Monty Python : Sacré Graal !

Le rire Jones

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« Ils durent manger un ménestrel mais l’allégresse ne les quitta point. »

On le disait dément depuis quelques temps, totalement fou le Monty. Mais comment eût-il pu en être autrement de la part de ce dingo sorti de Cambridge, à l’instar des autres surdiplômés du dernier rang qui composaient le joyeux cirque volant des Python ? Terry Jones avait la Galles, tel Perceval, inscrite dans les cinq lettres de son nom. Ainsi était-il né pour faire la quête, pour la gloire de l’Histoire médiévale. Et même si aujourd’hui nous rions Jones puisqu’il n’est plus, si même la mort n’a plus de sens, trinquons à la mémoire de holy Terry, resservons-nous encore un peu de ce « Sacré Graal ».

Il y a parfois des œuvres qui, par leur contenu autant que par leur forme, échappent à toute exégèse. Situé à mi-chemin entre le technicolor de carton-pâte des « chevaliers de la table ronde » de Thorpe et les armures de plates rutilantes de l’« Excalibur » de Boorman, « Sacré Graal » des Monty Python est de cette espèce. Qui oserait tenter le moindre décryptage de ce film dont la logique rationnelle ne répond d’aucun dogme, finirait tel le seigneur de Arrrrgh, du château de Arrrgh, dévoré par un lapin coupeur de têtes. Terry Gilliam, l’ami américain infiltré dans la horde de ces dingues grands-bretons saura partiellement s’en souvenir lorsqu’il mènera à son tour une autre croisade filmique délirante dont le titre s’inspire directement d’une créature inventée par Lewis Caroll (l’emplumé « Jabberwocky » peut-être un brin redondant après cette dantesque quête).

C’est lui qui, avec l’autre Terry de la bande (le dit Jones, parce que « n’importe quel Terry peut mettre en scène » selon eux), a la lourde tâche de conduire les opérations de tournage. Il en profite au passage pour enluminer le récit de ses fameuses images animées, intermèdes amusants à l’humour parfois grivois. Marqué du sceau esthétique des peintures de Jérôme Bosch et des paysages nordiques échappés d’un film de Dreyer, « Sacré Graal » ne renie pas ses influences, se servant allègrement dans les rubriques à brac du grand imagier du Moyen Age. « La mise en scène mêle si intimement imagerie et naturalisme, comme dans la séquence de la peste, qu’aujourd’hui de nombreux professeurs d’histoire ne trouvent pas mieux que « Sacré Graal » pour tenter de donner une idée tangible du Moyen Age » commente à juste titre Thomas Sotinel dans le Monde.

Les Monty Python, biberonnés aux classiques historiques s’étalant sur les étagères poussiéreuses des universités d’Oxford et de Cambridge, font le choix de s’en prendre au plus important mythe fondateur de la couronne : la légende Arthurienne. Contrairement à la version comique francisée par Alexandre Astier à la télévision, il ne reste ici du récit originel à peine quelques lambeaux pantelants, gisant au beau milieu des cadavres de chevaliers tombés sous les quenottes incisives du terrible Caerbannog, « le plus néfaste, cruel et irascible rongeur » (dixit Tim l’enchanteur au capuchon cornu). Saucissonnées en sketches pour la plupart irrésistibles, les séquences donnent à voir une vision politique de la société médiévale finalement pas si étrangère à la nôtre.

« Sacré Graal ! est incroyablement libérateur dans sa manière de démonter l’église, la religion… » aime rappeler le Master of Horror Mick Garris, « et chaque minute, chaque seconde est hilarante. » Comment résister en effet à la satire de ce royaume dirigé par un roi sans armée qui ne se distingue que par l’apparat (« il est le seul à ne pas être couvert de merde » dit le « ramasseur de cadavres »), de jardins aromatiques étagés (qui souffrent de la crise économique) ? Comment rester stoïque face à ces châteaux sans seigneur (la rencontre absurde avec la communauté autonome anarcho-syndicaliste pas très éloignée des querelles internes qui agitent certains partis politiques) ou bien peuplés de jouvencelles en chaleur (les cent cinquante résidentes du château d’Anthrax sont leur « île de la tentation ») ?

