Angry bird
« L’épée au côté, je marche solitaire,
Le Roc, bel oiseau, plane haut vers les nuages.
L’univers est vaste, où est ma maison ?
Ô mon Hirondelle, où as-tu fait ton nid ? »
L’hirondelle est un migrateur, elle aime voir du pays. Mais toujours elle retrouve le chemin de sa maison. « L’hirondelle d’or » a fait fortune de par le vaste pays de Chine, rien d’étonnant alors que l’on annonce deux ans plus tard « le retour de l’hirondelle d’or ». Son réalisateur mécontent s’est envolé vers Taïwan, mais l’actrice principale n’a pas quitté le nid, bien au Shaw dans sa cage. Chang Cheh, chargé de la surveiller, lui a trouvé de la compagnie, un oiseau blanc en quête d’amour, mais dévoré par la rage qu’il a au fond du cœur. La trahison est un poison qui nécessite un puissant antidote. L’Hirondelle d’or qui fait son retour doit être réapprivoisée.
C’est ainsi que l’on peut comprendre l’étrange prologue transitionnel partiellement dissimulé derrière des caches, comme si il devait être épié derrière un paravent. Cheng Pei-pei n’a pas caché son envie de rejoindre King Hu à Taïwan, mais liée par contrat au studio de Runme Shaw, elle est contrainte de poursuivre sa carrière à Hong Kong. Il faut dire que le big boss du studio n’a pas l’intention de voir ainsi fuir sa dame oiselle aux œufs d’or. Coup sur coup, il enchaîne deux titres qui nous volent dans les plumes et font la renommée de la Shaw Brothers de par le monde. Après les hauts faits d’armes de sa petite hirondelle, ce fut le triomphe du sabreur manchot, le brave héros mutilé qui se vengeait sous les traits de Jimmy Wang Yu. Se reposant en toute confiance sur le savoir-faire du fidèle Chang Cheh à la manœuvre de ce deuxième succès, Shaw a donc l’idée de réunir les deux vedettes sous un seul titre, Xie et Xiao, l’alliage de la grâce et de la rage qui désormais ouvre une voie nouvelle dans l’épique saga du film de chevalerie.
Comme le confesse Cheng Pei-pei en interview, King Hu était un passionné d’opéra, et mettait un point d’honneur à mettre en scène avec précision le ballet chorégraphique des combats. Chang Cheh est davantage un littéraire, versé dans le traitement dramatique plutôt que dans l’art du combat. Il n’hésite pas à déléguer cet art aux spécialistes, et c’est peu dire qu’il s’entoure des meilleurs. Autour de lui, on trouve ainsi le fidèle Tang Chia, élevé à l’école de Simon Yen, père de Yuen Woo-ping que l’on verra bien plus tard en charge des cabrioles de la « Matrix ». Celui-ci figure aussi au casting du « retour de l’Hirondelle d’or », tout comme Liu Chia-liang qui écrira à son tour une page mémorable du film de kung fu en traversant « la 36ème chambre de Shaolin ».
Mais c’est bien à Lo Lieh, un autre oiseau ayant migré de son Indonésie natale, de devenir le « Martinet d’or » qui saura mater en douceur la rétive Hirondelle. « Depuis ta guérison, ton kung fu est meilleur qu’il ne l’a jamais été » dit-il à son agile élève. « C’est grâce à tes conseils » lui répond la belle oiselle reconnaissante et docile. Pei-pei a mis de la tendresse dans son jeu et ajouté des fleurs dans ses cheveux. La féroce guerrière qui se plaisait à se prendre pour un homme se doit alors de redevenir femme. C’est une transformation de taille, une nouvelle philosophie, celle de ce nouveau maître magnanime qui lui apprend à frapper avec le plat de la lame. « Une femme doit être gracieuse, pas si dure » tels étaient les propos du réalisateur un brin macho dans les souvenir de mademoiselle Cheng.
Dans un décor idyllique, à l’ombre de parois abruptes arrosées par une cascade, Chang Cheh dessine une romance digne des traditionnels contes « au bord de l’eau », avant de vite annoncer sa couleur, en rupture avec son prédécesseur. Sans plus attendre, le rouge est mis, la brutalité entre dans le jeu, rien n’échappera la caméra ivre de sang et de giclures. Il choisit d’entrer dans le vif, de rejoindre la bagarre. Il filme à hauteur de combat, au fil de l’épée, au plus près du métal qui s’entrechoque. La lame tranche mais jamais la caméra ne coupe. Aucune tricherie possible, Chang Cheh tient à filmer les combats dans leur fluide continuité, dans l’emportement du mouvement, prenant parfois de la hauteur avant de fondre dans la mêlée.
