La SOURCE

Dies Irae

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« Alors je vis et j’entendis un aigle qui volait par le milieu du ciel, et qui disait à haute voix : Malheur ! Malheur ! Malheur aux habitants de la terre, à cause du son des trompettes dont les trois autres anges doivent sonner ! »

Apocalypse VIII-13

« J’ai tourné pour tant de pays, dans tant de pays que je ne m’en souviens même plus. »

Max Von Sydow

Une silhouette sombre descend d’un taxi. Un homme, sa valise à la main, s’avance sous la lueur d’un lampadaire, poursuivi par la nuit. Il sait que le Diable l’attend à l’étage. Cet homme, naguère chevalier qui eut bravé la Faucheuse en territoire pestiféré, s’apprêtait alors à combattre le démon en tenue d’Exorciste. De sa haute stature et de son port altier, il a arpenté le cinéma du monde entier. Cela le prédestinait à être dans les ordres, frémen au regard bleu couleur d’épice, candidat naturel à la race des seigneurs pour nombre de réalisateurs. Max Von Sydow n’est plus, échec au roi. Jamais, plus jamais nous ne verrons l’acteur dans un nouveau film. Mais pour mieux sonder son œuvre, percer l’armure de cette figure hiératique du cinéma suédois, allons nous abreuver à « la Source », celle qu’Ingmar Bergman porta à l’écran en s’inspirant d’une ballade du XIIIème siècle.

Cette œuvre magistralement filmée et éclairée par un cinéaste unanimement vénéré comme l’un des plus éminents piliers du cinéma nordique, est bel et bien le prestigieux modèle dont se servirent Wes Craven et John Cunningham pour indiquer le chemin qui mène à leur sinistre « dernière maison sur la gauche ». Au sordide fait divers contemporain, préexistait donc une passion médiévale, très largement empreinte de religion et de souffrance. Bergman est, à n’en pas douter, un des plus grands peintres doloristes du septième art, ayant lui-même subi l’éducation rigide d’un père luthérien et rigoriste. On peut d’ailleurs se demander s’il n’y a pas quelque chose de ce père dans la haute figure du pieux et charitable fermier Töre, le père de la jeune victime martyrisée, offrant sans le savoir gîte et couvert aux bourreaux de sa fille.

Campé par un Max Von Sydow dans la rigueur de l’âge, véritable force de la nature, de retour au Moyen Age trois ans après avoir mené les blancs à la victoire contre le noir dans une lutte acharnée contre la Mort, il personnifie sur son trône de bois, au côté d’une mater dolorosa dont le seul péché ne semble être, comme pour lui, que celui de vouer une adoration sans borne à sa fille unique, l’autorité bienveillante sur la petite communauté familiale. Isolés dans la campagne, remettant leur existence à Dieu, parfois si cruel, si injuste, ces gens forment un microcosme métaphorique à l’équilibre fragile. La douce et blonde Karin (Brigitta Pettersson), naïf angelot ayant quitté un matin son berceau pastoral pour porter quelques cierges dans une église bien trop éloignée, sera ainsi livrée aux loups prédateurs représentés par deux chevriers affublés de leur jeune frère, tapis dans une forêt sinistre et décharnée.

Sous ces oripeaux historiques se cache bien entendu une forte dimension symbolique à laquelle l’incarnation du Diable (déjà lui) n’est pas étrangère. Ingeri n’avoue-t-elle pas l’avoir invoqué en la personne de la païenne idole Odin ? Et ce vieux bouc qui l’accueille en sa chaumière à la lisière de la forêt, dans laquelle jaillit un flot noir, n’est-il pas la personnification de ce grand corrupteur d’âmes. Une fois de plus, Bergman s’astreint à une ascèse, tant sur le plan du récit que dans sa traduction en images. Après s’être combattus sur l’échiquier du « Septième Sceau », Le Noir et le Blanc prennent leur revanche dans la clarté des enluminures voulue par le réalisateur, splendides tableaux qui confinent à la « la pureté gothique, où tous les gestes, tous les sentiments, tous les actes des personnages se trouvent transcendés » (écrivait Jacques de Baroncelli dans son article du Monde). Après avoir entamé son récit sous un jour bucolique, nous emmène sur des sentiers infernaux pavés de misère pour aboutir au carnage nourri des flammes de la vengeance.

