Règlement de compte à O.K. CORRAL

Rendez-vous avec la mort

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« Même si Kirk et moi nous disputions ou nous confrontions, nous étions toujours côte à côte, nous nous comprenions. En fait ce que j’essaie de vous dire, c’est que nous nous aimons beaucoup. »

Burt Lancaster, discours hommage à Kirk Douglas pour l’American Academy of Dramatic Arts de New York, 6 avril 1987.

« La caractéristique du fait divers est que, comme l’accordéon, il peut se déployer ou revenir à des proportions plus modestes. Tout dépend de l’unité de mesure que l’on choisit. »

Jean-Louis Leutrat et Suzanne Liandrat-Guigues, Splendeur du western, Rouge Profond, 2007.

Trente secondes. Selon les experts, c’est le temps approximatif que dura la fusillade opposant le clan légaliste Earp à celui des cattle barons Clanton le 26 octobre 1881. Il faudra néanmoins quatre jours de tournage et cinq minutes de film pour que le Marshal et ses deux frères, soutenus par la puissance de feu d’un dentiste à la gâchette fiévreuse, viennent à bout des bouviers récalcitrants dans la version romanesque du « Règlement de compte à O.K. Corral » façon John Sturges. Dans ce western de la fin de l’Âge d’Or d’Hollywood, on ne se soucie guère de réalisme ou de fidèle reconstitution. C’est la légende qui s’imprime à l’écran, s’écrit grâce à un Burt Lancaster portant l’étoile et un Kirk Douglas lanceur de couteaux, unis à la vie à la mort dans une chanson de geste entêtante.

« So cold, so still » est le cimetière de Boot Hill décrit dans la complainte de Frankie Laine qui accompagne la geste des héros de l’Ouest en construction. Les cimetières plantés dans le sol aride qui entoure les villes pionnières sont ici à la fois les témoignages d’une Histoire qui s’est écrit sur les cadavres des plus faibles et les hérauts mutiques de la tragédie annoncée par le titre. Un cinéaste italien se souviendra de cette ville de chemin de fer, de ces jardins de pierres à l’ombre des cactus, comme de ces cavaliers qui soulèvent la poussière à leur passage auprès d’eux. Il se souviendra de Lee Van Cleef venu chercher des noises au Doc Holliday dans le saloon de Fort Griffin, comme du regard torve de Jack Elam venu prêter main forte aux Clanton dans la bien nommée Tombstone. Admirateur du travail de Sturges, Sergio Leone émettait néanmoins quelque réserve sur un point précis dans ses entretiens avec Noël Simsolo : « Je me suis toujours demandé ce que Rhonda Fleming venait foutre dans cette histoire ! Dès qu’elle apparaissait, le rythme se brisait. »

Il est vrai que les promenades forestières de l’actrice à la chevelure fauve au bras d’un Burt Lancaster plus félin que jamais fleurent bon le superflu, servies sur des dialogues insipides, et ce en dépit de toute la charge érotique que s’efforce d’insuffler la mise en scène de Sturges. « Ayant d’une part Lancaster sans petite amie et Kirk Douglas entretenant une relation sordide avec une femme qu’il finit par abandonner, Hal Wallis a décrété que Uris avait l’intention délibérée de faire de Wyatt Earp et de Doc Holliday deux pédales. Il voulait absolument que le shérif se tape une fille pour que le public soit rassuré sur la virilité de Kirk et de Burt. » se souvient le réalisateur dans ses échanges avec Emmanuel Laborie. L’ombre portée du tout-puissant producteur sur l’écriture du scénariste se fait donc sentir dans les défauts imputés à ce western qui ne manque pourtant pas de charme et de tension dramatique.

Le mérite en revient sans doute à l’interprétation des deux vedettes de premier plan. Après avoir retracé dans une incarnation remarquable « la vie passionnée de Vincent Van Gogh », Kirk Douglas persiste dans son registre autodestructeur avec ce rôle de dentiste cacochyme qui semble avoir une dent contre lui-même. Tiré à quatre épingles, gentleman à la table de jeu mais si rustre avec la femme qui l’aime, il est le Jekyll et Hyde de cette dramaturgie. Imbibé d’alcool (ultime remède à sa portée pour faire barrière à la tuberculose qui le ronge), il se change en bête féroce passant sa colère sur l’oscarisée Jo Van Fleet, amoureuse désespérée très à l’Est de l’Eden. « Je ne veux pas partir lentement » avoue-t-il à son frère d’arme, au point de chercher à tout crin à hâter son rendez-vous avec l’instant fatidique. A la fois séduisant et effrayant, Doc Holliday en devient le personnage le plus attachant du film, magistralement porté par un Douglas toujours mobile, tantôt vif comme l’éclair tantôt terrassé par la maladie, le regard aussi mutin qu’il peut être inquiétant lorsque la rage lui monte à la tête.

