Carole et Fredric
« Essayer de déterminer ce qui se passe dans le monde par la lecture des journaux revient à essayer de donner l’heure en ne regardant que la grande aiguille d’une pendule. »
Ben Hecht, a child of the century, 1954
Carole Lombard est condamnée. « La mort la guette » prétend même un journaliste sur la foi d’un entrefilet gribouillé à la hâte dans la colonne des faits divers. Pas d’inquiétude pour le moment car l’avion qui transporte « la Joyeuse Suicidée » vers New-York est piloté par un expert du manche. Elle n’aura qu’à se laisser porter sur les « ailes » de William A. Wellman dans une comédie grinçante et mal léchée signée Ben Hecht.
Y a de la joie en cette deuxième moitié des thirties. Hollywood tente d’effacer les traces des temps amers de la Grande Dépression en offrant au public des comédies plus ou moins légères dans lesquelles « Veuve » et autre « Divorcée » affichent sans réserve leur bonne humeur. Histoire de rompre avec la teinte mélodramatique qui caractérisait « A Star is Born », « Wild » Bill Wellman accepte de donner dans la gaudriole en enchaînant la même année avec « Nothing Sacred », toujours sous la houlette du tout-puissant Selznick.
La férocité du script proposé par Ben Hecht a dû séduire immédiatement l’incorrigible réalisateur qui ouvre le film sur un discours virulent et sans ambages : on y dénonce « les combinards et les je-sais-tout » qui « font leur trafic de lingots d’or » et les feuilles de choux « où la vérité, même quand écrasée sur le sol, rejaillit encore plus fausse qu’un œil de verre. » On peut difficilement être plus clair sur la teneur corrosive du récit qui va s’ensuivre, réquisitoire sans appel de toute forme d’exploitation d’un misérabilisme de pure fabrication.
En s’emparant de l’histoire originale imaginée par James H. Street, Ben Hecht n’y va pas avec le dos de la cuillère pour ramasser les débris d’une profession qui a depuis belle lurette abandonné toute garantie éthique. Il faut dire que l’auteur de « The Front Page » a de l’expérience en la matière, ayant lui-même usé, durant sa prime carrière de reporter, de stratagèmes pas toujours très honnêtes pour obtenir des scoops à livrer au Chicago Journal. Il a forcément injecté un peu de lui-même dans la personnalité de ce Wally Cook, pigiste peu vergogneux en quête de sensationnalisme.
Fredric March, sauvé des eaux dans lesquelles il avait noyé son chagrin pour « A Star is Born », enfile le costume peu reluisant de cet escroc du journalisme, immédiatement discrédité par un douteux mécène oriental (qui n’était autre que le meilleur cireur de Harlem). Cet arrière-goût de revanche sociale chère au réalisateur s’offre un pied-de-nez sarcastique à l’establishment perché dans sa tour d’ivoire new-yorkaise, un scandale qui fait flancher l’édifice de probité bâti par un magnat nommé Oliver Stone (sic) campé par Walter Connolly. Les efforts de reconquête du lectorat qui vont s’ensuivre pousseront plus loin encore les limites de la décence.
L’affaire ahurissante que Wellman se charge de mettre en scène entend bien faire grincer des dents tout en gardant le sourire, sans se soucier visiblement de la limite du politiquement correct. Le script repousse habilement l’entrée en scène de la vedette féminine, histoire de nous préparer au pire. Par un étrange hasard, avant d’aller jouer un « Jeux Dangereux » avec Lubitsch, la pétillante Carole Lombard battait déjà le pavé de la ville de Warsaw. Foin de Pologne écrasée sous la botte nazie, c’est ici dans une bourgade homonyme du Vermont que le scénario situe l’épicentre radioactif de « la Joyeuse Suicidée », une cambrousse où se terre une pauvre ouvrière supposément empoisonnée au radium.
Les jours d’Hazel Flagg sont apparemment comptés, et son rêve de voir New York s’effondre à l’approche de l’heure fatale. Mais visiblement la jeune femme pète la forme, à son grand désespoir visiblement, jusqu’à ce que la rencontre avec le bobardier du Morning Star qui a flairé le coup médiatique débarque et lui propose la tournée des grands ducs dans la Big Apple. Le déchirant cri d’alarme tourne alors à l’imposture caractérisée avec la complicité d’un toubib rancunier. La revanche du péquenot venu du rural sur l’arrogance du citadin en costard est une aubaine pour moult scènes de comédie, à commencer tout de même par un portrait plutôt rugueux de l’autochtone vermontois. Cantonnés à la monosyllabe (yep/nope), la méfiance aux aguets à l’approche de l’étranger (et plus encore s’il s’agit d’un journaliste), les habitants de Warsaw vus par Wellman ne se montrent pas des plus amènes (à commencer par Margaret Hamilton en épicière si revêche qu’on la sent prête à enfourcher le balai de la Sorcière de l’Ouest).