A l’image du récit que l’un des commis de la ferme fait au plus jeune des frères meurtriers, Bergman se refuse toutefois à nous abandonner à un triste soir neigeux et, dans un ultime revers de scénario, change au point du jour la couleur de sa source, jusqu’alors si sombre. La très belle image de conclusion, baignée de repentance et de miséricorde vient nous rappeler qu’Ingmar Bergman, à l’image du plan d’ouverture de son film, n’a pas pour seule intention que de souffler sur des braises.

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29 réflexions sur “La SOURCE

  1. Je n’ai jamais vu ce film et Bergman reste encore pour moi un territoire inconnu (excepté ‘Le Septième Sceau’). Mais bel hommage à Max Von Sydow. Dire que je l’ai mis en photo sur mon blog il n’y a que quelques jours, en Fremen (d’adoption) chez Lynch. Belle carrière !

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  2. regard bleu couleur d’épice… tu connais des épices bleues ??? :-))))*
    Je n’ai vu que qq films de Bergman. Grosse lacune. Je prends souvent le DVD du 7ème sceau en main… et je renonce.

    *Ah oui !!! Eurêka, c’est rapport à Dune !

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  3. Hermétique au cinéma de Bergman …
    Découvert Von Sydow en Père Lankester Merrin ( difficile de l’oublier ) puis G. Joubert chez Pollack…..
    Magnifique acteur.
    Trop tôt disparu ( Nan là je débloque 😉 )
    R.I.P Monsieur.

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  4. Très bel hommage à un immense acteur qui, non content d’avoir été l’alter ego de Bergman, a su se diversifier dans la deuxième partie de sa carrière dans des rôles qui n’ont rien à voir.

    J’avais vu tous les films qu’il avait tournés avec Bergman lors d’un cycle consacré à Bergman il y a deux ans et à chaque fois, c’était un enchantement.

    Et très beau post sur La source aussi, un des très beaux Bergman, dans sa veine moyennageuse que personnellement j’aime beaucoup.

    Et un tout petit truc (je sais je chipote) : quand tu dis filmée et éclairée par un cinéaste unanimement vénéré comme l’un des plus éminents piliers du cinéma nordique , moi j’aurais carrément enlevé le « nordique » (et je me suis demandé si la phrase s’appliquait à Bergman ou à Sven Nyqvist, mais elle spapplique probablement aux deux 🙂 )

    En tout cas merci pour cet hommage bien mérité.

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  5. Un film où Max von Sydow est particulièrement impressionnant en effet. Bergman lui même n’aimait pas tellement le film mais il contient plusieurs scènes marquantes (dont celle de l’arbre que tu as mise en exergue). J’avais également chroniqué le film. RIP Max von Sydow.

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    • « Les êtres sont du même bois massif que les meubles, et lorsque le père plante son grand couteau vengeur dans la table, cela résonne profondément et fait trembler » lisait-on sous la plume de J. Michel dans « Le Parisien » à l’époque. Von Sydow, dans ce film, est fait de ce bois dur.
      Cela impressionna beaucoup Wes Craven qui se souvient du film en ces termes lorsqu’il écrit « la dernière maison sur la gauche » : « Il y a quelque chose qui m’avait inspiré dans « La Source », c’était la manière dont Bergman réussissait à ce que le spectateur s’intéresse aux bergers criminels, et pas seulement à leur victime. »
      Ce double point de vue rend ce film particulièrement troublant il me semble, infiniment supérieur en tout cas à la relecture par l’Américain.

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    • C’est une grande figure du cinéma qui s’en va. Ce rôle dans « le septième sceau » l’a ancré dans les mémoires comme une figure moyenâgeuse. On l’a revu ensuite en roi désespéré dans « Conan » ou en Sir Locksley dans le « Robin des Bois » de Ridley Scott.

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    • Il me faut donc le voir impérativement.
      Dans « la Source », il est d’autant plus remarquable qu’il interprète avec conviction ce rôle de père alors que seulement 10 ans ne séparent l’acteur de sa partenaire qui joue Karin, sa fille !

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    • Entamer sa découverte du cinéma de Bergman par « La Source » est une sacrée entrée en matière. Le film est d’une rigueur et d’une sécheresse (oxymore intéressant en regard du titre) tout à fait saisissantes. Et Max Von Sydow y est incroyable.

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