VAMPIRES

Alive after death

« Au fond, tous les films fantastiques cherchent à exprimer les émotions humaines. Une créature venant de l’espace par exemple, symbolise la part de ce qu’est le mal en nous. Les vampires aussi sont les figures du mal humain. Il s’agit toujours de fabriquer des métaphores dans une forme plus populaire et divertissante. »

John Carpenter

Un soleil ardent, un désert à perte de vue, une végétation rare et une chaleur suffocante, les « Vampires » de John Carpenter n’ont visiblement pas choisi l’endroit le plus ombragé pour commettre leurs méfaits. On sait le réalisateur amateur de transgression, prompt à faire valser les codes, et il ne s’en privera pas dans cette adaptation du rugueux roman de John Steakley qui dépoussière le mythe en l’arrosant d’une bonne dose d’hémoglobine, d’alcool, de sexe et de « Bloody Sam ». La messe passe en mode western, et la chasse au mort-vivant promet des cris et de la terreur, mais surtout du sang et des armes.

A l’origine, c’est toujours la même histoire. En Europe de l’Est, au Moyen Age, un type revient d’entre les morts pour aspirer le sang des vivants et en convertir quelques autres pour dominer le monde. Le soleil reste son principal ennemi, et il ne fait plus le malin quand on lui enfonce un pieu en bois dans le buffet. Le reste n’est que folklore : « ils n’ont rien de romantique, c’est pas des travs hyper sapés qui séduisent avec un accent merdique. Oubliez les films ! » lance un Jack Crow à la gouaille fleurie à son nouvel acolyte missionné par le Saint Siège. On remballe donc l’eau bénite, l’ail et autres aromates car ici le vampire ne se contente pas d’une étreinte sous cape, d’un délicat coup de dent dans une carotide qui palpite : il griffe, il tranche, il transperce, il décapite et se gave de sang sans trop mettre les formes. Le Père Adam, nouveau padre de l’équipe confié à Tim Guinee, va vite s’en rendre compte.  

Le chasseur de vampire, lui, sait bien de quel bois de cercueil se chauffe son ennemi, il a même un vieux contentieux avec cette engeance. Il sait se décarcasser pour éradiquer un nid Mister du Crow, c’est un professionnel, un dur en cuir (au blouson noir de rigueur) qui mène sa troupe de nettoyeurs de caveaux avec autorité et paternalisme. L’acteur James Woods, automatique glissé dans le pantalon et cigare planté au coin de la bouche comme Schwarzy dans « Predator », n’a pas ce « mètre quatre-vingt-dix de muscle » décrit par Steakley dans son roman, mais de la volonté et de la morgue il en fait montre assurément. Ce Van Helsing du XXème siècle ressemble à un chef d’escouade paramilitaire pareille à celle qui traque les « Aliens » sur LV-426. Il se déplace avec son armurerie lourde et son équipe de choc pas franchement reluisante constituée de bonnes vieilles trognes de soudards, d’un Mark Boone Jr ventripotent et d’un Daniel Baldwin un peu flippé qui lui servira de partenaire jusqu’au bout de l’aventure. Ils auront face à eux des créatures retorses, puissantes et perfides, du vampire pas aimable qui se terre dans les lieux isolés du Nouveau Mexique, qui grogne, qui pue de la goule, bref une espèce de devil’s reject qui tient plus du zombie que de la noblesse de robe.

A leur tête, le scénario brut de décoffrage concocté par Don Jakoby (à qui on devait déjà les vampires stellaires de « Lifeforce ») invente un Prince des Ténèbres sorti des rangs de l’Eglise Catholique et Romaine, un prêtre hérétique à la chevelure de jais nommé Valek incarné avec prestance et puissance par ce grand gaillard de Thomas Ian Griffith. Celui-ci convoque terreur en carnage chez ses adversaires, mais il sait aussi bien éveiller de la joie chez la fille dont il visite l’intimité (un clin d’œil peut-être à la langue baladeuse et audacieuse du « Ré-animator » de Stuart Gordon). « If it’s not about sex, it’s not a vampire movie » rappelle un John Carpenter qui entend bien, sur ce point, profiter des charmes indéniables de la délicieuse Sheryl Lee dans le rôle d’une prostituée mordue. La pauvre passera les trois quarts du film ligotée mais, en passant de l’autre côté, elle aura sa revanche sur les machos aux pieux acérés qui étaient enclins à la dénuder ou à lui mettre des trempes.

