TERRIFIER

Crazy clown time

« L’essence du cinéma gore et de l’horreur en général, c’est de tomber par hasard sur un film qui vous fait dresser les poils et lever de votre fauteuil. (…) Chaque jour, un nouveau fan décide de prendre une caméra pour réaliser ce qui pourrait bien être le prochain grand évènement du genre. »

Tom Savini, préface du hors-série de Mad Movies « Il était une fois la révolution Gore », juillet 2014.

Coulrophobie : peur excessive et irrationnelle des clowns. Le terme est récent mais le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Le personnage censé faire le bonheur des enfants a suscité une certaine méfiance dès lors quelques chroniqueurs du XIXème siècle ont mis au jour la nature perverse de quelques assassins dissimulés sous le fond de teint de l’amuseur de piste. Il y eut Tabarin et puis Paillasse dans un siècle désormais lointain, et surtout le sinistre clown Pogo dans les années 70 sous le masque duquel on découvrit l’abominable tueur en série John Wayne Gacy. Largement de quoi alimenter la machine à fantasmes d’un écrivain comme Stephen King, ou de réalisateurs adeptes de pitreries sanguinolentes. Le dernier en date se nomme Damien Leone, et il compte bien nous « Terrifier » en rouvrant le cirque des horreurs.

Deux films déjà, et quelques court-métrages, qui mettent au premier plan cet Art dégénéré. « A total fucking maniac ! » hurle au téléphone le type de la société de dératisation coincé dans l’entrepôt lugubre de Steuber Street, dans la petite bourgade américaine de Mile County. Et il a bien raison. En ce soir d’Halloween, entre deux pauses musicales, la radio lance pourtant des avertissements quant à la présence en ville d’un taré déguisé en clown qui vient de commettre un carnage à la Deer Hills Pizzeria. Et c’est peu dire qu’on ne peut pas le rater ce comique : son visage blême et ses dents noires qu’un sourire carnassier dévoile avec gourmandise, et son balluchon sur le dos transportant tout ce qu’il faut pour assurer le spectacle, on n’avait pas vu croque-mitaine plus flippant depuis l’éveil du « Jeepers Creepers ».

Pour mieux rompre avec la litanie lassante des films de spectres harceleurs, de poupées violentes et d’amateurs de salsa du démon, Damien Leone a décidé de revenir aux fondamentaux du crime, utilisant son maigre budget (alloué par une clique de généreux donateurs sur la toile des timbrés de l’hémoglobine) pour produire des effets à l’ancienne très inspiré des vieilles recettes de Tom Savini (grand artisan du gore politique au pays du « Zombie » de George Romero). Pas question de mettre du numérique dans la sauce, tout ici est savamment cuisiné au latex et au jus de boudin. Quand on se pose devant « Terrifier », il faut s’attendre à ce que ça éclabousse, que ça rougisse, que ça pisse, que ça perce, que ça cogne et que ça tranche,… et bien sûr que ça crie. Toutefois ici, le râle s’étrangle dans la gorge du tueur que son créateur à la perversité sans limite a choisi de lui couper le sifflet pour un effet plus saisissant.

L’acteur David Howard Thornton déploie ainsi tout l’arsenal des mimiques qui firent la gloire d’un Lon Chaney au temps où les films se taisaient, bien soutenu par un masque aux traits savamment dessinés pour effrayer la galerie. « Je suis allé chercher dans l’imagerie la plus classique, raconte le réalisateur dans Mad Movies, où le Diable et les sorcières ont des nez pointus et des mentons allongés. Enfin, j’ai rendu Art décharné, comme un zombie. Avec tout cela, on se dit qu’il doit avoir un visage vraiment terrifiant sous son maquillage de clown. » De quoi rapprocher cet écorcheur patenté des créatures surnaturelles qui peuplent désormais le panthéon lugubre du film d’horreur, issues des cauchemars griffus pour teenagers en chaleur, dormant dans les eaux de Crystal Lake ou bien rôdant dans les cités pavillonnaires du côté d’Haddonfield.

