LIGHT of my LIFE

La fille de l’homme

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« Tu ferais quoi si je mourais ?
Si tu mourais je voudrais mourir aussi.
Pour pouvoir être avec moi ?
Oui. Pour pouvoir être avec toi.
D’accord. »

Cormac McCarthy, La Route, 2006

Dans « Last Woman on Earth », petit film fauché sorti des usines à séries B de Roger Corman dans les années 60, Betsy Jones-Moreland se retrouvait être la seule femme survivante d’un cataclysme naturel qui ravageait l’humanité entière. Dans le cas présent, c’est un étrange virus qui a effacé toute trace de féminité en ce bas monde. Toutes sauf une visiblement, la jeune Anna Pniowsky que Casey Affleck a rebaptisée Rag. Elle sera son bien le plus précieux, « Light of my Life » dit le titre du film qu’il a écrit, réalisé et interprété.

Il était une fois un acteur assez doué qui rêvait de faire comme son grand frère : réaliser des films. Après un pseudo-documentaire en forme de performance, il entame l’écriture d’une histoire plus personnelle, une fable dystopique qui fait écho à sa propre situation familiale : être père et devoir élever ses enfants après désintégration du couple. Dans son histoire, la mère est partie elle-aussi. Pour de bon. Elle a succombé à la maladie. Quelques femmes, dit-on, seraient encore en vie mais recluses dans des lieux tenus par des hommes et dans des conditions que l’on devine assez pénibles. « Il faut bien traiter les femmes. » Le sermon s’adresse à un tout jeune adulte qui l’a pris en stop sur la route. Cette leçon de morale fait également écho aux déboires de l’acteur dans le collimateur du mouvement #metoo. Les doutes, les maladresses du père voyant sa petite fille devenir peu à peu une femme sont autant d’aveux d’ignorance, comme s’il plaidait coupable à chaque instant, avec circonstances atténuantes.

Eclairé de références bibliques, « Light of my Life » semble tracer un chemin de rédemption, un parcours expiatoire jonché d’épreuves. Dad, c’est son nom dans le film, élève une adolescente de onze ans, une perle rare, un petit trésor, bientôt une femme, donc une proie qu’un monde abandonné aux mâles prédateurs aura tôt fait de faire une bouchée. Dad aura donc pour mission première, suivant le vœu fait à la mère (Elisabeth Moss qui n’apparaît que furtivement à l’occasion de lumineux flash-backs), de la nourrir, de la soigner, de l’éduquer et de maintenir la flamme du souvenir. Il devra aussi la protéger, et pour ce faire mieux vaut vivre cachés.

Dans une épaisse forêt des environs de Vancouver, le père et la fille vont donc jouer aux campeurs de fortune, au fond des bois humides et moussus du Nord de l’Amérique, comme le firent avant eux les deux protagonistes du magnifique « Leave No Trace » de Debra Granik. Comme eux, Dad semble avoir potassé son manuel de survie en pleine nature : il se débrouille pour puiser l’eau de la rivière, installer des signaux d’alarme, et monter la tente dans les endroits les plus discrets tout en étant prêt à déguerpir dès que la « red alert » se déclenche. De « True Detective » à « Top of the Lake », le chef op’ Adam Arkapaw sait tenir ses cadres, il sait dissoudre la couleur de l’espoir dans les frimas du contexte, et replier la nuit sur un père et sa fille qui cherchent le réconfort à la lueur d’une lampe de poche. Daniel Hart, le musicien, vient quant à lui peupler l’arrière-plan de nappes languides et plaintives qui accompagnent chacune de leurs pas. Les séquences prises isolément pourraient faire de « Light of my Life » un de ces grands films naturalistes et angoissés comme on en trouve chez Jeff Nichols, mais l’écriture très verbeuse de Casey Affleck vient plus d’une fois gâcher cette envie sincère d’émouvoir.