A ses côtés, Burt Lancaster fait figure d’associé au visage marmoréen, statue du commandeur et parangon de vertu, un moralisateur assermenté peu ouvert à la négociation. Sous la plume de Léon Uris, cela ne fait pas de Wyatt Earp un homme sympathique pour autant. Il se conduit comme un goujat lorsque Laura la joueuse s’invite à la table des messieurs, se montre buté lorsque Ike Clanton cherche un compromis, et fait un usage de la loi parfois excessif et personnel lorsqu’il faut un prétexte pour mettre un contrevenant sous les verrous. C’est donc sans surprise qu’il bascule dans la vendetta pure et dure dans l’acte final. A cet instant, les deux figures principales font cause commune à l’écran, fusionnent dans le reflet du miroir en revêtant le même habit de vengeance. Ce plan fit assurément le bonheur de Sam Peckinpah, on en retrouve la trace dans ses propres westerns. Il en va de même pour ces quatre fiers gunslingers en route vers l’enclos funeste, anticipant la dernière marche de « la Horde Sauvage » vers son ultime acte de bravoure.

Près d’un pont sous lequel ne coule aucune rivière, s’ouvrent les hostilités à coup de chevrotine, dans un retranchement naturel qui rappelle celui que trouvent William Holden et sa compagnie, non pas chez Bloody Sam mais dans « Fort Bravo », autre western méconnu et pourtant mémorable déjà signé du même réalisateur. « Sturges n’a filmé que la poussière, les cactus, la rocaille qui tranche avec les vents de sable qui transportent le cri des coyotes » écrivait Laborie dans son opuscule sur ce cinéaste parfois méprisé (à tort), et qui s’apprête à triompher avec « les Sept Mercenaires », autre association de bienfaiteurs venus faire la loi en milieu aride.

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36 réflexions sur “Règlement de compte à O.K. CORRAL

    • Il faut absolument, il est mythique. Un des meilleurs de Sturges qui a en tourné quelques uns, pas toujours très bons ceci dit. J’aime aussi beaucoup son précédent, « coup de fouet en retour » avec Widmark, et le suivant aussi « last train to Gun Hill » avec Anthony Quinn et… Kirk Douglas.

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  1. When legend becomes facts, print the legend 😉
    En ce temps là, les Colts 1873 n’avaient pas besoin d’être rechargés, les Double-Barreled Shotgun non plus, époque épique ou tu pouvais arroser à volonté.
    Joli billet.

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    • Oui, c’est vrai, j’aurais pu aussi citer la fameuse phrase de « Liberty Valance ». J’ai trouvé aussi pas mal d’anecdote sur Wyatt Earp dans les mémoires de Ford et de Walsh. Il passait visiblement le plus clair de son temps à traîner du côté des studios de cinéma dans les années 20. Enfin, c’est ce que racontent ces deux cinéastes mythiques ( et myhto ?) qui, comme Earp, aimaient bien arranger la vérité.
      J’ai remarqué que le toubib dans le film, il ne tousse pas dans son coude. Comment veux-tu après… 😉

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  2. Un western sympathique. Le casting y est pour beaucoup, comme tu le précises. Mais en grattant un peu (comme tu le fais aussi), on s’aperçoit qu’il s’agit quand même d’un western mineur de l’âge d’or du genre. Enfin, à mon avis… Pour l’anecdote, la première fois que je l’ai vu, ce fut en VF. J’étais dépité : ils avaient changé le nom de Wyatt Earp en « Edouard-quelque chose », j’ai oublié le nom exact. Mais c’était ridicule. Je l’ai depuis revu en VO, heureusement.

