Profession reporter
« Si vos photos ne sont pas assez bonnes c’est que vous n’êtes pas assez près. »
Endre Ernő Friedmann dit Robert Capa.
Pas un rayon de soleil vert, ni dentelles ni théières, pas une photo du bord de mer, le « Salvador » vu par Oliver Stone n’a pas grand-chose à voir avec celui d’Henri. Dans ce petit pays d’Amérique Centrale, coincé entre le Honduras et le Guatemala, ce serait plutôt junte militaire, exécutions sommaires et insurrection populaire dans le contexte troublé du début des années 80. Tandis que l’Oncle Sam tire les ficelles, le réalisateur, envoyé spécial, compte les points et ramasse les morts.
Les Sandinistes ont pris le Nicaragua, Les Khmers occupent Phnom Penh, les troupes US ont quitté le Vietnam, ça tangue au Salvador : la menace communiste est aux portes du Rio Grande quand un cow-boy entre à la Maison Blanche. En pleine paranoïa, John Milius croit voir se lever « l’Aube Rouge » et, peu de temps après lui, Joseph Zito prédit une « Invasion USA » par des guérilleros aux ordres du KGB (heureusement Chuck Norris a vu le coco venir). En pleine fièvre nationaliste, Oliver Stone a lui une vision autre du contexte politique. Il a écrit l’histoire d’un exilé cubain fuyant le Castrisme mais dont le rêve américain vire au « Scarface » des temps modernes. Puis il s’intéresse au « Salvador », aux crimes abjects qui y ont été commis tandis que l’Amérique fournissait armes et instructeurs tout en regardant ailleurs. Son intention : montrer la réalité du terrain, l’escalade de la violence attisée par les marionnettes politiques. Stone filme son « Salvador » comme un reportage de guerre, « under fire », dans la lignée du film de Spottiswoode ou de « la déchirure » que vient de réaliser Roland Joffé (il saura s’en souvenir aussi quand il faudra filmer « Platoon »).
Caméra à l’épaule, il fait le point sur la souffrance du peuple, et pour la toucher du doigt, il met en scène deux journalistes incarnés par deux James : Woods et Belushi. Si le premier sort à peine de la grande fresque Leonienne « Il était une fois en Amérique », l’autre n’est pas encore connu comme le side-kick de Schwarzy dans « Double Détente ». Aux yeux de Stone, ils sont les candidats parfaits pour jouer deux pieds nickelés qui s’imaginent prendre du bon temps et se refaire une santé financière dans un petit coin de tiers-monde à portée de voiture. Les illusions s’effondrent à peine la frontière passée : c’est au son d’une balle dans la tête qu’ils sont accueillis dans le pays. Sur fond d’Escadrons de la Mort, de corps calciné et de cervelle éclatée, le Salvador nous souhaite la bienvenue.
Pour s’assurer une garantie d’authenticité, Stone souhaitait pouvoir tourner au Salvador. Pour des raisons de sécurité bien compréhensibles (et au regard d’un scénario peu amène envers le pouvoir en place), il doit se rabattre vers un tournage cauchemardesque au Mexique où le suivent sa fidèle équipe de techniciens (parmi lesquels le futur oscarisé Robert Richardson, chef op’ débutant) : « C’était un film avec des séquences très chères à tourner et au quarante-deuxième jour nous n’avions plus d’argent. » rapporte Oliver Stone à Michel Ciment. Malgré un budget réduit à la peau de chagrin, « Salvador » se montre largement à la hauteur de ses ambitions. Il peut compter sur bon nombre de figurants (sans doute payés au lance-pierre), des décors couleur locale et un climat raccord. Il se fend même d’une formidable scène de bataille avec blindé et avion de guerre pour figurer la conquête de Santa Ana par les opposants au pouvoir. Tandis que la BO un peu ronflante de Georges Delerue cède la place à des chants révolutionnaires, il plane soudain sur ce « Salvador » un air de « Horde Sauvage » qui s’écrie « Viva Zapata ! »
Stone tient tout de même à appuyer son scenario sur l’histoire récente du Salvador. Afin d’étayer son propos, il fait référence à l’assassinat de l’archevêque Romero, et s’appuie sur le vécu du photojournaliste Richard Boyle qui signe avec lui le scénario. Celui-ci n’hésite pas à prêter sa chemise trempée de sueur à un James Woods en mode brindezingue. Le portrait qui s’en dégage n’est toutefois pas vraiment à son avantage : on le découvre tête brûlée, porté sur la bouteille, baratineur toujours fauché, incapable d’avoir une vie de famille, dangereux pour son entourage. Mais cet électron libre jamais ne trahit la cause de ceux qui souffrent et revendique haut et fort ses affinités de gauche (même s’il reconnaît s’être un peu planté en écrivant un article élogieux sur le régime de Pol Pot). « Tu ne tiendrais pas quinze jours sur un Network ! » lui lance sa blonde consœur bien plus consensuelle dans les jardins de l’ambassade. Vu que le gouvernement local est cul et chemise avec la CIA, mieux vaut aller dans le sens du vent gouvernemental pour ne pas risquer de finir au fond d’un trou.
