La FAMILLE ASADA

Tu veux sa photo ?

« Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. »

Henri Cartier-Bresson

On dit parfois que le cinéma est une grande famille, voilà peut-être pourquoi certaines familles ont du succès sur les écrans. En France, on a connu les atypiques « Bélier », éleveurs muets dotés d’une fille chanteuse. Au Japon, il y a désormais « La famille Asada », dont le petit dernier a un tout autre talent : celui de redonner le sourire avec des images. Son parcours étonnant a tapé dans l’œil de Ryōta Nakano qui s’est chargé de mettre sa vie en boîte avec une joie communicative.

Lorsqu’on évoque au Japon une « affaire de famille », les regards se tournent naturellement vers le sensei reconnu du genre, Hirokazu Kore-eda. Certes, il n’y a pas de « Petite sœur » chez les Asada, mais il y a un petit frère qui focalise l’attention. Ce petit frère, c’est Masashi, un gamin curieux de nature qui deviendra un photographe connu pour ses portraits joyeux et insolites. Sur les conseils de son producteur, Nakano choisit donc d’en retracer l’histoire, celle d’un garçon sorti de l’anonymat d’une petite ville portuaire du Japon qui aura son heure de gloire en son pays. Une histoire que Nakano déroule à la manière d’un album intime, du premier clic sur une plage en forme de coup de foudre fondateur à un clap de fin en guise de clin d’œil.

Un portrait qui passe nécessairement par une réunion de famille pour mieux en fixer les racines. Dans l’objectif alerte de Nakano, les Asada sont des voisins pas si modèles : ici la mère travaille comme infirmière et le père cuisine des bons petits plats à la maison. Le grand frère Yukihiro a la tête sur les épaules, fait honneur à ses aînés en s’insérant sans faire de vague dans le schéma social convenu. Masashi, lui, est plutôt l’électron libre de la famille, du genre à élever une tortue dans le casier de l’école, à aller à la pêche plutôt qu’aux entretiens d’embauche, mais surtout, il a un sens inné de la mise en scène pour réaliser des portraits.

Paré d’un Nikon offert par son père à son anniversaire, il va immortaliser sa famille en or sur pellicule argentique. Il leur donnera l’étoffe de héros (juste pour un cliché), sans se douter qu’un jour, ils passeraient à la postérité. Qu’ils soient petits ou grands, les Asada ont des rêves de gosse que le cinéma a peut-être nourris : l’un s’imagine pompier quand l’autre se voit plutôt femme de Yakuza. Un peu d’astuce, beaucoup d’audace, et ces vies extraordinaires deviennent réalité le temps d’une pose mémorable.

Il semble évident que Nakano se projette dans son photographe, prenant un soin méticuleux à confondre ses acteurs avec les personnages réels dont ils s’inspirent. « C’est comme si l’énergie de ma famille leur avait été transmise. » ajoute même le véritable Masashi Asada qui dût, pour le film, refaire ses clichés à l’identique avec les acteurs. On imagine son trouble devant Kazunari Ninomiya qui joue son double devant la caméra, visage qu’on avait pu apercevoir en jeune soldat perdu dans l’enfer des « Lettres d’Iwo Jima ». Le mimétisme est assez bluffant, il faut bien le reconnaître (comparez les deux photos ici présentes), tout comme cet enthousiasme que le réalisateur ne manque pas de convertir à l’image.

Une première partie jalonnée de péripéties égrène les années d’errance et de doute du jeune Masashi qui, son album de famille sous le bras, s’en va à la grande ville pour tenter sa chance. Une exposition, une première édition pour un succès d’estime, quelques tatouages déplacés pour faire mauvais garçon, sans oublier Wakana, son amour de jeunesse qui le porte à bout de bras, le scénario nous délecte d’anecdote en anecdote, il nous fait languir avant de prononcer l’acte de consécration lors de la remise du prestigieux prix Ihei Kimura (sorte d’Oscar pour photographes). Et c’est précisément là que Nakano décide de changer de ton, de faire trembler les murs de cette histoire somme toute assez gentillette.

Il décide de penser à ceux qui ratent la fête, qui ne sont pas sur la photo. Ryōta Nakano a perdu son père à l’âge de six ans, une figure absente de son propre album de famille et qu’il va vouloir restituer dans ses films. Etonnamment, il l’imagine vieux et en fin de vie. Dans « A Long Goodbye », il retraçait la fin de parcours d’un homme qui annonce à sa famille qu’il est atteint d’Alzheimer. Pour « la Famille Asada », il nous invite directement aux funérailles du « chef » de famille, dès l’ouverture du film. Si la tonalité funèbre adopte d’abord le ton de la plaisanterie, elle tourne au sérieux quand des évènements d’une autre ampleur viennent submerger ces trajectoires intimes.

