La RUPTURE

Au revoir

« La postérité ne retiendra rien de moi, nos sociétés sont sans mémoire. Mais je l’accepte sans difficulté. »

Valéry Giscard-d’Estaing in « VGE, le théâtre du pouvoir » de William Karel, 2002.

L’année où l’on célèbre De Gaulle, le troisième président de la Vème République expire son dernier « au revoir ». On ne compte plus les films ou les téléfilms qui se sont penchés sur les heures glorieuses du général micro. Bien moins héroïque, le septennat de VGE est le grand oublié de la fiction, jusqu’à ce que Laurent Heynemann ne revienne sur ces années où Giscard était à la barre, sur cette « Rupture » désormais historique entre un président et son Premier Ministre. Lire la suite

Le HOBBIT : La Désolation de Smaug

L’année du Dragon

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Dresse ta main contre lui,
et tu ne t’aviseras plus de l’attaquer.
Voici, on est trompé dans son attente ;
à son seul aspect n’est-on pas terrassé ?

Job 40:32-33

Bilbo, toujours un peu plus loin. « Le Hobbit » le plus célèbre de la Comté suit le chemin redessiné par le pinceau de Peter Jackson. Du côté des tolkiennistes purs et durs la vision de « la Désolation de Smaug » risque bien de faire encore grincer des dents, le barbu néo-zélandais n’hésitant plus désormais à mixer à sa guise des éléments prélevés aux quatre coins de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, d’en perturber la cohérence en mélangeant quelques feuilles de « l’Histoire de la Terre du Milieu » avec des éléments chronologiques tirés des appendices du « Seigneur des Anneaux ». Être adapté, c’est accepter d’être trahi, et Tolkien n’est plus là pour s’élever contre pareille injure faite à son œuvre. Mais on ne peut pas dire que le réalisateur se simplifie particulièrement la tâche en tentant d’assombrir le voyage picaresque et fabuleux de « Bilbo le Hobbit ». Lire la suite

Only LOVERS left ALIVE

Lunettes noires pour nuits blanches

"only lovers left alive"

« Les écrivains parlent de l’odeur douceâtre et fiévreuse de la mort alors que le premier camé venu te dira que la mort n’a pas d’odeur, et en même temps qu’elle exhale une odeur qui coupe le souffle et fige le sang… non-odeur sans couleur de la mort… nul ne peut la humer à travers les volutes roses et les filtres de sang noir de la chair… l’odeur de mort est tout ensemble odeur indiscutable et complète absence d’odeur… c’est cette absence qui frappe tout d’abord l’odorat parce que toute vie organique a une odeur… »

William S. Burroughs, le festin nu, 1959.

La nuit est un monde à part. Jim Jarmusch, ce « grand guépard blanc » (comme le décrit très joliment le journaliste Philippe Azoury) la connaît bien. Il la parcourt, l’explore, s’en inspire et l’injecte dans ses films. Filmant la lente pérégrination vers l’au-delà d’un mort en sursis ou bien la cavale en Noir & Blanc d’un trio de fugitifs pas piqués des hannetons, il aime à dire que tous ses films sont des films de vampires. « Only lovers left alive », tout en allitérations, l’est plus particulièrement parce qu’il met en scène d’authentiques suceurs de sang, des êtres millénaires qui préfèrent, comme leur auteur, aux lumières de la célébrité le discret anonymat de la vie la nuit. Lire la suite

IRON MAN 3

Patriote acte

ironpatriot

« Il s’avançait en lançant des javelots qu’il avait apportés quand il entendit du fond de la forêt venir cinq chevaliers qui avaient revêtu leur armure et s’étaient équipés de toutes leurs armes. Quand le jeune homme les aperçut, quand il vit les hauberts étincelants et les heaumes clairs et luisants, et les lances et les écus qu’il n’avait encore jamais vus, tout cela lui parut très beau et séduisant. »

Chrétien de Troyes, Perceval le Gallois, XIIème siècle

Débarquant juste avant la grande vogue du blockbuster en relief, le deuxième « Iron Man » n’avait pas profité des vertiges offerts par la troisième dimension virtuelle. Puis, le milliardaire à l’armure dorée s’est converti au procédé auprès de ses collègues « Avengers ». C’est donc plus rutilant encore qu’il revient pour clore son triptyque personnel sobrement baptisé « Iron Man 3 ». Le très contesté Jon Favreau (qui préférait alors jouer aux cow-boys et aux aliens) est mis sur la touche, prié d’aller se ressourcer en matant des épisodes de « Downtown Abbey », placé temporairement en coma artificiel. Il laisse le champ libre au trublion régressif Shane Black à la carrière jalonnée de collaborations prestigieuses (McTiernan notamment) le soin de rallier une cohorte de fans en transe. Voilà qui promet un peu de « Kiss kiss » mais surtout beaucoup de « bang bang » ! Lire la suite

Le conte de la PRINCESSE KAGUYA

L’adieu aux larmes

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« La joie de t’avoir connu
Est si vive, si profonde
Qu’elle pénètre tout mon être
Même au jour lointain
Où je ne saurai plus rien
Que vienne même le moment
Où ma vie prendra fin. »

Kazumi Nikaidô, La Mémoire de la Vie, 2013

« Si je fais ça, Paku va me remonter les bretelles, hein ? » Il s’appelait Isao Takahata, mais son compère Miyazaki l’appelait Paku. Il était l’autre Ghibli. C’est un véritable don du ciel qu’il nous a offert en guise d’adieu, un conte de lune et de larmes aux couleurs aquarellées, « le conte de la Princesse Kaguya ». Lire la suite