Difficile de caler ses pas dans cette errance à base d’amour, d’eau fraîche et de littérature, leurs efforts pour se maintenir en vie peinent à tenir « la Route ». Trouver de la nourriture ne semble pas être un problème pour eux, tout comme ils ne se préoccupent guère du froid et de l’humidité (sans doute les liens qui les unissent suffisent à leur réchauffer le cœur). Ce n’est que lorsqu’ils s’aventurent vers des zones plus septentrionales, quand la neige fait valoir ses droits à la désespérance, qu’enfin leurs conditions de survie deviennent problématiques. On devine quelques trous dans le montage, Affleck préférant laisser toute leur place aux histoires qu’on se raconte au moment du coucher.

A l’heure du conte, Dad brode, baratine, détourne l’attention. Cela débouche trop souvent sur de longs tunnels dialogués, répétitifs, lassants, filmés dans une épure qui manque d’imagination. Le moteur narratif souvent bloqué sur le point mort, tout recours à l’action semble banni, toute violence prohibée. Lorsqu’elle explose, inévitablement, dans le dernier acte, elle frappe certes plus durement, elle ébouriffe et elle réveille. Pas suffisant néanmoins pour effacer près de deux heures passées dans la torpeur à écouter l’incessant questionnement de la gamine. La débutante Anna Pniowsky fait son possible pour donner le change à l’acteur il est vrai talentueux, sans toutefois se montrer exceptionnelle. Pour une fois que le monde d’après n’est pas peuplé de morts-vivants ou de fous du volant anthropophages, Casey Affleck avait le champ libre pour nous emporter dans sa fuite. « Let me go » supplie la jeune fille alors qu’elle est en bien mauvaise posture, on aimerait en dire autant après ces deux heures suspendues au-dessus du vide du scénario.

52 réflexions sur “LIGHT of my LIFE

  1. Pas trop fan de ce genre de films qui me plombent irrémédiablement le moral. J’ai lu La Route et vu son adaptation. Heureusement que je n’avais pas de poutre parce que je m’étais trouvé une très belle corde…

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  2. J’aime beaucoup Casey Affleck me too.
    Cela dit, les 10 premières minutes de bla bla père/fille ont eues raison de ma curiosité ( la patience n’est pas l’une des mes qualités premières ) et c’est tant mieux ça m’a permis de voir le méconnu mais sublime Leave no Trace, j’ai semble t-il largement gagné au change. 🙂

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  3. Elizabeth Moss est décidément vouée à jouer dans des films où la fertilité des femmes est une rareté et un bien convoité exploité par des hommes prêts à toutes les horreurs pour s’approprier leur ventre.
    Je fais référence bien sûr à « la servante écarlate où j’ai beaucoup apprécié son jeu ».

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    • Je dois être un des derniers sur cette Terre à n’avoir pas encore fait connaissance avec cette « Handmaid’s tale ». Il est probable qu’Affleck ait choisi E. Moss pour établir le lien avec le thème de la série, mais aussi parce qu’elle est une excellente actrice à même de faire passer toute l’émotion nécessaire en seulement une journée de tournage.

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  4. Merci pour ton avis sur ce film qui m’intriguais, mais sans plus. Du coup je vais économiser… 2 heures de mon temps. 🙂
    A la place, je me suis refais cette semaine, dans une grande salle et en vostfr ‘Inception’ de Nolan. Là je n’ai pas vu passer les 2H30.

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  5. J’avoue avoir trouvé le temps long devant cette « lumière de ma vie »… Le script paresseux (et très verbeux, comme tu dis) du frangin Affleck montre bien que le genre post-apo sert davantage de prétexte que de véritable contexte (on est très loin du monde crédible et glaçant dépeint dans « La Route », « Les Fils de l’homme » et la série « The Handmaid’s Tale »…). Au rayon post-apo intimiste sur fond d’amour filial, je préfère un outsider mal-aimé, imparfait – mais beaucoup moins prétentieux – comme « Maggie ». Au moins, un Schwarzie crépusculaire et touchant y véhicule ce qu’il manque le plus à la panouille indé d’Affleck : de l’émotion… Daniel Hart a par ailleurs composé une sublime musique pour le non moins sublime « A Ghost Story »…