Le compteur des années se bloque en 2011, année du grand tremblement de terre, du tsunami dévastateur et de la catastrophe nucléaire. Une date marquée d’une pierre noire dans la mémoire des Japonais, et qui élève la petite histoire du film à une échelle plus nationale. Se pose alors la question de la place de l’artiste dans un tel contexte dramatique. Là où d’autres choisissent de mitrailler les lieux pour rendre compte de l’étendue du sinistre, Asada préfère poser son appareil et se lance dans une autre quête d’images. « Les photos sont une trace du passé mais elles nous donnent aussi la force d’affronter le présent » entend-on dans le film, une très belle idée que le réalisateur transforme en une mosaïque de clichés intimes sauvés des eaux. Ils finissent par couvrir les murs d’une école, comme autant de lignées familiales soudain brisées, autant de destins poignants qui se superposent à celui de Masashi devenu tout à coup dérisoire.

Nakano prend alors son temps (un peu trop peut-être), s’attarde sur la part des bénévoles, sur le sort des victimes, et en invente une qui résonne en lui-même : c’est l’histoire de la petite Riko qui cherche désespérément une photo de son père emporté par les flots. C’est l’histoire d’un visage absent, perdu dans l’arrière-plan. C’est alors que la mise en scène fait sens : toutes les amorces de plan floues, les longues absences loin du foyer familial, et puis cette volonté d’être à tout prix dans le champ, laissant à l’appareil fixé sur le retardateur le soin d’être seul déclencheur du geste artistique. Nakano montre qu’il n’y a personne derrière la caméra car tout se passe de l’autre côté, sur l’écran, là où la vie est un fait, et où la mort n’est que fiction.

la vraie famille Asada
la vraie famille Asada

19 réflexions sur “La FAMILLE ASADA

  1. Je n’arrête pas d’entendre parler de ce film depuis quelques temps, et ton avis confirme donc que je devrais me pencher un peu dessus, même si au départ, la présence de Ninomiya Kazunari ne me rassurait pas (non pas qu’il soit mauvais, il est même au dessus de pas mal « d’idoles » de sa génération, mais il joue souvent dans des films assez lissés pour le grand public sur pas mal d’aspect). Je prend note donc ^^

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    • C’est sans prétention et c’est pile poil le genre de film qui fait du bien, un petit côté « little miss sunshine » version Japon pour le portrait de famille singulier mais avec une histoire totalement originale. Et Ninomiya est formidable dedans, tout comme les deux parents joués par Jun Fubuki qu’on a déjà vue chez Kurosawa Kiyoshi, et Mitsuru Hirata.

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    • Pour passer un excellent moment de cinéma, je le recommande vivement. Et pourtant, il touche aussi à des sujets graves comme la disparition des êtres chers, la maladie d’un enfant et bien sûr la catastrophe de 2011. Mais au-delà de ces épreuves, il y a la famille et les souvenirs qui y sont attachés. J’espère que tu pourras le voir.
      Merci beaucoup pour tes mots Eveline. 🙏

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  2. Sans prétention ???
    Non mais franchement il m’en faut tous les jours des sans prétention comme ça.
    Il est merveilleux ce film.
    Et l’interprétation est de haute volée.

    Je croyais que c’était un 1er film.
    Va donc voir Retour à Séoul, c’est, comme Tar, plein de prétention.

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    • Justement, c’est ce qui m’a plu !
      C’est spontané, frais, enjoué, et le drame jamais larmoyant. J’ai encore en mémoire ce passage chez les Saeki avec le fils malade à l’hôpital où les parents plaisantent pour se protéger de l’horrible ineluctabilité. Cette scène ensuite où le gamin monte sur le dos de sa mère, elle me met encore les larmes aux yeux quand j’y repense. Et puis la petite Sakura et les cerisiers en fleurs, tant de moments au moins aussi emouvants (sinon plus) que le coup de la montre de Riko qu’on sent un peu venir (je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé à Butch dans « Pulp Fiction » 😉).
      Trop tard pour Tàr. D’autres films arrivent, plein de potion magique (ou pas).

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  3. Ah j’aime mieux ça.
    La scène de l’arc en ciel avec les parents si forts. Et le petit sur le dos de sa mère :-(‘
    Les cerisiers en fleurs 🙂 et oui le coup de la montre de Riko (qui n’a pas pris le même chemin que celle de Butch je pense… et elle est GROSSE la montre) on le voit arriver mais la petite sur la plage, elle m’a déchirée le coeur. Et elle est trop petite peut être pour comprendre que quand on est pas sur la photo, c’est qu’on la prend. Mais je trouve ça très fort que Masashi ne lui dise rien et simplement lui emprunte la montre pour quelle comprenne. C’est magnifique. Les enfants asiatiques en général jouent vraiment des scènes dingues. Je me souviens de la petite dans Dernier train pour Busan…

    Trop tard pour Tar, ooooooh que c’est triste !!!
    Tu crois que ça va marcher le petit film à potion ?

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  4. Très joli film même si je n’ai pas saisi en quoi ces photos étaient hilarantes (différences culturelles ?!) et surtout pas en quoi ce photographe est singulier et/ou talentueux ?! Néanmoins, l’émotion passe, et ça reste un magnifique hommage à la photographie

    Aimé par 1 personne

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