Toute la Beauté et le Sang versé

Goldin years

« C’est une drôle de chose que la vie – ce mystérieux arrangement d’une logique sans merci pour un dessein futile. Le plus qu’on puisse en espérer, c’est quelque connaissance de soi-même – qui vient trop tard -, une moisson de regrets inextinguibles. »

Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, 1899.

Son prénom est Nancy, mais tout le monde l’appelle Nan. C’est comme ça depuis très longtemps. Et depuis très longtemps Nan Goldin imprime sa vie en polaroïds, pour soigner ses blessures, pour soutenir ses combats. Il fallait bien alors qu’elle croise la trajectoire artistique de Laura Poitras. Après Snowden en « Citizenfour » oscarisé, après le « Risk » d’Assange, c’est au tour de Nan Goldin de clamer en place publique « Toute la beauté et le sang versé », portrait d’une portraitiste qui unit lutte pour la justice et désordres de l’intime, film documentaire salué par un Lion d’Or amplement mérité. Lire la suite

Mon CRIME

Jusqu’où iront-elles ?

« C’est ignoble de tuer… mais ça fait vivre tellement de monde. »

Dans « La Poison » de Sacha Guitry, 1951.

François Ozon est un cinéaste qui peut être difficile à suivre. Tous les genres lui conviennent, il aime brouiller les pistes. Passant le plus naturellement du monde d’un grave sujet de société à une revisite de Fassbinder, d’un mélodrame de sortie de guerre en Noir et Blanc à un psychodrame paranoïaque en couleur, d’une ode musicale à la gloire des grandes comédiennes à un thriller romanesque autour d’une piscine, bien malin celui ou celle qui saura cerner ce qui se cache sous le sable de ses désirs. Ce qui fait évidence toutefois, c’est bien son amour inconditionnel du cinéma, une passion parfois sulfureuse qui ne lui aura pas attiré que des faveurs. Alors que la fine fleur des actrices s’accorde avec la crème des acteurs pour lui renouveler leur confiance, voici qu’il revendique « Mon Crime », et s’en remet une fois encore au verdict du public. Lire la suite

EMPIRE of LIGHT

Mirage de la vie

« Light, seeking light, doth light of light beguile ;
So ere you find where light in darkness lies,
Your light grows dark by losing of your eyes. »

William Shakespeare, Peines d’amour perdues, 1595-1596.

Quand les lumières se rallument et que le rideau se ferme, on trouve toutes sortes de choses dans une salle de cinéma. Il y a des gens qui pleurent, il y en a d’autres qui dorment, ou qui veulent juste rester au chaud. Il paraît même qu’il y en a qui meurent en regardant les images – Boris Vian en sait quelque chose. Les allées du ciné, c’est un monde à part qui s’éveille dans le noir, c’est la cour des miracles du septième art. C’est à cet « Empire of Light » que Sam Mendes a voulu rendre hommage, en se penchant non pas sur l’écran, mais en passant derrière, glissant un œil en coulisse, à la rencontre de toutes ces petites mains qui se serrent les coudes, qui mélangent les couleurs pour nous les rendre plus belles. Lire la suite

The FABELMANS

Young Mister Spielberg

« Les créateurs dans les domaines de l’art ou de l’architecture, les gens qui font du cinéma, écrivent des romans ou font des pièces de théâtre, restituent un ensemble de sensations et d’impressions, provenant de leurs souvenirs antérieurs. […] Dans mon cas, je trouve mon inspiration dans tout ce qui constitue mon être profond, et ce depuis l’année de ma naissance, à Cincinnati dans l’Ohio. En quelque sorte, j’ai accumulé la poussière et le pollen de mes expériences depuis l’instant où je suis né… »

Steven Spielberg cité par Tony Crawley dans « L’aventure Spielberg », 1983.

Devenir cinéaste, à quoi ça tient ? Un peu de pellicule, une petite caméra, un peu d’astuce, beaucoup d’imagination et un entourage conciliant, tout cela aide mais ne fait pas tout. Pour devenir cinéaste, il faut une rencontre, un évènement marquant, une collision qui vous conduit tout droit « Sous le plus grand chapiteau du monde ». C’est là que Steven Spielberg situe l’acte de naissance de sa vocation, et c’est par là qu’il débute « The Fabelmans », un « autobiopic » qui ne dit pas son nom mais qui a bien du mal à rester caché derrière la caméra. Lire la suite

La FAMILLE ASADA

Tu veux sa photo ?

« Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. »

Henri Cartier-Bresson

On dit parfois que le cinéma est une grande famille, voilà peut-être pourquoi certaines familles ont du succès sur les écrans. En France, on a connu les atypiques « Bélier », éleveurs muets dotés d’une fille chanteuse. Au Japon, il y a désormais « La famille Asada », dont le petit dernier a un tout autre talent : celui de redonner le sourire avec des images. Son parcours étonnant a tapé dans l’œil de Ryōta Nakano qui s’est chargé de mettre sa vie en boîte avec une joie communicative. Lire la suite

BABYLON

Cinéma inferno

« Elle : pardonnez-moi, ne seriez-vous pas Dick Powell ?
Lui : si, c’est bien moi.
Elle : Je me demandais si vous me… Je pensais que peut-être (sanglots)
Lui : Allons, allons… Que se passe-t-il ?
Elle : Oh, vous ne comprendriez pas. Hollywood vous a toujours souri !
Lui : Qu’entendez-vous par là ? (…) »

Babylone, capitale antique de la Mésopotamie, symbole de la démesure qui aboutit à son effondrement. On a longtemps prédit le même sort à la Mecque du cinéma, grand parc d’attraction de l’industrie du septième art dont les quatre dernières lettres ont depuis belle lurette dégringolé des hauteurs d’Hollywood. Après avoir chanté les louanges et les désillusions du « La La Land », Damien Chazelle entend dévoiler les fondations de cette nouvelle « Babylon » noyée dans un film fleuve qui, à vouloir trop embrasser, bien mal étreint son art chéri. Lire la suite

TIRAILLEURS

Un front trop loin

« Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort,
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’arme, votre frère de sang ? »

Léopold Sédar Senghor, Hosties Noires, 1948.

Quand on se promène à Reims aujourd’hui, à l’ombre des bouleaux et des grands chênes du Parc de Champagne, on tombe sur une statue qui attire le regard. Elle rend hommage à ces soldats venus de loin, portant bravement le drapeau de nos couleurs et la tenue de nos poilus, figures figées dans un bronze noir symbole de deuil et de la couleur de leur peau. Si d’aventure on se promène à Paris, et qu’on s’attarde sous l’Arc de Triomphe, qui se soucie en voyant brûler la flamme du soldat inconnu, de savoir si ce combattant venait des Landes, de Corse ou du Mali. Mathieu Vadepied propose de projeter l’ombre des « Tirailleurs » sur ce lieu de mémoire en partant sur les traces de l’un de ces déracinés de la Première Guerre Mondiale. Lire la suite