A travers ce personnage sans compromission, Stone entend bien mettre un frein à la propagande reaganienne, ouvrir les yeux sur la brutalité de la politique interventionniste de Washington. Le Leica en bandoulière, Boyle mitraille à tout va : charniers à ciel ouverts, enfants mutilés, soupe populaire, il est aussi là où ça canarde, au côté de son confrère John Cassady. Pour ce nouveau « voyage au bout de l’enfer », c’est John Savage qui s’y colle. Avec ce personnage, Oliver Stone pourtant si attaché à se faire chantre de la vérité, s’arrange avec le réel (on notera d’autres accrocs, notamment le nom de l’ambassadeur yankee), au risque de se décrédibiliser.
Mais pourquoi ne pas voir ce reporter imaginaire, qui n’apparaît dans le film que de façon ponctuelle, quand les évènements s’emballent et que se lève le vent de la révolte, comme l’émanation de la conscience professionnelle de Boyle, l’incarnation du Capa qui sommeille au fond de lui. Il n’a en effet que peu d’interactions avec les autres personnages, à commencer par Maria (Elpidia Carillo, déjà présente dans « Under fire », bientôt de retour dans la jungle du « Predator » de McTiernan), la jolie Salvadorienne que Boyle avait séduit lors d’un précédent voyage et qu’il tente de protéger de la barbarie. Il n’en a pas davantage avec le « docteur Rock » interprété par Belushi et qui ne sert que de compagnon de galère. Cassady incarnerait alors cette idée force qui va hanter toute la filmographie à venir : il est le lanceur d’alerte, le témoin dans l’angle mort, l’expression d’une prise de conscience nécessaire, au plus près de son objectif. Avec « Salvador », Oliver Stone signe son premier vrai film politique (un de se ses meilleurs aussi), premier coup de scalpel dans la grande autopsie du mensonge états-unien.
J’ai souvent un faible pour les vrais bons films politiques (ce qui ne se voit pas forcément sur Pamolico…) et la Guerre Froide est une période qui m’intéresse tout particulièrement – d’autant plus quand cela touche à l’influence des États Unis en Amérique du Sud et la doctrine Monroe. Merci donc pour cette référence ! 🙂
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Dans ce cas, je ne saurais trop le conseiller ! Il a en plus un côté « roots » dans la forme qui lui confère un réalisme bluffant.
On connait Stone et ses prises de positions politiques, réalisateur qui depuis longtemps dénonce l’hypocrisie et le cynisme de la politique dtoitiste américaine. Dans Salvador, on a le nez en pleine ère Reagan. J’imagine qu’avec le président actuel, il aurait de quoi faire pas mal de films aussi.
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Eh bien je note et je signe ! Merci pour la découverte 🙂
Haha, oui, malheureusement…
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Grand film, effectivement. James Woods impérial. Sur le thème du reporter deux autres excellents films l’avaient précédé : Under Fire et La déchirure. 🙂
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Sur un autre théâtre de guerre tu avais aussi « l’année de tous les dangers » de Peter Weir.
Il y a un côté picaresque dans Salvador, surtout au début quand les deux journalistes debarquent, mais aussi des sequences très brutales (notamment une scène de viol).
James Woods est excellent dans ce rôle de photographe un peu barré qui se prend la situation en pleine face. A l’époque on le connaît peu, à part les amateurs de Cronenberg et ceux qui l’ont repéré chez Leone. A l’origine, il devait jouer le rôle de dr Rock car Stone voulait Martin Sheen pour jouer Boyle (pour avoir l’acteur d’Apocalypse Now). Finalement Woods l’a convaincu de lui donner le rôle principal et c’est Belushi qui écope du rôle du pote embarqué dans la galère.
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Si, si, Woods s’était déjà fait un nom.
Je me souviens d’y avoir été car je l’avais beaucoup aimé dans Vidéodrome et Il était une fois en Amérique. 😉 J’ai découvert Oliver Stone, grâce à lui, en fait. 😀
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Stone à l’époque est surtout connu pour ses scénarios, notamment celui de Scarface qui lui permet de lui ouvrir les portes des autorités Salvadoriennes. Ils ont, paraît il, refusé le tournage car ils avaient peur que l’image du pays nuise au tourisme ! (pas sur qu’il en avait beaucoup à l’époque) 🙄
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J’ai beaucoup aimé ce film avec un James Wood excellent dont le rôle lui va comme un gant 👌🏻 👍🏻
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C’est un des rôles qui la révélé.
Le film par bien des côtés annonce aussi le Viêtnam de Platoon, dans sa vision crue et non stylisée de la guerre.
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James Wood est très bon dans ce film…
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Remarqué et remarquable, c’est vrai. On le retrouvera également très bon dans « Cop » trois ans plus tard.
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Très bon film qui montre le travail des photographes de guerre. Pas le même métier que celui de ceux qui se content de ramasser des infos sur le net et les réseaux sociaux. Entre la réalité du terrain et le confort devant un écran… il peut y avoir un gouffre !
