The QUEEN

Never explain, never complain

« Life is very long when you’re lonely »

The Smiths, The Queen is Dead, 1986

C’est l’histoire d’un pilier. Le pilier d’une nation, celui qui maintient l’unité des peuples, qui porte la couronne. « To you, she was your Queen. To us she was « The Queen ». Ainsi s’est exprimé le président français à l’adresse du peuple britannique en deuil, reprenant à son compte le titre du film de Stephen Frears. Mais de quelle reine parlait-t-on alors ? Vingt-cinq ans avant sa mort, presque jour pour jour, une Mercedez noire filant à tombeau ouvert est venue s’encastrer sous un pont de Paris, emportant ad patres un milliardaire égyptien et une reine des cœurs. Le choc fit vaciller le pilier, ouvrit une fissure, qui tourna bien vite à la fracture entre ceux qui réclamaient des funérailles en grande pompe et celle qui pensait que show must go on. Lire la suite

The GRAND BUDAPEST HOTEL

Un Air de Panache

« On peut se sacrifier pour ses propres idées, mais pas pour la folie des autres. »

Stefan Zweig, La Contrainte, 1927.

Dans la famille très encombrée des Anderson qui occupent le premier plan du cinéma actuel (qui va de P.T. à P.W.S.), Wes est sans doute celui qui possède l’identité visuelle la plus remarquable. « The Grand Budapest Hotel » répond en effet à tous les critères de reconnaissance imposés par sa marque de fabrique : comédie à l’humour très cérébral, goût prononcé pour les décors miniatures et les looks surannés, couleurs criardes, scénario foisonnant trempé dans une loquacité sophistiquée doublé d’un sens très astucieux des mouvements d’appareil. C’est grosso modo autour de ces quelques termes que se définit le petit monde de Wes Anderson. Lire la suite

J’ACCUSE

L’honneur d’un capitaine

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« – En tous cas, si ce monsieur Dreyfus est innocent, interrompit la Duchesse, il ne le prouve guère. Quelles lettres idiotes, emphatiques, il écrit de son île ! Je ne sais pas si M. Esterhazy vaut mieux que lui, mais il a un autre chic dans la façon de tourner les phrases, une autre couleur. Cela ne doit pas faire plaisir aux partisans de M. Dreyfus. Quel Malheur pour eux qu’ils ne puissent pas changer d’innocent. »

Marcel Proust, la recherche du temps perdu, tome 3 « le côté de Guermantes », 1920-21.

Cette année, le cinéma n’en finit plus d’agiter l’opinion. Après le problématique « Joker » qui souffle sur les braises du malaise social ambiant, un autre lauréat de la Mostra vénitienne vient secouer le monde médiatique suite à de nouvelles révélations à charge. « J’accuse » clame le titre du film de Roman Polanski, comme une réplique, un pavé jeté dans la mare croupissante de l’antisémitisme latent qui éclabousse notre époque. Depuis, Venise est engloutie sous les eaux, les médias s’indignent, les ligues se déchaînent, le tribunal populaire rend sa justice, et Polanski en prend pour son grade. Mais qui sauvera l’honneur de son magistral réquisitoire ?

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Les frères SISTERS

Notre Père

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« Alors aujourd’hui, un western, c’est quoi ? Pour simplifier, on peut distinguer deux tendances. D’un côté un versant néo-classique – Appaloosa, Open Range – des films qui ont pour principe de réactiver une mythologie, avec une certaine révérence envers les archétypes, les paysages etc. Et de l’autre, l’approche d’un Tarantino : ironie, ultra-violence, application des codes de violence du cinéma contemporain sur le western. Nous sommes allés vers une troisième voie, il me semble : le western apaisé. »

Jacques Audiard

Depuis que chevaux et chapeaux sillonnent les vastes plaines du western américain, on en aura croisé des bandes de tueurs sanguinaires, des hordes sauvages assoiffées d’or et de sang. Au Far-West, la liberté se laisse conquérir plus aisément lorsqu’on la chasse à plusieurs. Aux tribus indiennes préexistantes se substitue peu à peu l’autorité clanique du colonisateur. Qu’ils s’appellent James, Earp, ou « les Frères Sisters » du film de Jacques Audiard, leur réputation fait immédiatement frémir celui qui essaierait tant bien que mal de leur barrer la route. Lire la suite

L’ÎLE aux CHIENS

Loyal canin

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Voici les récits que racontent les Chiens quand le feu brûle clair dans l’âtre et que le vent souffle du nord. La famille alors fait cercle autour du feu, les jeunes chiots écoutent sans mot dire et, quand l’histoire est finie, posent maintes questions :
« Qu’est-ce que c’est que l’Homme ? » demandent-ils.

Clifford D. Simak, Demain les chiens, 1952.

Comme dans un haïku, il y a quelque chose d’ineffable dans le cinéma de Wes Anderson. Il est fait de cette même essence poétique, parfois déroutant mais toujours paré d’évidence. Cet univers d’auteur s’impose dès que l’on pose le pied sur « l’île aux chiens », petit bijou d’orfèvrerie japonisant qui se présente comme un conte cynophile à savourer image par image. Lire la suite