Ce n’est pourtant que de la petite bière comparé aux simagrées qui attendent Hazel dans la grande ville, aux hurluberlus qui vont croiser sa route (catcheurs, cavalières et autres éminents savants venus d’Europe de l’Est), toute une galerie guignolesque qui semble mettre en joie le réalisateur. « Wellman projette une lumière singulièrement crue sur les impostures » analysait Michael Henry Wilson dans à son ouvrage somme « A la porte du Paradis ». Il est vrai qu’à l’écran, il ne s’autorise aucun filtre, quitte à heurter les conventions actuelles quand Carole Lombard se prend une beigne (March s’en prendra une autre en retour tout de même) ou à taquiner la censure en remontant les jupes de la jolie rouquine. Wellman traîne avec lui cette réputation de dur à cuire, de vétéran qui ne s’en laisse pas compter.
La comédie reste tout de même très abrupte, exempte de la finesse propre à Lubitsch ou facétieuse comme chez Sturges. Carence de rythme et gags souvent poussifs, force est de constater que « tout sonne faux et semble mécanique », tel est le verdict implacable de Tavernier et Coursodon dans « 50 ans de cinéma américain ». Difficile de leur donner tort, même si on peut considérer que cette « Joyeuse Suicidée » est le brouillon de « la Dame du Vendredi » de Hawks, et ouvre une voie qui mènera plus tard au « gouffre aux chimères » de Wilder. Reste le plaisir de voir évoluer une charmante actrice dont la carrière sera tristement fauchée en plein vol.
Oula le verdict du dernier paragraphe ne fait pas rêver.
Pourtant la charmante Carol et MON Fredric… que tu ne connaîtras vraiment qu’après avoir vu Merrily we go to hell, et vlan.
(March s’en prendra une autre retour tout de même)
J’aimeAimé par 1 personne
Et vlan, dans la mienne. 😉
Pas vu ce chef d’œuvre avec le grand Fred.
Mais A star is born, Dr Jekyll, Sérénade à trois, je suis déjà très client !
J’aimeJ’aime
Et pour revenir sur « Nothing sacred », faut avouer que ce n’est pas un grand film, malgré March, malgré Ben Hecht et la joviale Carole. Et malgré Wellman, sans doute le plus eastwoodien des réalisateurs d’avant Eastwood.
J’aimeAimé par 1 personne
Merrily forever, Nothing else.
J’aimeAimé par 1 personne
Information intéressante.
J’aimeAimé par 1 personne
J’adore ton « gif » !!
J’aimeAimé par 1 personne
Il est sympa. Je reconnais l’avoir chopé sur le net.
Le film n’est pas folichon par contre.
J’aimeJ’aime
Bon, ben tu n’as pas aimé apparemment (moi je ne l’ai pas vu, je ne peux pas commenter, je « commente sur le commentaire »). C’est dommage.
Et pourtant !! Ben Hecht qui nous parle des journalistes … c’est comme dans The Front Page que tu cites qui deviendra au cinéma l’absolument sublime La dame du vendredi.
Carole Lombard ! Je l’ai vue (sur l’écran pas en vrai) dans To be or not to be il y a deux mois (j’ai appris par ton post que le film s’appelle Jeux dangereux en français) et j’en rigole encore rien que de penser au film.
Tout pour plaire non ? Apparemment non, c’est dommage. Cependant, je ne m’interdit pas de voir le film si l’occasion se présente.
Vas tu nous gratifier d’un de tes formidables posts d’hommage à Suzy Delair 🙂 ?
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai déjà publié un article sur « Quai des Orfèvres » sur la miss tralala qui s’en est allée (triste période pour mourir). Et puis Rabbi Jacob !
Il faut que je me refasse « l’assassin… » pourquoi pas, ça ferait un bel hommage à Suzy.
« La joyeuse suicidée » à tout pour plaire, Carole, Fredric March, Bill Wellman, Ben Hecht (le « Shakespeare d’Hollywood ») et même le Cinécolor ! Pourtant, mieux vaut revoir « la dame du vendredi » ou « Spéciale Première » de Wilder.
« to be or not to be » c’est, avec « le Dictateur » à la même époque, le must de la satire du nazisme. Irrésistible.
J’aimeAimé par 1 personne
Jamais vu ce Wellman, et à te lire, comme on peu s’en douter, son style sec n’est pas vraiment fait pour les comédies.
J’aimeAimé par 1 personne
On devine tout de même, entre les lignes du scénario acide de Ben Hecht, la dent dure de Wellman (un des modèles trop peu cités d’Eastwood), mais certes maladroit dans l’art de faire rire.
J’aimeJ’aime