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    • Voilà qui me donne une raison supplémentaire de voir « A ghost story ». Je savais bien que je n’aurais pas dû le reposer dans le rayon l’autre jour à la FNAC. 😉
      En tout cas, je constate que nous sommes au diapason sur le film d’Affleck, qui ne démérite pas en tant qu’acteur mais qui n’a sans doute pas fait les meilleurs choix dans l’écriture. A l’ennui de ces longues histoires au symbolisme transparent, s’ajoute cette société dystopique finalement assez peu crédible, sur un script aussi neurasthénique qu’un épisode en creux de saison de Walking Dead. C’est du Post-apo pour festival de Sundance, qui voudrait faire auteur mais qui est juste maladroit. Je suis peut-être un peu dur, car le film a tout de même des qualités, mais il n’en ressort qu’un ressenti très terne, et ça c’est pas bon.
      Pas vu la « Maggie » de Schwarzie, mais du coup tu m’intéresses. Sinon, il faut voir ou revoir le magnifique « Leave No Trace » de Debra Granik dont je parlerai bientôt ici même.

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    • Mince, décidément je décourage tout le monde.
      J’aurais vraiment préféré l’aimer davantage ce film. Le drame c’est qu’il ne manque pas d’atouts. On y trouve de très bonnes séquences (qui arrivent tard, dans la dernière partie) mais aussi pas mal de remplissage. Cela aurait pu (dû ?) être plus contemplatif ou méditatif, que l’on ressente davantage cette ambiance d’humanité finissante mais je crois qu’Affleck a vraiment la tête ailleurs quand il monte son film, centré sur ses problèmes existentiels avec lesquels j’ai peiné à communier.
      Ceci dit, le film a plu à d’autres.

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  6. Je ne partage pas ton avis, mais nous avons déjà échangé à ce sujet… pour moi, ce « vide » est davantage une simplicité épurée qui permet de mettre l’accent sur la relation père fille, et presque uniquement sur elle. Quant à la quasi absence de violence, là encore c’est, à mon sens, une des forces de ce film qui se détache ainsi nettement des réalisations dystopiques pétries de combat et de sang. Je ne rafole habituellement pas de ce genre de scénario et j’ai donc apprécié de voir un long métrage différent, qui fait le choix de la lenteur et du contemplatif mélancolique.

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    • Comme je te l’avais écrit sur ton blog, j’aurais vraiment préféré aimer ce film davantage, et y trouver ce que tu décris.
      Je reconnais la lenteur, mais très peu le contemplatif. Bien sûr, l’intention d’Affleck n’était pas de tourner un énième film post-apocalyptique avec armes et violence (il l’a repousse d’ailleurs intelligemment à la toute fin car elle semble inévitable), et c’est d’ailleurs bien le sens de ma conclusion. Mais en contournant le genre, il ne trouve qu’une source tarie, qui s’embourbe dans les longs dialogues père-fille pesants. J’ai bien plus été touché par cette même relation dans le film de Debra Granik « Leave no Trace » (que tu as aimé aussi je crois) que dans ce film.
      En tout cas merci Cécile de partager ici ton ressenti, c’est aussi très enrichissant de pouvoir échanger sur des avis divergents.

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  8. Ah, le voilà l’avis tant attendu 😉 Comme d’habitude, un pur plaisir de te lire, bien que ce soit très mitigé pour cette fois ! Mais ne t’inquiète pas, tu ne me dissuades pas de le voir, j’y vais cette après-midi, alors on aura très vite l’occasion d’en reparler 😃

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  9. La référence à La route a l’air difficile à oublier… Et comme sur un des 1ers commentaires laissés sur ton article, La route ne m’avait pas laissé dans un très bon trip ; assez détestable moment passé. Malheureusement donc, il me faudrait moins de choix que cela pour me déplacer sur Light of my life.

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    • « Light of my Life » est nettement moins sinistre et déprimant que « la Route ». Le rapprochement entre les deux films tient d’abord à cette errance père/enfant et aux flash-backs montrant la mère.
      Si tu as d’autres plans, tu peux opter pour d’autres voies cinématographiques néanmoins.

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