John Carpenter trouve ainsi une nouvelle occasion de remettre dos à dos les forces du Bien et les forces du Mal, au cœur d’un affrontement où l’on finit par les confondre. « Le catholicisme est très étrange à mes yeux, expliquait le réalisateur au journal Mad Movies. D’autant plus qu’il accorde une part importante à l’apparat, aux costumes, aux ornements, à tous ces symboles rituels. Je ne comprends pas cette manière d’habiller une religion. Tout ce decorum rend le catholicisme très suspect. Je m’en méfie. » Les églises sont d’ailleurs, dans ses films, les réceptacles privilégiés des reliques maléfiques sous toutes leurs formes : un bocal contenant un liquide satanique qui défie les lois de la gravité dans « Prince des Ténèbres », un vieux grimoire maudit dans « the Fog », et ici une croix servant au rituel qui permettra aux vampires de ne plus marcher à l’ombre pour l’éternité. Tout cela sous le gardiennage d’un représentant du clergé pas toujours très franc du chapelet.

« Dans la plupart de mes films, les évènements surviennent suite à des éléments enfouis depuis longtemps » confirme John Carpenter, et de faire sortir des sables du désert (à la manière d’un Mario Bava dans « la planète des vampires ») les créatures qui vont semer la panique au motel du Sun-God. Cela vaudra deux séquences d’action nerveuses et immersives lors desquelles les chasseurs harponnent leurs proies avant de les faire flamber sous le soleil exactement, en prenant d’assaut d’abord une ferme, puis une prison comme d’autres naguère le firent du côté de « Rio Bravo ». Deux moments forts, parfaitement montés, qui encadrent un récit sans temps mort qui fait passer son goût de faisandé. Car en effet, rien de bien neuf sous le cagnard de ces « Vampires », sinon une déclaration d’amour de Carpenter au pur cinéma de genre et principalement au western contemporain qu’il avait déjà célébré en ramenant Plissken dans « Los Angeles 2013 ». Réfugié dans ce cinéma décomplexé, Big John reste le maître des arpèges, délaissant quelque peu les synthés pour une country badass qui sent le saloon et les éperons. Malgré une fin expéditive et ridiculement bâclée, « Vampires » s’achève aux frontières de l’aube avec l’envie d’en croquer davantage.

42 réflexions sur “VAMPIRES

  1. Oui le film est loin d’être parfait, il ne figure pas dans le haut du panier de la filmo de Big John. Et pourtant ! L’ambiance est là, certaines scènes dépotent comme tu le dis et James Woods est excellent, le dernier vrai héros carpenterien. En fait j’aime beaucoup ce film, aussi, peut-être, parce qu’il est bancal. Brut(al) de décoffrage ?

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    • On est clairement en plein cinéma de genre, mais avec une envie de se faire plaisir. Et visiblement Carpenter s’est amusé sur le tournage, et le film a fonctionné en salle.
      James Woods est très bon, tout comme Sheryl d’ailleurs, pourtant pas gâtée par son rôle. Même Baldwin s’en sort bien en partenaire pas très clair.
      Ce qui est sûr, c’est que le film vaut mieux que le bouquin.

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  2. Une agréable série B que j’aimerais redécouvrir dans une bonne édition restaurée, car je crois que ‘Vampires’ n’a pas été gâté en vidéo. Je mets ce film au même niveau que ‘Ghosts of Mars’ (lui aussi mérite un beau blu-ray restauré), soit un western déguisé et au budget correct pour assuré le spectacle. On a connu fin de carrière plus honteuse (Dario ?).
    Avec la nouvelle trilogie « Halloween », David Gordon Green montre qu’il a parfaitement compris le cinéma de John Carpenter.
    Au passage, je trouve la déclaration de Carpenter sur la religion catholique un peu naïve. Car TOUTES les religions reposent sur des apparats et des rituels. La mise en scène et la théâtralité font partie du show, sinon les fidèles changent de programme.