Sinon, ‘Salvador’ est le troisième long métrage d’Oliver Stone et montre enfin de quoi l’homme est capable. Les deux premiers n’étaient pas terribles (‘Seizure’, gros nanar, et ‘La main du cauchemar’, sorte de remake plus maitrisé, diffusés actuellement sur les chaînes Ciné+), et c’est en qualité de scénariste de choc que Stone s’était surtout distingué, comme tu le précises. Depuis l’homme a aligné les grands films.
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Le reporter de guerre, métier qui tue encore aujourd’hui pas mal de journaliste (quand ils ne finissent pas torturés dans les geôles d’une dictature), fait montre en effet d’un courage exceptionnel. Le récent film sur Paul Marchand (« sympathie pour le diable » que je n’ai pas vu encore) le montre très bien aussi je crois.
Oui, je crois que Stone a plus ou moins désavoué ses films d’horreur tournés dans les années 70. Je ne les ai pas vus. Peut y a-t-il ça et la quelques prémices de son style à venir, de son rapport à la violence, à la mort qui jalonnent ses scénario suivants ? Je ne sais même pas s’ils ont été édités en DVD.
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Un nouvel éditeur (Extralucid Films) tient actuellement une campagne de financement participatif pour éditer leurs premières éditions (c’est clairement des précommandes en fait). Il s’agit de films bis, comme ‘Star Crash’ de Luigi Cozzi ou ‘Seizure-la reine du mal’, premier long de Oliver Stone. Une curiosité mais un mauvais film pour moi, découvert la semaine passée sur Ciné+Classic. Le second long de Stone, ‘La Main du cauchemar’ est lui diffusé ces jours-ci sur TCM, tout comme ‘Né un 4 juillet’.
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Bon à savoir. Merci du tuyau. 😉
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Pas vu, mais j’ai lu ton post avec intérêt. Il faudra qu’un jour je me replonge dans Oliver Stone. C’est un cinéaste trop politique pour moi et je ne me suis jamais précipité sur ses nouveaux opus, je le connais assez mal en fait.
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Même chose de mon côté. C’est un cinéaste par contre très intéressant à écouter.
Il se trouve que, de passage à Lyon, j’ai pu profiter d’une séance précédée d’une conférence par Samuel Blumenfeld à l’Institut Lumière sur l’œuvre d’Olivier Stone. Ça donné très envie de voir où revoir ses premiers films : la trilogie vietnamienne comme sa trilogie présidentielle (que je connais nettement moins).
Il se trouve que Salvador est un film vif et incisif qui n’a rien perdu aujourd’hui de sa force de frappe. C’était déjà un de mes préférés quand je l’avais vu pour la première fois dans les années 90 (en VHS à l’époque).
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Je le note. Je tâcherai d’aller le voir à l’occasion 🙂
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Un film, pour ma part, inoubliable! A la fin, je m’étais même dit : il s’est enfin sorti de tout ça, il l’a bien mérité, MAIS… (je ne révélerai pas le final 😉 )
Quant à la filmo d’Oliver Stone, je dirai que ce sont les années 80 où il a réalisé ses meilleurs films
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C’est vrai. Et en même temps, le carton final qui explique ce que sont devenus les personnages est problématique tout de même : il explique ce que sont devenus les clichés pris par Cassady alors que le personnage est une pure invention ! Cela n’enlève rien ceci dit aux qualités formelles du film.
Je te rejoins sur les années 80. Ça fait longtemps que je n’ai pas vu un Stone récent. J’ai lu grand bien de Savages, d’après le livre de Don Winslow.
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Oh la la , que de pubs sur ton blog ! C’est luna park et ça clignote de partout. Es-tu informé de ce désagrément ? Aujourd’hui je me retrouve avec des jeunes femmes dénudées qui me proposent un rencard !!! Ainsi que des DVD Rakuten qui défilent. C’est très gênant pour la lecture.
Mais revenons en au film. Je ne suis jamais allée en vacances mais étant donné la façon dont il souhaite la bienvenue, je ne pense pas y aller. Je vais tenter la Bretagne. J’ai vu le film dans ma folle jeunesse et je n’en garde pas un souvenir ébloui. Pour moi LE film de reportage in situ reste La déchirure, imagine !
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Je ne les vois jamais ces pubs car je suis toujours connecté à mon compte et elles n’apparaissent pas.
Ces pubs sont sans doute des propositions qui correspondent à tes affinités sur le net, je ne sais pas 😉
Je vais aller vois si j’ai les mêmes. 😁
La Déchirure est très bon, le meilleur Joffé avec Mission. Si tu as l’occasion de revoir Salvador, je pense qu’il te plairait.
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Je ne suis jamais allée en vacances AU SALVADOR of course !
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Moi j’ai droit à un jeu débile, on veut me vendre des bagnoles et des panneaux solaires… 🤔
Mais c’est vrai que ça clignote. Va falloir que je songe un jour à passer à une version sans pub.
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Je t’échange les bagnoles contre les filles à poil.
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Dans Salvador, James Woods a les deux. 😉 Enfin, je te raconte pas l’état de la bagnole.
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