Art le Clown préfère lui les immeubles miteux dans ce premier film entièrement dédié à son culte. Sans grande surprise, il y investit les sous-sols de la peur, les corridors glauques, les caves rouges de brique et autre entrepôt sinistre propices à de multiples cachettes où pourront éventuellement se réfugier les infortunées victimes qui attendent de passer sous les outils du tueur. Les deux premières sont toutes désignées, entrant sans aucune ambiguïté dans les mensurations du genre : Dawn la blonde délurée un peu pompette (Catherine Corcoran) et Tara la brune plus méfiante (Jenna Kanell) se baladent en pleine nuit en cette veille de Toussaint vêtues de robes sexy imprimées au motif de leur anatomie interne. Par ce biais, Damien Leone affiche clairement son amour du folklore gore régressif inspiré des films de Jim Muro ou Frank Henenlotter dans les années 80, jusque dans l’emploi d’une bande-son issue des mêmes moules parfaitement distillée par Paul Wiley.

Confiné dans le giron du slasher, il limite son script à une chasse très classique du chat (nommé Scorsese comme nous l’indique le générique de fin) et de la souris. Ou plutôt du rat, vu les spécimens qui grouillent aux étages inférieurs de l’immeuble. Cette cave en forme de piège est comme hors du temps et de tout repère rationnel. Son agencement ressort d’une logique cauchemardesque que l’on peine à comprendre. On y fait d’ailleurs des rencontres improbables, comme cette folle qui parle à sa poupée comme d’autres murmurent à l’oreille de leur bûche. Avec sa poignée de dollars en main, Leone n’a pas les moyens d’espérer des décors rutilants et doit se contenter de filmer à l’économie son huis-clos cradingue qui, paradoxalement, lui donne un cachet vintage et brut de décoffrage qui, si le Noir & Blanc était de mise, partagerait bien des points communs avec l’ambiance d’un « Eraserhead ». Rarement environnement n’aura paru aussi hostile que le prédateur aux trousses des victimes.

Celles-ci s’enchaînent sans temps mort, alors que pourtant le body count s’emballe au compteur du Clown sadique, non sans un effet de lassitude néanmoins étant donné la maigreur des interactions sociales. Damien Leone ne parvient pas non plus à tirer de ses actrices et de ses acteurs de fortune l’expression la plus primale de la terreur qui les envahit. Il compte avant tout sur le numéro de grand-guignol de son Pierrot sanguinaire devenir la coqueluche de ceux qui en veulent en gore et en gore. Et ce n’est que le début puisque « Terrifier 2 » n’aura pas tardé à suivre, étirant plus encore le temps du massacre. Désormais installé dans une position d’outsider horrifique, Damien Leone a bien l’intention de ne plus compter pour des clowns, et c’est très bien comme « Ça ».

27 réflexions sur “TERRIFIER

    • Redondant, il ne l’est pas moins que les autres slashers, il faut bien être honnête. Et très franchement, si ça reste « supportable » sur une heure vingt de film, je ne suis pas sûr d’être aussi patient durant une heure de plus comme dans « Terrifier 2 » actuellement sur les écrans.
      il y a néanmoins de l’inventivité et de la générosité qui, pour peu qu’on adhère à ce genre très controversé, est motif à satisfaction.

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  1. On est loin des clowns de Fellini. 😉
    Pas vu ce film et je me suis arrêté aux tarés de Rob Zombie (sacré Captain Spaulding, aussi drôle que terrifiant). Médusa Fanzine n°28 (2017) consacrait un gros dossier à la « coulrophobie », mais pas lu non plus. Je suis peut-être plus sensible aux figures banales du mal. Qu’on pense au récent ‘The Batman’, à ‘Psychose’ ou encore ‘Seven’.