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    • Edward Thorpe ! Et je ne te raconte pas les autres… Seul Doc Holliday garde son vrai nom en VF.
      C’est un western qui a laissé des traces chez les nostalgiques du genre, la chanson de Frankie Laine, l’interprétation des comédiens et sans doute aussi la photo de Charles Lang, y sont pour beaucoup. Il a toutefois moins la côte chez les cinéphiles, peut-être parce que Sturges n’est considéré que comme une sorte de « yes man », parce que le film est soumis aux exigences du producteur Hal Wallis. Et pourtant, en le revoyant, la réalisation de Sturges m’est apparu fabuleuse. La fusillade entre John Ireland et Douglas que l’on voit à la fin du petit clip (voir dans les com un peu au-dessus), je pense aussi à ce travelling qui accompagne Holliday de dos jusqu’à la chambre de Kate où se prépare une première confrontation avec Ringo. Les nombreuses contre-plongées qui accentuent la stature des personnages (on le devine dans les photos que j’ai publiées). Et j’en passe…
      Et puis on voit à quel point cette version « bigger than life » de l’incident entré dans les annales a construit tout l’imaginaire du western italien, les films de Leone en tête, jusqu’à l’importance accordée à la musique. Ici c’est Tiomkin, avec Frankie Laine en ménestrel de cette tragédie westernienne, pour les « Magnificent Seven » ce sera Bernstein, des thèmes qui sont ancrés dans toutes les mémoires.

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      • Comment je vais faire moi ? Je n’ai pas beaucoup de temps, et tu me donnes envie de revoir ce film, ahahah ! J’ai revu BACKLASH l’an passé. J’adore ce « petit » western. Le petit côté « enquête », les petites surprises… Je garde aussi un meilleur souvenir du DERNIER TRAIN DE GUNHILL, par rapport à OK CORRAL. Il va falloir que je trouve le temps de revoir ce dernier. J’ai vu qu’il était à la loc’ sur Amazon Prime, comme ça je pourrai le visionner avec ma femme. 🙂

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  3. Hello ! J’avais abandonné tout espoir de reprendre une activité de blog. J’avais également déserté la ligne des commentaires de ceux auquel, jadis, je rendais régulièrement visite. Finalement, à la faveur de ce confinement, l’envie a resurgi. Cela durera le temps que cela durera. Voici donc l’adresse de mon blog : https://fransk84.wixsite.com/derniereseance
    Pour ce qui est de ce règlement de compte, je ne l’ai pas vu, mais j’en prends bonne note.

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  4. Du mésestimé John Sturges, j’ai une préférence pour son « Dernier train de Gun Hill », superbe histoire de vengeance avec un autre face-à-face de légende : Kirk vs Anthony Quinn ! Du même réal, et sur le même sujet, il faut aussi voir l’étonnant « Sept secondes en enfer » (1967), relecture sèche et anti-glamour de son propre « Gunfight at the O.K. Corral »…
    Mais en ce qui me concerne, il existe une autre variation sur ce même thème qui les surpasse tous : c’est le « Doc Holliday » de Frank Perry (1971). Un petit chef-d’œuvre qui tente de débusquer la vérité derrière le mythe, une chevauchée crépusculaire et désenchantée digne de Peckinpah et une fusillade à O.K. Corral où la violence est montrée sous son jour le plus abject… Avec dans le rôle-titre, un superbe Stacy Keach (et à ses côtés, une non moins superbe Faye Dunaway).

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    • Quel beau programme !
      « Dernier train pour Gun Hill » est le film suivant de Sturges, qui ne l’aimait pas beaucoup, le trouvant trop similaire à l’excellent « 3:10 pour Yuma ». Pourtant cela reste un très bon western signé Sturges. Par contre, si je dois en éviter un, c’est bien « Joe Kidd » avec Eastwood.
      J’ai vu aussi « Sept secondes en Enfer », très apprécié en général (il est vrai que Robards fait un Holliday nettement moins flamboyant que Douglas) mais avec lequel j’ai un peu de mal personnellement. Ceci dit, il y a quand même Robert Ryan en Ike Clanton, et comme le veut l’axiome, un film avec Robert Ryan est forcément in bon film. Manque peut être une bonne chanson pour aller avec… 😉
      Ceci dit, on pourra souligner cette démarche du réalisateur de revisiter de manière très différente un même épisode de l’histoire de l’Ouest.
      Jamais vu le « Doc Holliday » avec Stacy Keach, mais tu me donnes furieusement envie ! Il va falloir que je me dégotte ça, d’autant que Frank Perry est l’auteur d’un film que j’adore avec Burt Lancaster, « the Swimmer ».