INSIDE LLEWYN DAVIS

No direction home

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« He was a friend of mine
He was a friend of mine
Never had no money
To pay for his fine
He was a friend of mine »    Traditionnel

Dans l’effervescence du prix remporté par « La vie d’Adèle » à Cannes en 2013, on en aurait presque oublié le Grand Prix du Jury décerné aux familiers du festival : Joel et Ethan Coen. Après leur adaptation à succès du « True Grit » de Charles Portis, les frangins repartaient dans une autre direction, plus intime, plus sépulcrale aussi. On les retrouvait « Inside Llewyn Davis », sur les traces d’un chanteur folk emporté dans une sorte de spirale infernale. Lire la suite

Le VENT se LEVE

S’il te plaît, dessine-moi un avion…

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« Moi, tu le remarques bien, je ne parle guère le français. Pourtant, avec toi, je préfère cette langue à la mienne, car pour moi, parler français, c’est parler sans parler, en quelque manière, sans responsabilité, ou, comme nous parlons en rêve. »

Thomas Mann, La montagne magique, 1924.

Dans toute sa carrière, Hayao Miyazaki aura peut-être eu un seul regret, celui de n’avoir jamais porté à l’écran son livre favori : « le Petit Prince ». Cette « histoire d’aviateur écrite par un aviateur » et d’un enfant tombé du ciel dans le désert saharien (là où souffle le « ghibli », ce vent chaud baptisé ainsi par les pilotes italiens durant la Seconde Guerre Mondiale) aurait épousé à merveille la fantaisie de celui qui bâtit des châteaux dans le ciel et chorégraphia les voltiges d’un pilote d’hydravion à tête de cochon. Au crépuscule de sa carrière, il préfère se poser sur le sol de son pays natal, raconter en pointillés une trentaine d’années de la vie de celui qui, faute de pouvoir chevaucher les nuages, dessina des machines volantes destinées à d’autres. Lire la suite

The IMMIGRANT

A nous la liberté

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« Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre. » Fiodor Dostoïevski.

« Dans la douceur de la nuit, mon attitude se modifia et je commençai à comprendre l’Amérique : les gratte-ciels, les lumières gaies et étincelantes, les extraordinaires enseignes lumineuses m’emplirent soudain d’espoir et d’un sens de l’aventure. Voilà, me dis-je, c’est ici qu’est ma place. »

Charles Spencer Chaplin, histoire de ma vie, 1964.

L’histoire des mouvements de population est vieille comme le monde. Alors qu’ils sont aujourd’hui encore des milliers à naviguer vers l’espoir d’un avenir meilleur, quittant la terre qui les a vu naître pour une autre pas toujours prête à les adopter, ils n’étaient pas moins nombreux à se presser comme du bétail à l’entrée du port de New York dans les années 20, comme en témoignent les reconstitutions superbes que James Gray a composées pour « The Immigrant ». Lire la suite

JOURNEYS

Hey, hey, bye bye

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« Je me suis littéralement retrouvé à la naissance du rock blanc, et j’ai grandi avec lui. Parfois, quand j’avais une vingtaine d’années, il m’arrivait, avec mes amis, de rouler en voiture en mettant la musique à fond, et je me demandais ce que nous pourrions bien écouter une fois la soixantaine venue. Et il s’avère que nous écoutons toujours du rock’n’roll. Je me demandais quand je cesserais d’aimer cette musique, mais ce n’est jamais arrivé, c’est une relation à vie. »

Jonathan Demme, pour le Vif.be, 2015

« There is a town in North Ontario… » Au regard des premières images de Neil Young au volant de sa Ford Crown Victoria de 1956, reviennent en mémoire ces paroles extraites d’un titre de son premier album solo et qui lui valurent son surnom de Loner : « Vous comprendrez quand vous le verrez, rien ne peut le libérer, faites un pas de côté, laissez le champ libre, c’est un solitaire. » Bien des cinéastes sont tombés amoureux de cette voix et de sa guitare, tels Jim Jarmusch qui consacra un rockumentaire à son groupe Crazy Horse, ou Jonathan Demme qui s’y est repris à trois fois pour faire le tour du sujet. Depuis sa première collaboration avec Neil Young pour le générique de « Philadelphia », le réalisateur s’est passionné pour ce musicien si fertile, qui a su traverser sans ciller les modes musicales et influencer bien des artistes sur plusieurs générations. Après « Heart of Gold » et « Neil Young Trunk Show », « Journeys » constitue pour Demme la troisième captation scénique du Loner.  Lire la suite

The WOLVERINE : le combat de l’immortel

Nagasaki, mon amour

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« — Mais pourquoi tomberait-il dans un piège ?

— Ce n’est pas tout à fait cela. Cela a trait à la nature humaine, voilà tout. Au fond, les gens ne sont pas forts, mais faibles. Et la solitude n’est pas leur état naturel, surtout quand s’y ajoute le fait d’être entouré d’ennemis et cernés de sabres. »

Eiji Yoshikawa, La Pierre et le Sabre, 1935

On l’a d’abord cru définitivement grillé. Empoisonné par les lubies de producteurs peu scrupuleux puis enterré vivant par un Gavin Hood contemplant ses restes pourrissants dans la fosse commune des nanars super-héroïques. Mais tout lecteur de Marvel sait bien que « Wolverine » est indestructible, toujours debout pour mener « le combat de l’immortel ». Pour son retour en solo, Hugh Jackman s’était forgé un corps d’adamantium, preuve qu’à cette renaissance, il croyait dur comme le métal chromé qui recouvre son squelette. Il s’en remettait alors au bon vouloir d’un cinéaste digne de ce nom : James Mangold. Lire la suite