S’il y a bien un endroit sur terre où l’on ne souhaiterait pas passer ses vacances, c’est en prison. Pensé comme un lieu de rééducation, on sait au moins depuis Foucault qu’il n’est autre qu’un monde de brutes que l’on surveille et où on punit, quitte à accessoirement « fabriquer des délinquants ». D’une littérature nourrie de geôles et de bagnards, la chronique carcérale est devenue un juteux véhicule à fantasmes cinématographiques. Steven Craig Zahler, réalisateur friand de hauts murs et d’ecchymoses, fait tout pour se retrouver en cabane, dans la « Section 99 » d’un pénitencier de Haute Sécurité, au fond d’un trou d’où la lumière ne sort jamais.
Dans la vie, faut pas s’en faire. Dit-on. Pour certains, c’est plus compliqué à admettre. La voie qui mène du vice à la vertu est pavée de tant d’embûches que sont nombreux les pauvres hères à rester sur le carreau. Un homme y croit pourtant. Il s’appelle Bradley Thomas, et malgré le crucifix qu’il a fait tatouer à l’arrière de son crâne chauve, on ne peut pas vraiment convenir qu’il a une tête d’enfant de chœur. On a connu Vince Vaughn plus avenant, notamment dans des comédies plus ou moins légères signées Shawn Levy, Todd Phillips ou Seth Gordon. On le sait aussi capable d’arborer une face plus ombrageuse, comme lorsqu’il fit siennes les psychoses de Norman Bates à l’occasion d’un remake signé Gus Van Sant.
Entre les griffes du réalisateur de « Bone Tomahawk », il nous laisse profiter des deux versants de sa persona, faisant montre d’un engagement physique total. Il use de sa stature massive pour se faire respecter, sans pour autant négliger une sensibilité intérieure, une noblesse d’âme propre à ceux qui veulent rejoindre le troupeau. Dans l’esprit de Zahler, Bradley est un repenti de l’alcool et des commerces illégaux, un brave type qui n’aspire qu’à l’american way of life, celle d’un citoyen ordinaire qui chérit sa famille, fier de son drapeau et droit dans ses valeurs. Avec une économie de moyens savamment convertie à la sécheresse du récit, le réalisateur montre à quel point un tel projet de vie se construit à grand peine, un chemin de croix que gravit à ses côtés une épouse en déroute, comme sait si bien les interpréter Jennifer Carpenter (dont on n’oublie évidemment pas qu’elle fut pour Dexter une triste sœur).
Piégé dans l’étau d’un script qui doit finalement passer par la case prison, leur idéal bien vite s’évapore dans les vicissitudes du contexte socio-économique, comme dans les mirages de la solution criminelle qui, comme chacun sait, n’a qu’un temps. Intelligemment, en bon cuisinier qu’il fut lors d’une précédente carrière, Zahler ne grille aucune étape avant d’ouvrir les portes du pénitencier. Soucieux de traiter son personnage avec soin, il le laisse mijoter un bon tiers du film dans le chaudron social, avant de le désosser minutieusement derrière les barreaux. Mais l’animal a le cuir épais, il s’avère coriace et ne se laissera pas manger la cervelle aussi aisément.
La descente aux enfers débute une fois le verdict hâtivement prononcé par une trempée dans différents bains carcéraux. Rites humiliants et méthodes coercitives vont ainsi aller crescendo dans la brutalité, jusqu’à un paroxysme moyenâgeux, jusqu’à des pratiques d’un autre temps. Du frigo bleuté où l’on purge sa peine avec encore certains égards, on glissera (à la faveur d’un chantage abominable orchestré par un Udo Kier à la placidité ophidienne) vers l’orange is the new black, dans les culs de basse-fosse d’un donjon digne de « Shutter Island » tenu par un taulier implacable nommé Tuggs.
