Le MANS 66

A nous la victoire

« Devancer le futur »

Devise des 24 Heures du Mans.

Chaque mercredi, ils sont nombreux les films à s’aligner sur la ligne de départ. La pression est énorme pour chaque équipe derrière car chacun sait que, parfois, de très grosses sommes d’argent ont été réunies afin de les voir concourir. Le cinéma ne serait-il donc plus un art mais une course folle qui met les films en concurrence ? C’est ce qu’on devine en filigrane derrière les bolides qui foncent vers « Le Mans 66 », un film emporté par l’énergie des courses d’antan et piloté par un l’ingénieux James Mangold, le pied sur l’accélérateur mais le champ visuel plus élargi que jamais.

« A mesure que tu accélères, le monde alentours ralentit » C’est ce qu’explique, avec son accent british à couper au couteau, le coureur automobile Ken Miles interprété par Christian Bale à son fils Peter confié « sans un bruit » à Noah Jupe. S’il n’en est pas encore à courber l’espace-temps avec son bolide, l’idée est bien d’attirer son regard et le nôtre vers ce qui se passe en dehors du circuit. Bien sûr, à l’instar de ses prédécesseurs ayant tâté du sport automobile (de Howard Hawks et sa « Red Line 7000 » au puissant « Rush » de Ron Howard en passant évidemment par « Le Mans » avec Steve McQueen), James Mangold ne néglige en rien la dimension éminemment dramatique et cinématographique des courses automobiles.

A peine le film a-t-il débuté que l’on entend déjà vrombir les moteurs comme si, pour une fois, le son pouvait aller plus vite que l’image. Caméra embarquée, travelling poursuite, plan de grue au-dessus de l’asphalte ou bien au ras du bitume lorsque le temps est à la pluie, que la nuit a avalé le monde et que rougissent dangereusement les plaquettes de freins, Mangold met la gomme pour rester en pole position au côté de son champion, esquivant les débris et les carcasses en feu pour nous faire partager les sensations fortes d’un tour de piste avec des pointes à 350. Si l’objectif est de convaincre, on peut raisonnablement admettre que sur ce point il franchit la ligne d’arrivée haut la main, sur le podium au côté de ses prédécesseurs.

Carroll Shelby, interprété avec classe par l’impeccable Matt Damon, ne s’y prend d’ailleurs pas autrement pour convaincre le « Duc » de la Ford Motor Company de rester dans la course et de laisser son meilleur pilote prendre le départ en France. « Le Mans 66 » fonce à vive allure, rapide et furieux, sur les grands circuits du monde, mais il a bien d’autres qualités dans son moteur. Ce scénario concocté par Jason Keller et les frères Butterworth, sur lequel Mangold a ajouté sa patte (sans être crédité au compteur), met en concurrence deux modèles de fabrication : « Ford versus Ferrari ». Le titre original oppose ainsi deux constructeurs qui n’ont en commun que leur lettre initiale. D’un côté il y a ce fleuron de l’Amérique qui produit des véhicules à la chaîne, qui a permis à ses concitoyens de considérablement réduire les distances dans un pays aux proportions gigantesques. De l’autre le Commendatore qui fabrique des voitures de prestige, dont le seul nom est synonyme de savoir-faire, de sur-mesure et de records en compétition.

Physiquement, il n’y a pourtant pas grande différence de stature entre Tracy Letts qui joue Ford et Remo Girone à qui revient l’honneur d’être à l’écran le grand Enzo. Ce sont deux monarques d’un âge vénérable, qui mènent leur écurie avec poigne et autorité. Et pourtant, c’est peu dire qu’ils ne jouent pas dans la même catégorie. C’est comme si une marque de prêt-à-porter défilait au salon d’un grand couturier. Car la course automobile, c’est de la haute-couture ! C’est de la mécanique de précision qui réclame une expérience et un savoir-faire acquis des heures durant à tourner en boucle sur des circuits divers et variés. « Les 24 Heures du Mans » en constitue le graal, l’apothéose, l’heure de vérité. Pour suivre le combat des chefs, Mangold se contente de la tribune américaine.