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    • Pour être tout à fait complet, il faut mettre cette déclaration de Carpenter avec ce qui précède : « J’ai été élevé dans le protestantisme, chez les Méthodistes pour être plus précis. Les Méthodistes composent une branche très particulière de la religion protestante : ils ne reconnaissent pas la culpabilité comme une chose sacrée. Tout le contraire du Catholicisme qui, justement, repose sur la notion de culpabilité, de péché. »
      Il est vrai qu’il n’a d’ailleurs pas toujours été tendre avec les symboles de l’Eglise catholique dans ses films, souvent à l’origine du Mal qu’elle est censée combattre. C’est sans doute son côté protestant qui remonte.
      De manière générale, Carpenter n’est tendre avec personne dans son film (et dans ses films). Et particulièrement pas avec ses personnages principaux qui ne valent pas forcément mieux que les horreurs qu’ils combattent. Quand on voit le comportement de Jack Crow dans le film, ou celui de son partenaire Montoya (joué par Baldwin), on se dit que dans l’époque où nous vivons pas un dixième de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont serait validé.

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          • Classique des classiques comme dirait Lagier… le troisième épisode est très intéressant dans la mesure où il n’a rien à voir avec Michael Myers et tout avec les citrouilles… Et les enfants ne sont pas épargnés ha ha ha (rire sardonique de rigueur). Le souci quand la musique est bonne n’est pas seulement qu’il fout les creeps mais qu’on repense illico à Pleasence & Jamie Lee et c’est toujours en défaveur du film plus récent. En vrai la seule chose qui fait peur dans le dernier épisode qui clôture normalement (avant le prochain reboot ?) c’est la coiffure de Jamie + la tête de Will Patton qui s’est pris un méchant coup d’vieux. Attends ! Je vais aller me regarder dans le miroir des fois que histoire de me faire peur…

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  3. C’était une époque où je suivais d’assez près la carrière de James Wood. J’avais adoré « Best Seller » (1987) où il partageait l’affiche avec le regretté Brian Dennehy (le méchant flic dans le 1er Rambo). On a ensuite commencé à le voir dans des rôles secondaires comme dans « The Specialist » (1994) avec Stallone ou encore « Casino » (1995), « Nixon » (1995) avant de le retrouver dans ce « Vampires » (1998) que j’avais trouvé assez jubilatoire…

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    • James Woods est un acteur que l’on voit moins mais qui marque. De mon côté, c’est chez Cronenberg que je l’ai découvert, dans « Videodrome ». Je l’ai ensuite vu dans l’immense fresque de Leone, « il était une fois en Amérique », mais aussi en père de famille dans « Virgin Suicide ». Des registres assez différents de ce chasseur de vampires particulièrement rêche et revêche.

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  4. James Woods est parfait en chasseur de vampires. Hélas, le film ne tient pas les promesses de son excellent début et, comme tu le dis, semble vraiment bâclé au regard du potentiel qu’avait un tel sujet… Dommage.
    (Sans rapport, je ne fais plus partie de ta blogoliste en rapport avec le cinéma ?) 😉

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  5. Quoi de mieux que de revoir un Carpenter, même si clairement pas dans ses meilleurs, en cette période d’Halloween et de films (censés) faire peur !
    Bon, on en a déjà longuement parlé chez moi, je l’aime bien ce VAMPIRES, même si forcément avec une telle carrière, Carpenter a mieux fait dans les années 70 et 80 (et même 90 aussi avec l’énorme IN THE MOUTH OF MADNESS). Mais il embrasse encore plus que d’habitude le côté western de son intrigue, jusque dans la musique (belle continuation thématiquement de celle d’ESCAPE FROM LA, déjà très typée western). Bref, ça fait plaisir, avec une ouverture géniale, sans oublier James Woods, impérial !

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    • Et Sheryl ! La pauvre n’a pas beaucoup de place dans ce combat très viril entre un vampire alpha et un meneur de mecs, mais je la trouve dans chaque scène excellente.
      Plutôt que de me faire un film d’horreur tiède comme on en produit beaucoup de nos jours, je préfère me repasser un bon vieux Carpenter sans complexe.

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      • Oui oui et la merveilleuse Sheryl qu’on oublie souvent dans l’équation, il est vrai, excusez-moi mon bon monsieur !
        Ah ben pour cette année, j’ai vu des films d’horreur pas toujours glorieux, mais en effet tièdes à force de nous recouvrir de sang, je tente d’en parler très bientôt sur mon site, mais cette fin 2022 est hyper saignante (quand au dernier Halloween, j’en ai écris un long texte, il est bancal, mais sans doute le plus intéressant de cette « trilogie », ce qui n’était pas dur vu que le précédent n’avait strictement rien à raconter).