Don Johnson, après avoir campé les flics de télévision (du miamiesque Crockett à Nash Bridges) est devenu au fil du temps un second couteau qui ne manque pas de tranchant. Ganté de noir, cigare au bec et petite moustache, il en rajoute un peu dans ce rôle de seigneur des barreaux, affublé d’une escouade de matons armés jusqu’aux dents. Entre le potentat de la plantation qu’il incarnait dans le « Django unchained » de Tarantino (dont Zahler tente d’imiter la gouaille et la BO funky) et le Texan coriace de « Cold in July » (Jim Mickle et Zahler partageant par ailleurs un goût commun pour la chair humaine), ce D.J. de caractère donne la réplique à un Vince Vaughn qui fait deux têtes de plus, pieds et poings liés mais le sens de la répartie toujours bien pendu (ce qui lui vaudra quelques désagréments).
Il n’y a plus qu’à suivre la ligne rouge, celle que laissent derrière eux les crânes broyés, les corps traînés sur le ciment, dans les graviers ou les éclats de verre, celle qui nous mène au hasard des corridors labyrinthiques et ténébreux vers des cellules infectes et irrespirables dans lesquelles finissent par se dissoudre les démons de la liberté. « Brawl in block cell 99 » affiche crânement son caractère excessif, s’amuse du pittoresque de ce Guantanamo revisité (et qui « serait mal vu par Amnesty International » commente le sarcastique maître des lieux), de la capacité inouïe d’un obstétricien coréen à raffiner la science horrifique. Si l’outrance frôle parfois l’excès, si quelques saillies narquoises cèdent parfois à l’humour noir et déplacé, rien n’entame pour autant la raideur d’une mise en scène qui sait prendre son temps, où les empoignades sont filmées grand angle, où chaque coup porté fait mal, où chaque électrochoc oblige à serrer les dents.
Il ne fait pas bon vivre derrière les murs de la « Section 99 », pourtant la visite est hautement recommandable à tous ceux qui ont l’estomac bien accroché et un casier judiciaire vierge.
Bon jour,
Diantre, cette chronique fait froid dans le dos « jusqu’à l’os » du dernier point … final, même si aux lignes rayonnées et tout de même menottées, d’humour, à l’exemple: « …seigneur des barreaux… » est présent, il y a ce « …sens de la répartie toujours bien pendu … qui ne laisse pas de marbre … 🙂
Max-Louis
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Bonjour Max-Louis,
Un public averti en vaut deux, et force est de constater qu’il vaut mieux l’être lorsqu’on passe le seuil de cette « Section 99 ». Le réalisateur s’est amusé comme moi à glisser quelques bons lâchés pince-sans-rire par le détenu Vince Vaughn, mais rien n’entame pour autant la dureté d’un film sans concession.
Très belle journée.
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Très belle journée, également 🙂
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D’où sort ce film ?
En te lisant, on a l’impression d’avoir vu ce film même si je n’ai pas compris pourquoi ce brave Vince Bradley se retrouve en prison.
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Aucun des films de Zahler hélas n’est sorti en salle. Une aberration de plus.
Ce brave Bradley (et non pas Brad, il y tient) ne bénéficie pas d’une réputation très honorable, auquel s’ajoute quelques écarts avec la légalité liés au trafic de produits stupéfiants. Pas facile de suivre la ligne.
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Tous (ça ne fait que trois) les films de Zahler sont vraiment intéressants, j’ai peut-être une petite préférence pour Bone Tomahawk…
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Je fais seulement mon entrée sur le territoire Zahler. Mais je compte bien aller taquiner l’anthropophage sous peu. 😉
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C’est tout de même étrange que ses films ne sortent pas au cinéma, car ils sont assez uniques…
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Ils ne sortent pas… en France. « Bone Tomahawk » a très bien marché en salle aux US mais en France il débarquait entre « les 8 Salopards » (avec Kurt Russell également) et « The Revenant ». Dans cette collision de westerns le marché à écarté le plus modeste des trois. « Brawl » par contre a fait un four en salle aux États-Unis, heureusement rattrapé en vidéo dans le reste du monde. Du coup la prudence était de mise avec « dragged across concrete », malgré son casting de fou !
