SHOCK CORRIDOR

La tête contre les murs

« Un reporter n’est pas un dieu ! Il n’est même pas un magnétophone enregistreur, ni un appareil photo. Même une photo peut mentir. Il s’agit de questionner une ombre car le meurtrier est caché dans l’ombre. Il n’existe pas de photo d’un meurtrier : elle est toute noire. »

Samuel Fuller in « La machine à écrire, le fusil et le cinéaste » de Adam Simon, 1996.

Samuel Fuller est un cinéaste qui a toujours été en quête de vérité. Il est allé la chercher dans les poubelles, en tant que reporter des bas-fonds de New York et de San Diego. Il est allé la traquer sur les champs de bataille, au plus près de la mort, dans le sang versé sur les plages de Normandie, de Sicile et d’ailleurs. Il est allé l’apporter à Hollywood, au pays du mensonge, où il en a badigeonné ses films les plus noirs. Il en a tâté la chair avant de comprendre qu’il vivait dans un pays de cinglés, dans la rue sans issue qui s’arrête au « Shock Corridor ». Son film parle de cette quête obsessionnelle, de son pays schizophrène et des idées noires qui s’habillent de blanc. Lire la suite

Le Petit Soldat (reprise)

Le chien errant

« C’est un personnage qui semble fatigué d’être jeune, qui a le charme de la jeunesse et en même temps, déjà, la lassitude et le désenchantement. J’avais l’impression que cette fatigue ne venait pas seulement du personnage mais de Michel. Ça m’a beaucoup séduite. Quand on s’est rencontrés sur « Beau Travail », quarante ans plus tard, ça a été un choc. Il venait avec ce passé, encore imprégné du rôle de Bruno Forestier, dont il se rappelait par cœur chaque réplique. Mais j’aurais du mal à en dire davantage : Michel est un type secret, toujours sur le qui-vive, qui a horreur de dépendre des autres et qui donne parfois l’impression d’avoir envie de se fuir. Sur le plateau de « L’Intrus », il a captivé tout le monde, mais personne n’a voulu percer son mystère. Michel Subor n’est pas le personnage de « L’Intrus », il est L’Intrus. »

Claire Denis, Le Monde, 03.05.2005.

Michel Subor, « Le Petit Soldat » de Jean-Luc Godard, « L’Etau » de Hitchcock ou « La bride sur le cou » de Vadim, et bien sûr « L’Intrus » pour Claire Denis, est parti errer sur d’autres terres le 17 janvier 2022.

CARAMBOLAGES

Ni vu, ni connu

« Je traitais tous les conflits en espérant que pour le public, il en sortirait une exaltation révolutionnaire. »

Marcel Bluwal (25.05.1925 – 23.10. 2021)

Il n’aura pas droit à des obsèques nationales. Peut-être tout juste quelques entrefilets dans les médias. Moins populaire qu’un Tchernia, moins exposé qu’un Bellemare, Marcel Bluwal fut pourtant un des grands artisans de la télévision de cette époque pionnière, celle des Santelli, des Barma, tous ces esprits en ébullition qui rêvaient une télé intelligente, cultivée et insoumise. Du petit au grand écran il n’y a parfois qu’un simple pallier à traverser, que Marcel Bluwal franchit sans hésitation, lui qui avait fait ses armes comme cadreur pour le cinéma. Cela donnera « le Monte-charge » d’après Frédéric Dard, et surtout cet étonnant « Carambolages » à la distribution détonante et à la charge critique savoureuse. Lire la suite

JASON et les Argonautes

Mythomane

« Je chante ces mers sillonnées pour la première fois par les illustres fils des dieux, et le vaisseau fatidique qui, dirigeant sa course à travers les écueils mobiles, osa voguer à la recherche du Phase, en Scythie, et qui se reposa enfin dans l’Olympe étoilé. »

Valerius Flaccus, les Argonautiques, proème, Ier siècle après JC.

Être dans le secret des dieux. Voilà bien une chose à laquelle l’être humain a longtemps aspiré et que le cinéma a fini par rendre possible. Dans la mythologie grecque, les dieux ont créé les humains pour se divertir. Après les avoir modelés à son image, le roi de l’Olympe leur insuffla la vie. Ray Harryhausen ne fit pas autre chose lorsqu’il anima à son tour les créatures qui peuplent les aventures épiques de « Jason et les Argonautes » sous la caméra de Don Chaffey. Lire la suite