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        • J’ai lu rapidement ton article sur « Halloween ends ». Il ne m’a pas forcément donné envie de tenter, même si John Carpenter valide et signe la BO (je me contenterai de l’écouter).
          J’ai mis de côté pour le lire plus tard ton article sur « le Village des Damnés » version Big John. Un remake que je n’ai jamais vu et sur lequel je suis curieux de savoir ton avis.

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          • Ah mais il est bancal, blindé de défauts. Mais au moins il tente des choses, et après une saga de 13 films quand même, ben voir quelque chose de différent, moi ça m’allait. Puis bon, Michael avait déjà été bien malmené par le passé (Michael qui pleure dans le 5, Michael contrôlé par une secte dans le 6, Michael contre kungfu rappeur dans Resurrection). La musique par contre est bien cool, je l’écoute de temps en temps depuis, Carpenter ne me déçoit de toute façon jamais musicalement. Même sa musique pour le récent (et mauvais) FIRESTARTER, elle est bien, notamment le thème de fin, si tu as l’ocaz de l’écouter.

            Pour ce fameux village, ça rejoint ce que je dis du coup. Un film oublié, voir parfois juste zappé dans sa carrière. Film mineur, mais pas mauvais pour autant, et avec un beau casting.

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  6. Interesting review! I had noticed Howard Hawks’s Rio Bravo influence on Carpenter, but didn’t really pay attention to the way he portrays religion in his films. Anyhow, I think Vampires is a lot of fun, and James Woods was the perfect. Bette Davis once said that Woods was her male equivalent, and she was right — Woods can enliven any movie by sheer force of will!

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    • Bette Davis had a perfect eye on him.
      Catholic religion, churches are many times in his horrific movies. I told about « The Fog », and « Prince of Darkness » but there is also a church in « the Mouth of Madness », where the writer Sutter Kane is creating his evil stories. There’s a good priest in the Vampires movie, so Carpenter is not so fierce with that religion.

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  7. Non merci. Ce genre ne m’inspire aucune curiosité. J’ai peut-être tort. Mais même en te lisant, je bâille.

    Sinon, m’est avis que faire un tour du côté d’Amsterdam et de la Malanka ukrainienne te vaudrait quelques merveilleuses surprises.

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  8. Bonjour Princecranoir, voici un film que j’avais vu sur grand écran et plus tard en DVD. Ce DVD, j’ai été obligé de le jeter car le disque s’était auto détruit. Toujours est-il, c’est qu’on ne le trouve plus en DVD ou autre et j’en suis fort marri car c’est un excellent film à tout point de vue. Je me rappelle de la scène où Valek est au plafond (1ère photo de ton billet). C’est un film qui fait peur mais qu’est-ce que c’est bien. J’espère que le film sera réédité un jour, il le mérite. Bon dimanche.

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    • Rebonsoir Dasola,
      Je ne savais pas que le film était si difficile à trouver aujourd’hui. J’ai toujours mon vieux DVD collector qui fonctionne à merveille. L’image n’est pas formidable mais l’énergie du film est toujours au rendez-vous. Il mériterait sans doute une nouvelle édition soignée.
      Bonne soirée (sans vampire au plafond, espérons-le).

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    • Pour l’avoir vu à l’origine au cinéma, je peux te garantir qu’il se revoit aujourd’hui, malgré les ans, toujours avec le même plaisir jouissif. Du Carpenter décomplexé comme on l’adore. Nul doute que QT apprécie le côté bis de ce film.

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  9. Bon sang cela me donne envie de le revoir ! Tout comme le Near Dark de Bigelow que tu cites également. Que de souvenirs liés à la vision de ces films en salle. Je pense que je vais utiliser mon temps intelligemment et revoir ces deux films, plutôt que le remake de Hellraiser et la série Interview with the Vampire, qui vont à coup sûr m’envoyer direct au pieu.

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    • Deux films qui ont su comment abîmer et régénérer avec talent l’image surannée du vampire de salon. Quand le mort-vivant est cuit façon western, c’est tout de même plus goûtu (ce qui n’enlève rien aux saveurs délicieuse des antiquités gothiques de la Hammer que j’ai évoqué il y a peu).
      A mon avis, peu de chose à attendre de ces deux projets. Mais, justement, on aura peut-être une bonne surprise.

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