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Merci. En tout cas on fait parfois de belles découvertes avec des films qui ne sortent pas en salle en France.
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Trop too much le block 99 …..
Fan du Tomahawk en os à l’inverse 😉
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Il en rajoute un peu c’est vrai, mais en taule, mieux vaut montrer les muscles. 😉
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Le seul métrage de Zahler que je n’ai pas vu, il faut que je me le procure, ton avis confirme les échos que j’ai déjà eu à propos du métrage en plus. Je vais devoir en faire une vraie priorité là !
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Il te faut absolument compléter cette lacune.
Sec et violent comme tu aimes 😉
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« combler », c’est mieux que « compléter ». 🙄
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Etant donné que j’ai énormément aimé Bone Tomahawk et surtout Traîné sur le bitume, très hâte de rattraper un de ces quatre ce film !
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Il me reste à entamer les deux autres.
Mercinde ton passage.
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Moi aussi j’ai beaucoup aimé ce film. J’adore Zahler, BONE TOMAHAWK fut l’une de mes plus grosses baffes de ces dix dernières années. BRAWL IN CELL BLOCK 99 fait d’ailleurs un peu comme BONE, il brouille les pistes, repousse les lignes, travestit les genres… C’est parfois suffoquant, très dur, mais aussi peuplé d’effets spéciaux de toute petite série B (Z ?) horrifique et tente parfois des trucs vraiment scabreux dans son scénario. Certains y seront allergiques. Mais avec moi c’est passé comme une lettre à la poste.
PS : super blog, je suis soufflé.
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J’attends encore le moment de me prendre ce Tomahawk sur le coin de la figure, et avec la même sourde impatience de me laisser traîner sur le bitume. Pour le moment c’est un peu ceinture côté cinoche et même DVD (la tête coincée dans l’étau du boulot).
Arigato Oli, et bienvenue dans l’antre du Princecranoir. Je pense qu’ici et là tu y trouveras ton compte, car je laisse parfois vagabonder ma cinéphilie vers des contrées plus asiatiques. Et quand viendra le moment de m’épandre sur quelque péloche japonaise, je compte bien sur ton expertise pour ajouter de la plus-value au bas de l’article. 😉
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J’ai découvert le cinéma de Zahler l’été dernier et ce fut un vrai plaisir. Il n’y a rien à jeter entre le western cru qu’est Bone tomahawk, ce film et le polar posé qu’est Dragged across concrete. Mon préféré est ce film du milieu qui sent parfois le carton pâte dans certains aspects, mais s’en sort par un récit qui ne fait pas de cadeau à ses personnages et une violence aussi crue que jubilatoire. Puis quel plaisir de revoir Vince Vaughn dans un film qui en vaut la peine.
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Vince Vaughn est ici impérial ! Et Don Johnson cabotine avec un plaisir jubilatoire.
Je viens de voir « Traîné sur le bitume », ce sera sûrement mon prochain article sur le Tour d’Ecran. 😉
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Puis un truc que j’aime bien aussi dans ses films est la musique. Il compose les chansons et elles sont très agréables. Dans Dragged across concrete notamment.
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Dans « Dragged across concrete » Il y a ce morceau des O’Jays, terriblement funky, qui tranche avec l’image de métalleux que traîne Zahler.
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Shotgun safari. 😉
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Salut Prince du coup je te laisse un petit message sur la page de cette article fort bien écrit au demeurant, et c’est marrant puisqu’on se rejoint sur certains points. Bonne continuation et à la prochaine pour de nouvelle discussion autour du cinéma. Je pense que je publierais bientôt d’autres articles sur les deux films restants de Zahler.
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Merci beaucoup,
Effectivement, nous sommes raccord. La chronique de « Bone Tomahawk » est dans les tuyaux, je devrais pouvoir la publier d’ici peu.
Quant à « traîné sur le bitume », elle est déjà sur le blog. 😉
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