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  5. Tu n’auras pas tardé à m’emboiter le pas finalement. Comme tu le dis, Kirk Douglas est toujours très bon dans ce registre autodestructeur. Un très bon Sturges, qui vaut cependant surtout pour le duo Lancaster-Douglas et reste loin de la sublime poésie de My Darling Clementine (La Poursuite infernale) de John Ford, tiré du même évènement historique. Le script d’O.K. Corral n’est en effet pas exempt de reproches, les scènes ajoutées avec Rhonda Fleming étant par exemple un peu artificielles comme le note Leone (merci de l’avoir cité).

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    • Je dois avouer que ton article a motivé mon entrain. 😉
      La vision de Ford a aussi ma préférence, et on y fredonne également un air entêtant.
      Il est évident que Leone a énormément puisé dans cette vision très archétypée de l’Ouest. Il n’a pas choisi le pire modèle, tout en se gardant bien d’en reproduire les maladresses. Sturges n’est pas avare de détails lorsqu’il évoque les modifications imposées par Wallis. Il ajoute que « Hal Wallis avait les pleins pouvoirs et nous ne pouvions qu’aller dans sa direction tout en essayant de limiter les dégâts quant à l’intrusion de ce personnage féminin indésirable ».
      Kirk Douglas accorde lui-aussi un chapitre entier au film dans son autobiographie, sans mentionner pourtant une seule fois le nom du realisateur. C’est assez sévère pour Sturges qui accomplit ici un travail tout à fait honorable.

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  6. Les scènes avec la pauvre Jo Van Fleet sont aussi très déplaisantes. J’y trouve aussi Kirk pas très à l’aise voire crédible. Ce n’est quand même pas pour ce film qu’elle a eu un Oscar !!!
    Ah mais cette chanson : Okayayay Corrrral…
    Et Burt et Kirk (ils claquent comme des coups de feu ces prénoms), deux bestioles renversantes…

    A cette instant

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    • C’est vrai que la pauvre Jo est bien malmenée, et sa relation avec le Doc est plus que malsaine et toxique. Je trouve que ça ajoute à l’ambiance générale très mortifère. Douglas n’en revenait pas, il raconte qu’elle lui demandait de lui mettre des claques pour la préparer au tournage.
      Elle a eu un Oscar pour « East of Eden » juste avant.

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  7. Aurais-je lancé chez toi une furieuse envie de replonger dans pas mal de westerns ? 😉
    Pas vu depuis ma tendre enfance celui-là, autant dire que mes souvenirs sont très très flous. À ajouter à la liste des westerns à voir ou revoir ! Alors que le temps devient de plus en plus contraignant pour me lancer sereinement dans des films (le travail, la fatigue en rentrant qui fait que je m’endors au bout d’une heure….).
    Je compte sur toi pour continuer sur ta lancée et nous écrire de beaux textes sur d’autres westerns, peu importe l’époque et l’origine 😉

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    • A ajouter absolument à la liste à voir ! C’est un pur bonheur, un peu comme les « Magnificent Seven » qui suivront. Celui-ci donne plus dans le tragique, moins épique que le remake de Kurosawa. Mais le tandem Burt/Kirk fonctionne à plein régime.
      Je pense que la mise en scène de ce « Gunfight at OK Corral » te plaira, savamment élaborée par Sturges (avec Wallis par-dessus son épaule). Et comme tu l’as lu, pas mal de motifs précurseurs, qui nous renvoient vers Leone et Peckinpah.

      T’inquiète, j’en ai encore quelques-uns sous la botte. 😉

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      • Il est sur ma liste à voir très vite (qui contient facilement 300 films). Après, même si je suis déçu, je pense qu’il sera intéressant en le remettant dans son contexte de sortie. Donc au final, je ne perds pas grand-chose ^^

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        • Je suis sur que tu sauras y voir les qualités qui l’ont inscrit à la postérité.
          Je préfère largement la version John Ford (« my darling Clementine » un des 10 plus beaux westerns jamais réalisés), mais celui-ci avec les deux vedettes, est de la race des seigneurs.

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