L’AMOUR et les FORÊTS

Pas commode

« Au travers de son masque on voit à plein le traître ;
partout il est connu pour tout ce qu’il peut être ;
Et ses roulements d’yeux, et son ton radouci,
N’imposent qu’à des gens qui ne sont point d’ici. »

Molière, Le Misanthrope, 1666.

Lorsqu’on tombe amoureux, on a coutume de dire qu’on s’abandonne, quitte à s’égarer. Sur le tournage de « Marguerite et Julien » en 2014, la réalisatrice Valérie Donzelli tombe amoureuse du roman multiprimé d’Eric Reinhardt, « l’amour et les forêts ». Véritablement fascinée par ce livre, elle se battra pour en obtenir les droits et pour l’adapter au cinéma (une pièce de théâtre avait déjà vu le jour en 2017). Sous les applaudissements cannois, le film de Donzelli monte les marches du paradis, tandis que son récit nous ramène vers l’enfer d’une épouse sous emprise. Lire la suite

CESAR et ROSALIE

Ni avec toi, ni sans toi

« J’aime bien Rosalie, je l’envie. Je pense qu’il y a des choses dans et de Rosalie qui me ressemblent et vice-versa. »

Romy Schneider

Il y a, dans les yeux de Romy Schneider, une lointaine lueur qui, remontant à la surface et éclairant son sourire, se change en une profonde incapacité au bonheur. Ce sentiment, qui saisit le spectateur dans bien des films dans lesquels elle a joués, n’aura peut-être jamais été aussi évident que dans le regard que portait sur elle Claude Sautet. « César et Rosalie » est déjà le troisième film qu’ils tournent ensemble, autant dire qu’il y a entre elle et lui une complice proximité. Elle a trouvé en lui son « metteur en scène préféré » et il a trouvé en elle cette « violence de vie qui lui donnait ce pouvoir de créer… » Lire la suite

Helmut Berger (1944 – 2023)

Le damné

« Ceux qui me côtoient connaissent ma redoutable ambivalence : je peux être l’homme le plus gentil, comme le plus désagréable. Celui qui a fait l’expérience de ce dernier aspect de ma personnalité ne l’oublie pas. Pas plus Alain Delon que Marisa Berenson ou Richard Burton. »

Helmut Berger, autoportrait, 2015.

« Berger est un jeune poulain plein d’inspiration et de qualités, mais qui doit encore se faire les os » disait Visconti à propos de son égérie au moment de « Ludwig ». Le metteur en scène avait cette réputation d’exigence sur les plateaux, pouvait même se montrer impitoyable envers ceux qu’il chérissait le plus. Lire la suite

JEANNE du BARRY

Sa reine

« – (…) Il était donc une fois une pauvre jeune fille qui, à cette époque, n’avait ni pages, ni voiture, ni nègre, ni perruche, ni sapajou.
– Ni roi, dit Louis XV.
– Oh ! Sire. »

Alexandre Dumas et Auguste Maquet, Joseph Balsamo, 1853.

Elle disait qu’elle aimait la vie, on la lui ôta d’un coup de lame. Coupez ! comme on dit au ciné. De Jeanne Vaubernier (ou Bécu selon les sources) à la Comtesse du Barry, tout le cinéma lui est passé dessus, de long en large et à travers. Après Theda Bara, Pola Negri, Dolores del Rio, et bien sûr Martine Carol, voici que Maïwen, fascinée, s’identifie à « Jeanne du Barry », devant et derrière la caméra. Elle fait de sa distribution royale et exotique une attraction en costumes qui tire davantage sur le conte que sur la comtesse. Lire la suite

SHOWING UP

Du bout des doigts

« Pour que la matière ait tant de pouvoir, il faut qu’elle contienne un esprit. »

Gustave Flaubert, 1874.

Depuis trente ans maintenant, la cinéaste Kelly Reichardt cherche sa voie. Elle a arpenté l’Oregon à la rencontre des marginaux, remonté des rivières herbeuses depuis la Floride, traversé des déserts, exploré des forêts, franchi un barrage et même remonté le temps pour retrouver le goût du lait à l’américaine. Voici venu le temps pour elle de se poser dans un atelier, de contempler son œuvre accomplie. « Cinéaste ou céramiste, on met sa création au feu, sans savoir ce qui va sortir du four. » explique-t-elle sur France Culture. Sans crainte des jugements acides et des projections de soupe, elle (s’)expose dans « Showing up », queue de comète du Festival de Cannes 2022 qui mérite plus qu’un simple coup d’œil. Lire la suite

HURLEMENTS

Bad moon rising

« Il entendit un grand bruit, et vit venir à lui une bête si horrible, qu’il fut tout prêt de s’évanouir. » 

Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, 1756

Après avoir pêché le « Piranha » pour Roger Corman, Joe Dante décide de hurler avec les loups dans « Hurlements ». « L’idée était de transposer dans les années 80 le personnage du loup-garou, qui était démodé et avait déserté les écrans à l’époque » explique-t-il dans Mad Movies. C’est donc très intelligemment, et avec la contribution de l’excellent scénariste et futur réalisateur John Sayles (comme lui tout juste émoulu de l’école Corman) qu’il transpose les thèmes vieillots de la lycanthropie dans le monde actuel sans toutefois se garder de puiser dans le folklore traditionnel. Lire la suite

BURNING DAYS

Les dolines de la terreur

« Ça suffit ! La parole est au peuple ! »

Slogan de campagne du Parti Démocrate turc, 1950.

La terre a soif, les jours sont secs. En turc on dit « Kurak Günler ». Dans la province de Konya, une des régions les plus arides du cœur de l’Anatolie, on observe ici et là des phénomènes troublants et inquiétants : le sol soudain s’effondre pour laisser place à un trou béant de plusieurs mètres de diamètre. C’est là que le réalisateur turc Emin Alper a choisi de planter la ville fictive de Yaniklar, bourgade de province asséchée par la corruption. Bientôt sur le grill des élections municipales, les « Burning Days » la font entrer dans une nuit sans fond. Lire la suite

Légitime Violence

Un seul bras les tua tous

« La première fois que j’ai vu « Légitime violence » avec ma mère et son compagnon Marco en 77, le jour de la sortie du film à Los Angeles, lors d’une double séance avec « Opération Dragon », putain j’ai été médusé. »

Quentin Tarantino, Cinéma Spéculations, 2023.

« Rolling Thunder » : nom de code des opérations de bombardement sur le nord Vietnam entre 1965 et 1972. Le titre tonne comme un déluge de feu. En France, le film est connu sous l’appellation « Légitime violence », réalisé par le méconnu John Flynn, cinéaste ayant déjà fait « Echec à l’Organisation », que Tarantino a toujours admiré et voulu réhabiliter. « Le film de John Flynn et la prestation de William Devane marquent la première fois où j’ai plongé dans la complexité d’un personnage en allant au-delà de ce qu’il y avait à l’écran. » écrit-il dans ses récentes confessions critiques. Car il y a, il est vrai, dans les éclaboussures de sang qui jalonnent ce pur récit de vengeance écrit par Paul Schrader, la plaie encore à vif du fiasco vietnamien dont on n’a alors pas fini de compter les victimes. Lire la suite

FLANDRES

Terres brûlées

« Le bois dont l’homme est fait est si courbe qu’on ne peut rien y tailler de tout à fait droit. La nature ne nous impose que de nous rapprocher de cette idée. »

Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, VIème proposition, 1784.

On ne peut comprendre la raison d’être des hommes qu’à travers les paysages dans lesquels ils évoluent. De cela, Bruno Dumont en est résolument convaincu. Après sa tentation américaine à « Twentynine Palms », le voici de retour sur sa terre primitive, dans les austères « Flandres » qui furent son berceau, matrice de son inspiration cinématographique. « … Ces souvenirs chauffent mon sang, pénètrent mes moelles… » écrivait le poète Emile Verhaeren. Ils éclairent ici un nouveau chapitre de ses chroniques à l’état brut, pour assister à l’accouchement des sentiments à lueur des temps barbares. Lire la suite

Le MONDE, la CHAIR et le DIABLE

Harry, un ami qui nous voulait du bien

« J’ai rapidement compris qu’Hollywood était le révélateur de ce qui n’allait pas dans notre société. »

Harry Belafonte, 2018.

Dans une célèbre scène du film « Beetlejuice » de Tim Burton, une tablée de gens bien comme il faut se met soudain à danser au rythme d’un mento jamaïcain, comme envoûtés par une voix venue d’ailleurs. Cette voix venue de l’au-delà résonne aujourd’hui d’outre-tombe en effet, car c’est celle du chanteur et comédien Harry Belafonte. Cette voix qui s’est éteinte, elle fut aussi celle des ouvriers noirs de la Jamaïque, celle de ses ancêtres. C’est aussi celle qui s’élevait pour la défense des droits civiques aux Etats-Unis. Durant de longues années, au côté de son ami Sidney Poitiers disparu il y a un peu plus d’un an, Belafonte mit sa notoriété au service de la cause militante, de la mixité des peuples et de l’antiracisme, et ce jusque dans le « Blackkklansman » de Spike Lee qui signera ses adieux au grand écran. Cet idéal, il l’incarna très tôt, notamment dans ce film honni des suprémacistes blancs : « Le Monde, La Chair et le Diable » de Ranald MacDougall. Lire la suite