Ce mélange d’images d’Epinal détournées (l’impayable scène où les villageois veulent absolument brûler une sorcière) et de féerie en roue libre (la rencontre avec les très versatiles chevaliers qui disent « Ni » ou celle du géant à trois têtes) étourdit le spectateur par son débordement comique, son « bouquet d’incongruités » comme l’écrivait Bory dans sa critique enthousiaste, une geste folle qui n’épargne pas ses héros, chevaliers sans peur, sans reproches et sans destriers. C’est Terry Gilliam qui se charge d’agiter les noix de coco pour faire chevaucher son monarque, lui faire traverser les ravins périlleux et les landes hostiles de son royaume, à la recherche du fameux gobelet réclamé par un Dieu aussi autoritaire que peu protocolaire.

Véritables démiurges aux costumes interchangeables (en dehors de Graham Chapman qui porte la couronne, les autres endossent chacun une bonne demi-douzaine de rôles si bien qu’il est parfois difficile de les identifier clairement), les Monty Python ne s’encombrent pas de la moindre déférence à la légende, piétinant le discours officiel et zigouillant au passage celui des historiens. Sans doute conscients que leur attitude iconoclaste est une invite à la rebuffade des esprits chagrins, ils mettent en scène leur propre arrestation en plein film, coupant court à toute tentative de conclusion traditionnelle. Jusque dans la dernière bobine, les Monty touchent au sublime.

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60 réflexions sur “Monty Python : Sacré Graal !

  1. J’adore ce film, comme une fondation de l’absurde que je garde en tête. Merci pour cette belle critique. Je pense que « Nous voulons un jardinet » restera une de mes répliques favorites. Et j’adore également le moment dans le château où les gardes ne comprennent rien aux consignes, pendant que le prince s’essaye à chanter.

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  2. Je suis peiné d’apprendre la mort de Terry Jones des Monthy Python et dans un même élan je pense forcément à cet hymne « Always look on the bright side of life ».. On va suivre son message à la lettre 😉 Ta chronique est belle, on sent que ce soir on a perdu un ami qui quoiqu’il arrive continuera à nous faire rire. Les Monty Python on a jamais fait mieux. Mon préféré est « La vie de Brian » mais j’aime beaucoup aussi « sacrée Graal ». C’est à faire découvrir aux jeunes générations 🙏😉

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  3. Un magnifique texte (avec des références pertinentes, comme d’hab) qui vient à point nommé pour saluer la mémoire de l’un des génies pythonesques (Terry Jones, Dieu chez Dupontel dans « Le Créateur », un rôle à sa mesure). Impossible de se lasser de ce « Sacré Graal ! », chef-d’œuvre nonsensique et irrévérencieux entièrement composé de morceaux de bravoure hilarants. Juste un, parmi tant d’autres, rien que pour le plaisir : « Camelot ! Camelot ! It’s only a model… » (un plan d’ensemble obtenu, si mes souvenirs sont exacts, en filmant… une simple carte postale !). Ça y est, tu m’as donné envie de me replonger dans cette sublime quête ! D’ailleurs, depuis un certain temps, je me refais l’intégrale de leur « Flying Circus » sur Netflix. En un mot : le pied !!! Pour finir, consolons-nous en imaginant Mister Jones en train de serrer la pince de son vieux pote, Graham Chapman… Et quoi qu’il en soit, prenons toujours la vie du bon côté !

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    • Graham Chapman, le roi Arthur de cette quête. Il faisait aussi la voix de Dieu dans « Sacré Graal », peut-être celle que Terry entendit au moment de passer de l’autre côté des nuages.
      Ironie du sort, il nous quitte alors que déboule sur les écrans la BA du Kaamlott d’Astier.
      Je file sur Netflix reprendre le match de foot des philosophes. 😉

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  4. Très beau post Pincecranoir, Terry Jones méritait bien cela. Bizarrement je n’ai pas vu Holy Graal (mais j’ai vu tous els autres) et cela suffit pour se faire une opinion comme quoi les Monthy Python sont des géants de l’humour, qui on réussi à traverser les frontières (ce qui est très rare lorsqu’il s’agit du rire).