S’il a évidemment un œil sur les exécutifs, sa préférence va vers les petites mains, celles qui n’hésitent pas à se salir les ongles, à passer les vitesses et à frôler la mort à chaque virage. C’est entre les coups de marteau de l’atelier et les chronomètres en bord de piste que se jouent toutes les chances de remporter la course, bien plus en tout cas que dans les bureaux de la maison-mère où l’on réfléchit davantage aux stratégies qui vont relancer les chiffres de vente. Il est vrai qu’avec son chapeau de cow-boy et le franc-parler qui va avec, Matt Damon fait un peu tâche dans la meute des loups en costard-cravate. Il semble pourtant le seul à savoir de quoi il parle, à lui d’ailleurs toutes les répliques qui mouchent.

Car « Le Mans 66 » est un film qui scotche le spectateur sur son fauteuil mais qui sait aussi faire rire grâce à des dialogues aérodynamiques. Alors que les esprits s’échauffent, que le pilote britannique commence à lancer ses clefs anglaises, Mangold sait qu’il faut parfois écraser le frein pour opérer un tête-à-queue afin que la fraternité l’emporte. Quitte à laisser un peu de gomme dans sa course au grand spectacle, il nous ménage quelques moments d’émotion bercés par du Marco Beltrami qui régale. Ces arrêts au stand sont autant de moments précieux, de valeurs ajoutées, le temps d’une danse au milieu des outils et des carrosseries entre Ken Miles et son épouse Mollie (magnifique Caitriona Balfe), ou d’une dernière visite à un ami disparu avec qui on a partagé une passion commune. « S’il y a quelque chose qui caractérise vraiment mes films, y compris « Logan« , c’est qu’ils ont une portée émotionnelle. C’est ce que j’essaie d’atteindre, peu importe le genre. » confiait le réalisateur dans Cinéma Teaser.

Mangold tient sa ligne (« Walk the line » comme chantait l’autre) avec une maîtrise qui force le respect, faisant honneur au grand cinéma classique et populaire tout en filant la métaphore sur Hollywood et sa logique productiviste. Qu’il soit abrasif comme un riff du fond du garage des Sonics ou bien enjôleur comme un blues de Nina Simone, « Le Mans 66 » file pleins phares sur ce que le cinéma de divertissement américain sait faire de plus beau.

45 réflexions sur “Le MANS 66

    • Merci beaucoup,
      Techniquement, ce n’est pas de la formule 1 sur le circuit du Mans (je ne saurais vraiment caractériser la différence, si ce n’est par la forme des voitures), mais nous sommes bien dans le domaine de la course automobile. Un contexte que Mangold rend vraiment palpitant dans ce film. Je trouve qu’il n’est jamais aussi bon réalisateur que lorsqu’il filme des hommes en fin de course comme le personnage joué par Christian Bale ici, mais aussi Logan, et jusque dans son premier film « Copland », ce flic à moitié sourd incarné par Sylvester Stallone.

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      • Effectivement le circuit du Mans n’est pas de la formule 1, les corses de voitures sont fascinantes et il y a une telle énergie..
        Il faudrait que je regarde à nouveau Logan et Copland sous ton prisme pour voir ça 😉
        Excellent avis en tout cas qui donne envie de voir le film 🙂

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      • Je confirme, la F1 et le Mans, cela n’a rien à voir.
        – En F1, il y a les qualifications avant la course (Q1 Q2 Q3) qui déterminent la ligne de départ (la pôle position que tout le monde attend) puis c’est la course, elle même, sur circuit avec un nombre prédéfinis de tours à effectuer avant de passer la ligne d’arrivée. Prochain GrandPrix : le 5 mars
        – Maintenant, les « 24H du Mans » c’est une course d’endurance où la voiture gagnante (car il y a plusieurs pilotes) est celle qui a parcouru la plus grand distance pendant 24h. Prochaine course : du samedi 10 au dimanche 11 juin

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          • De rien ! D’ailleurs, je vais de ce pas demander ma commission aux sponsors 🙂
            Sinon, pour revenir au film, c’est vraiment bien tourné. Il y a même dû avoir du visionnage de courses tellement l’ambiance est retransmise. Les deux rôles principaux, Bale et Damon nous embarquent sans effort dans leur histoire commune.
            Tu l’auras donc deviné, j’ai apprécié le film. 😉

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            • Oh oui, sans doute pas mal d’heures à regarder tourner les voitures. Hélas, pourtant pas un kilomètre parcouru sur le véritable circuit des 24, juste quelques plans du centre historique du Mans, à côté de la cathédrale, glissés dans le film. Toutes les courses sont filmées aux States.