Le blanc était par tradition le signe de la félonie, lorsqu’elle habille Jimmy Wang, l’immaculé devient l’apanage du héros maudit, épouse la cause du redresseur de torts. Le « Roc d’argent », troisième oiseau à faire son entrée, est en réalité le personnage principal du film, celui qui a toute l’attention du réalisateur. Celui-ci aime les traits fins de son visage pourtant marqué par l’expression de son esprit rebelle, le front traversé par une balafre qui stigmatise son enfance martyre. Il incarne la figure sacrificielle par excellence, traversant l’existence dans l’insatisfaction perpétuelle, avec l’espoir de trouver l’apaisement dans l’assouvissement de la vengeance et le châtiment des tyrans. L’épée posée nonchalamment sur son épaule, comme d’autres posent leur Winchester, il trace son chemin en semant les cadavres que d’un seul bras il tua tous. Il va tel le chevalier errant de l’archipel nippon, tel le cow-boy solitaire qui arpente la Sierra Leone « pour une poignée de dollars », marqué par la haine, accablé d’amertume.
Il comble son manque d’amour dans le réconfort des maisons closes, se laisse dorloter par la belle Mei-niang, mais son esprit est bien ailleurs, et ses pensées vont vers une autre. Ce n’est pas par le tranchant de la lame que l’Hirondelle saura sauver son âme, mais bien par le truchement des sentiments. Derrière les voiles translucides de la Maison du Printemps, les cadres de Chang Cheh se font plus raffinés, se parent de délicate poésie dont il calligraphie l’écran avec passion. Sublimement teintées de mélancolie soyeuse, ces scènes constituent des refuges indispensables, contrastant avec l’ignominie du monde alentour où vivent les cruels qui s’enivrent du supplice les innocents. Suivant le vol de l’Hirondelle flanquée de son fidèle Martinet, on retrouvera la trace du Roc au cœur de pierre bondissant des entrailles de la terre vers son ultime envol depuis le Pic du Nuage. L’oiseau d’argent étend ses ailes sur l’avenir du film en costume.
Ainsi prit fin le règne de l’Hirondelle d’or, quand les pulsions vindicatives des hommes l’emportèrent sur l’infinie délicatesse de la puissance féminine.
Un classique du wu xia en Shaw Scope, mentionné dans le dossier « film de héros martial » du dernier Mad Movies (avec la lunette noire de « They Live » en couv, ce qui n’a pas dû t’échapper). Une source d’inspiration ? En tout cas, ta plume de fer rend un fort bel hommage à cet excellent Chang Cheh (pas de doute, tes mots ont la rage du tigre !). Fasciné par les héros virils, tragiques et flamboyants (ce qui marquera durablement un certain John Woo), le cinéaste a pourtant réussi à magnifier la grande Cheng Pei-pei (mais Wang Yu et Lo Lieh ne sont pas non plus en reste). Bravo et n’oublie pas : si ce n’est Lee, c’est donc son frère…
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Merci !
Ah, je n’ai pas encore mis la main sur le dernier Mad ! They Live en couv’ et une mention de la Golden Swallow sont déjà deux éléments qui le rendent indispensable à mes yeux.
Excellente réalisation de Chang Cheh c’est vrai, mais la pauvre Pei-pei est reléguée au second plan, le mâle maudit lui a volé la vedette. Il faudra attendre Ang Lee, ses Tiges et ses Dragons pour restaurer l’honneur des sabreuses héroïnes. J’en parlerai bientôt. 😉
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Revoir de si belles images habillées de si jolis textes pourrait presque m’émouvoir… Ça me rappelle tellement de souvenirs… parfois un peu flous. J’aimerais bien revoir tous ces films un jour (je n’ai plus les DVD hélas). Je me souviens bien mieux du premier film que de celui-ci d’ailleurs : ma mémoire me joue des tours – de magie noire.
Et ces noms si marquants : Cheng Pei-Pei, Lo Lieh… Jimmy Wang Yu ! Jimmy Wang Yu et ses navets ultra nationalistes parfois. Le pire, c’est que je les trouvais divertissants.^^
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Wow merci! Je me fais une petite cure de Shaw Brothers et les deux épisodes de la fameuse Hirondelle d’or en constituent les indispensables fleurons.
La mise en scène brutale de Chang Cheh donne à ce « retour » un envol bien différent de celui de King Hu. Cheng Pei-pei à longtemps manifesté sa préférence pour le premier opus qui met son personnage à l’honneur mais elle reconnaît volontiers l’efficacité et la virtuosité de la mise en scène de l’action chez Chang Cheh auprès de qui un certain John Woo à appris le métier. Jimmy Wang par contre n’était pas vraiment de ses amis. Très fier et arrogant, le fougueux Jimmy a en effet servi un cinéma militant qui se regarde aujourd’hui avec une certaine distance.
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OMG… moi qui suis plongée dans les pépites hollywoodienne des années 30 j’ai l’impression d’être propulsée dans la quatrième dimension.
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Pas le même battement d’elles. 😉
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Autant j’ai vu et aimé L’Hirondelle d’or (j’aime King Hu) autant je n’ai jamais vu ce Retour (dans les films de la Shaw Brothers, j’ai toujours préféré ceux de Liu Chia-liang à Chang Cheh). Merci pour ce retour en arrière.
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Bien que beaucoup plus cruel que le premier, et largement centré sur la vedette Jimmy Wang Yu, cette suite vaut le coup d’œil en terme de réalisation. Je te la conseille.
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