    RIP Terry Jones 😦

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  5. Pfff… tristesse

    – Maintenant écarte-toi, valeureux adversaire.
    – Ce n’est qu’une égratignure.
    – Une égratignure? Ton bras est coupé !
    – Non c’est faux.
    – Bien, qu’est-ce que celà alors?
    – J’ai connu pire.
    – Menteur!
    – Approche, gros plein de soupe ! [bling]
    Huyah! [clang]
    Hiyaah! [clang]
    Aaaaaaaah! ARTHUR coupe le bras droit du chevalier noir
    – La victoire est mienne ! [S’agenouillant] Sois loué Ô seigneur d’avoir eu pit..
    – Hah! [coup de pied] Allez viens.
    – Quoi?
    – Prend ça ! [coup de pied]
    – Heu. Tu est très brave, Chevalier, mais j’ai remporté le combat.
    – Oh, on a eu son compte hein ?
    – Ecoute , andouille. Tu n’as plus de bras.
    – Si j’en ai.
    – Regarde !
    – Une simple blessure. [coup de pied]
    – Arrête ça.
    – Poule mouillée ! [coup de pied] Poullllle mouilléééée !
    – Bon, je te coupe la jambe. [coup de pied]
    ARTHUR lui coupe la jambe droite
    – Bon. Tu vas me le payer!
    – Que vas-tu faire?
    – Viens ici !
    – Que vas-tu me faire, me saigner dessus?
    – Je suis invincible!
    – Tu es cinglé.
    – Le chevalier noir triomphe toujours ! Allez, viens!.
    ARTHUR coupe la dernière jambe
    – Bon, on dit match nul alors ? Viens, Patsy.
    – Oh. Oh, je vois. On prend la fuite hein ? Sale lâche! Reviens ici je t’attends. Je vais t’arracher les jambes avec les dents !

    Ha ha trop drôle !
    Mais bon, mon film préféré c’est quand même « La vie de Brian » 😉

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  6. Encore un petit aperçu de leur immense talent ?
    – Le mage : à qu’elle vitesse vole une hirondelle?
    – Arthur : vous parlez de quelles hirondelles? Celles d’Afrique ou d’Europe?
    – Le mage : euh… je sais pas ça.
    une explosion expédie (cette fois-ci) le mage dans le vide
    :))

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  7. Merci.
    C’est pour ça qu’il faut rigoler avant que le ciel nous tombe sur la tête.
    Même si, ne l’oublions pas, les Monty Python sont les auteurs d’un irrésistible sketch sur la blague qui tue !

    J’ai corrigé avant même que tu le dises pour une fois. 😉

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  8. À l’époque, je ne manquais jamais les épisodes du Monty Python Flying Circus (en noir et blanc!). Belle gang de joyeux drilles, et leurs films sont à l’avenant de leur humour absurde. Je regarde encore Sacré Graal avec un immense plaisir! Inclassable et indémodable!
    Merci pour cet excellent article!

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  9. Pingback: Monty Python: Sacré Graal | Cinémathèque Méliès

  10. Très bel hommage aux MP et à Terry Jones. Ca fait un petit moment que je ne me suis pas plongée dans l’univers des Monty Python (en dehors d’un revisionnage d’Un Poisson nommé Wanda avec deux membres de la troupe), je devrais m’y remettre car après tout, il faut bien se marrer ! 😀

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    • C’est vrai, j’avais oublié cette fabuleuse histoire de chevalerie new yorkaise. Je ne l’ai pas vu depuis une éternité.
      Avant cela, il y eut aussi le très grotesquement médiéval « Jabberwocky » que je conseille à tout amateur de Pythoneries.

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  11. Un film qui nous emporte dès son générique improbable et nous garde jusqu’à un final improvisé qui l’est tout autant. Un premier coup de maître pour les Monty Pythons qui continueront dans la satire délirante avec l’impayable La vie de Brian et le plus inégal Le sens de la vie.

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  12. What can I say about this article except that I totally agree? This work is something that goes out of every scheme even today, a crazy but at the same time brilliant work that also shows a deep knowledge and culture and demonstrates the desire of this great group to talk about something, to make fun of everything and everyone and to do it with their unforgettable jokes. A film destined to last over time.

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    • Montys touched the grail with this movie. Just as they made a miracle with « Life of Brian » after that. It’s simply the conjonction of six delirious minds which conduct to a pataphysical way of thinking, always looking on the bright side of life. 😉
      Many thanx for reading and comment. 🙏

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