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    • Merci beaucoup Quentin,
      Il m’a semblé en effet que Mangold avait su trouver la juste voie qui relie les enjeux des pistes de courses aux stratégies des grands décideurs de studios. Il le fait dans une forme qui rappelle les grands classiques du genre, capables de conjuguer intelligence du scénario et intensité du récit. De la belle mécanique assurément.

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  1. Le like est pour ton texte parce que pour être honnête, je me fiche des tutures comme de l’an 40… alors les batailles de tutures à celle qui fait pipi le plus loin… euh qui va la plus vite hein ! j’me comprends.

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  2. Voilà une critique et un film qui tiennent bien la route ! Bonne endurance, bonne adhérence et par tout temps (bravo James Mangold).
    J’avais découvert l’an dernier le plus expérimental ‘Le Mans’ avec Steve McQueen. Une curiosité qui se laisse regarder, même quand on n’est pas amateur des sports mécaniques.

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  3. J’suis pas un dingue de la course auto, mais j’avais beaucoup aimé ce film haletant, porté par deux acteurs au sommet parmi ceux que je préfère dans le cinéma anglo-saxon. Ta très belle chronique me donnerait presque envie de revoir un tour avec eux si l’occasion se présente.

    Avant le drapeau à damiers, une remarque sur ce que tu dis de Mangold filmant (bien) les hommes « en fin de course ». Se pourrait-il que cela augure d’un bon Indiana Jones cinquième du nom ? Voilà que soudain, grâce à toi, je l’espère. Merci !

    En attendant, retrouver Matt et Christian dans un autre film pourrait être une bonne idée. Les deux ont tourné devant la caméra de Spielberg : autre présage plutôt favorable à mes yeux.

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    • J’espère que tes oracles sont clairvoyants.

      Effectivement, le nom de Mangold redonne à l’annonce d’un nouvel épisode des aventures du fameux archéologue une vigueur et un intérêt que l’on croyait aussi perdus que l’arche de ses débuts. Cela ne sera le cas qu’à condition d’une liberté créatrice et d’une possible intervention sur le scénario, ce qui fut le cas pour ses précédents films. La réponse d’ici quelques mois.

      Quant à Christian Bale et Matt Damon, je crois qu’ils forment ici un des plus beaux duos de toute leur filmo respective.

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  4. Tu ravives là des souvenirs vrombissants dans une salle happée par un spectacle de haute intensité.
    On attend encore James Mangold au tournant cette année, avec un archéologue en bout de piste. Quand bien même j’ai des réticences à le voir, j’imagine qu’il parviendra peut-être à imposer les compromis nécessaires, comme pour « Logan ». Et pour plus tard, il serait en train de préparer un biopic sur Buster Keaton.

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    • Je ne savais pas qu’il était aux manettes du projet sur Buster Keaton (avec Rami Malek, c’est bien ça ?) C’est en tout cas très encourageant.
      J’aime beaucoup la lecture que Mangold fait du système hollywoodien qu’il métaphorise à merveille dans « Le Mans 66 » : « J’ai vu beaucoup de moi dans ces personnages » disait-il dans Cinéma teaser. Ce qui frappe, c’est surtout sa manière de conduire un récit dans les règles du genre, porté par une foi viscérale dans le cinéma classique. « Parfois, la presse a du mal à comprendre que ce n’est pas parce qu’un réalisateur n’applique pas une innovation technique ou formelle évidente que le film est dépourvu de sa voix. Si c’était le cas, Mike Nichols, Sidney Lumet, Don Siegel ou Howard Hawks n’avaient pas de voix ! » Tout est dit.

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      • Il est bien sur le projet du cascadeur. Concernant le cast, je n’en sais pas plus.
        Comme tous ces cinéastes, Mangold parvient à jumeler sa compréhension des codes hollywoodien au grand spectacle, chose qui se perd, et à rendre sons-texte aussi discret que décisif jusqu’à la ligne d’arrivée.

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        • J’avais lu qu’il s’agissait d’une série.
          Croisons les doigts pour cet « Indiana Jones » façon Mangold. Il s’est tout de même raté quelques fois (selon moi) : je n’avais trouvé son « Identity » formidable, et son adaptation du « 3:10 to Yuma » nettement en-dessous de la version de Delmer Daves.

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      • Oui et non, à partir du moment où on raconte une histoire vraie il y a des nuances à apporter. Ainsi le film fait croire que les deux hommes réunissent tout entre leur main, c’est un soucis pour moi, l’importance du personnage de Bale surtout qui est bien moindre en réalité

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