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  2. Sympa de voir ce film TERRIFIER les pages de ce blog ! Moi comme tu le sais sans doute, j’ai beaucoup aimé, la minceur du récit, la redondance, ne m’ont pas dérangé. Au contraire j’ai trouvé ça DIABLEMENT rafraichissant et honnête au milieu de tous les reboots, remakes et autres rejesaispasquoi dont nous abreuvent les producteurs de films d’horreur depuis un moment. Et puis un bon méchant pour ce genre de film, c’est déjà la moitié du chemin de fait pour un réalisateur. J’espère pouvoir bientôt découvrir la suite.

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  3. Vu il y a un petit moment, mais, j’avais moins accroché que pour All Hallow’s Eve, le film a sketch précédent Terrifier dans lequel le clown faisait juste une apparition, ou mème sa suite qui s’avère encore plus gore (et restez pour la scène au milieu du générique final, vous m’en direz des nouvelles).

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    • Si je ne me trompe, dans « All hollow’s eve » c’est un autre acteur qui joue Art, et son visuel n’est pas aussi abouti qu’ici. Et « Terrifier » est à l’origine un court-métrage qui servira de tremplin pour le financement participatif du long chroniqué ici.
      Je prends note pour le générique du 2. 😉

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  4. Mon attrait au slasher et au gore possède bien une limite : le clown. Il faut dire que j’ai découvert un peu trop jeune le « Ça » de Tim Curry et j’aurai bien du mal à y revenir, contrairement aux remakes, qui dépendent trop de leur CGI. Mais si tu me dis que ça en vaut la peine, je serai peut-être tenté de trouver des camarades assez solides pour confronter ce qui semble être le gros rendez-vous trash de ce début d’année. A voir si je tiendrai le marathon.

    En tout cas merci d’avoir évoqué « Jeepers Creepers », une série B que j’apprécie beaucoup, bien qu’il n’ait pas vraiment su ressusciter l’année dernière.

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    • Je me suis arrêté au deuxième « Jeepers Creepers », une franchise passionnante aussi au regard du profil plus que trouble de son réalisateur et auteur Victor Salva. Faudra que je me fende d’un petit article tiens un de ces jours.

      Le Clown évoqué ici est bien le « Terrifier » premier du nom, sorti en catimini en 2016, et pas le deuxième opus de deux heures vingt qui occupe les écrans actuellement. Mieux vaut avoir le cœur, l’estomac, et tous le reste de l’anatomie interne solidement accrochés car il est apparemment encore plus Gore (avec un G majuscule) que le premier. Une victime avertie en vaut deux.

      Quant à « ça », si tu veux te rappeler des souvenirs…

      « IL » est revenu

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      • Il n’y a que des bouts d’os à ronger après le second volet, pas même un nanar en vue.

        Il y a une projection des deux volets à la suite pas loin ce week-end, mais après tes avertissements, je pense me dérouter vers une soirée vod à l’ancienne sur le premier du nom. Ma saison de l’horreur démarrera avec force.

        Je m’y plongerai prochainement, sans faute.

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  5. Et bien voilà, un peu de sang bien épais sur ton site 😉
    Tu sais déjà ce que je pense du film, d’ailleurs nos avis sont assez proches, c’est bien sympa, nostalgique dans sa manière de penser le genre et de le représenter mais pas nostalgique en nous tapant constamment sur l’épaule pour nous dire « hey hey tu as vu c’est comme dans les films que tu aimes », mais il est vrai limité, par les acteurs dont certains bien mauvais, par son concept puisque finalement ce premier film ne raconte rien véritablement. Mais il fait le boulot de manière honnête et c’est dans le fond le plus important. Le 2, dont la durée fait peur, est pourtant plus intéressant, car pour le coup là le réalisateur développe réellement un univers autour des personnages, tueur comme final girl, et ça relance l’intérêt.
    Et en parlant de mauvaise nostalgie, je viens de tomber il y a quelques minutes sur une affiche de…. Scream 6, qui plagie ouvertement sans honte l’affiche US Originale du Vendredi 13 à New York… Voilà tout est dit.

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