NIGHTMARE ALLEY

Esprit, es-tu là ?

« Telling lies (oh, I’m visionary, oh, I’m visionary)
I’m telling lies (feels like something’s gonna happen this year) »

David Bowie, Telling lies in « Earthling », 1997.

Dans une bouteille de cristal, ou peut-être lors d’un crise de délire, le dipsomane W. L. Gresham l’a vu. Il a vu le bonimenteur, le corrupteur, « le Charlatan ». Une ombre sombre est apparue au fond de la ruelle du cauchemar, elle a depuis recouvert l’Amérique, l’a emportée par les urnes. Edmund Goulding fut le premier à mettre en images cette prophétie. Mais peu de gens à l’époque ont voulu la croire. Guillermo del Toro fait la même en couleur, dans un style à la mesure de son prestige, celui du grand moissonneur d’Oscar qu’il fut avec « la Forme de l’eau ». « Nightmare Alley » est un vieux projet qu’il met enfin en scène, très imbibé de son modèle mais, à bien des égards, hanté par les démons d’aujourd’hui. Lire la suite

LICORICE PIZZA

Once upon a time… in Encino

« I wake up on the other side (send my love, send my tears)
Wondering, « was I just dreamin’ ? » (wavin’ back to my fears)
(City of mine)
Was I just dreamin’ ? »

Haim, Los Angeles, in « Women in music Pt III », 2020.

Prenez une galette de réglisse, creusez des sillons dans lesquels vous semez quelques graines d’amour ramassées sous le « July Tree » de Nina Simone, ajoutez un peu de Jim Morrison, de Paul McCartney, de David Bowie et laissez venir Blood, Sweat & Tears, puis emballez le tout dans les arpèges de Jonny Greenwood, et vous obtiendrez une délicieuse « Licorice Pizza » façon Paul Thomas Anderson : un film qui a le goût de San Fernando Valley, des années lycées, des mini-jupes à fleurs d’oranger, des boulevards bordés de palmiers. Un film qui sent l’été toute l’année, un film qui court après le temps passé. Lire la suite

A Star is Born (2018)

Rock’n’roll suicide

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« But I think more than I ought to think
Do things I never should do
I drink much more that I ought to drink
Because it brings me back you »

James H. Shelton, Lilac Wine, 1950.

« Cette histoire est faite pour être racontée tous les vingt ans. »

Barbra Streisand

A Hollywood comme ailleurs dans le monde spectacle, la célébrité aspire à l’éternel retour, histoire de prolonger la gloire d’un dernier quart d’heure. Mais en guise d’ultime tour de piste, c’est parfois un retour de bâton. Les films sont comme les artistes, ils ne renoncent jamais, ils font l’objet de revisites, de reprises, de variations sur un même thème. Les arrangements changent, la mélodie reste : « A Star is Born », et on démarre une autre histoire. La réalisation dans une main, le médiator dans l’autre, Bradley Cooper tente une ballade sentimentale sur le devant de la scène, longin’ for a change, pour mieux faire fondre son cœur de rockeur sous les vibratos d’une Lady dont il serait Gaga.

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AVENGERS : Endgame

Les héros meurent aussi

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« Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir (un temps). Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas. »

Samuel Beckett, Fin de Partie, 1957.

« Zeus, donne-lui ton trône. Il y a un vrai patron parmi les dieux maintenant. »

Joann Sfar, hommage à Stan Lee

On les avait laissés vaincus, traumatisés, dissous aux quatre coins de la galaxie, dans la sidération la plus absolue face à ce terrifiant constat d’échec : les héros n’ont pas toujours gain de cause. A la fin d’« Avengers : Infinity War », un titan fou adepte du new deal universel, un dieu auto-proclamé aux pouvoirs infinis tenant le destin de la création au revers de son gant avait, en un claquement de doigts, remporté le match, obtenu satisfaction. C’était fait, plié, page tournée, ashes to ashes, « Avengers : Endgame », à moins qu’Anthony et Joe Russo n’aient trouvé un moyen de rejouer la partie. Lire la suite

La MULE

Dans le jardin du bien et du mal

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« Le souvenir que je garde d’Eastwood, c’est celui de sa veine temporale, sur la partie droite du front (…) La veine temporale d’Eastwood fait partie de son charme, lui donne plus de caractère. A chaque nouveau film, j’attends impatiemment l’évolution de cette veine. »

Luc Moullet in « Clint Eastwood, un géant à Hollywood », les Inrocks2, 2011.

La dernière fois qu’on l’avait vu dans un de ses films, c’était entre quatre planches, alors qu’il remisait au garage sa « Gran Torino » et mettait en scène ses propres funérailles. Mais la veine de Clint Eastwood palpite encore. Le papy se relève pour faire « la Mule », change sa vielle Ford pour un pick-up Lincoln Mark LT laqué noir, et doux, dur, dingue, redémarre « on the road again ». Lire la suite

AVENGERS : Infinity war

Mauvaises nouvelles des étoiles

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« Cependant, à d’innombrables années-lumière de là, aux marges de l’infini, une voix se fait entendre :
– ça va mal ! La Mort a un bien meilleur jeu que nous, Lord Chaos ! Nous devons lancer nos derniers atouts !
– Nous donneront-ils la victoire, Master Order ? Thanos n’a encore jamais eu un jeu aussi fort ! »

Jim Starlin, to duel a mad god, Marvel two-in-one annual #2, 23/08/1977.

Voilà dix ans maintenant que le Marvel Cinematic Universe a entamé sa grande saga, semant de film en film, de cycle en cycle, les petits et gros cailloux qui conduisent au grand ramdam débarquant sur les écrans : « Avengers : infinity war ». Première mi-temps d’un affrontement cataclysmique dont l’enjeu n’est ni plus ni moins que la survie de l’univers, il ne fallait pas moins de deux réalisateurs pour mettre en ordre de bataille cette monumentale fresque composite faite d’éléments épars. Reste à savoir qui de Anthony ou Joe Russo saura le mieux recoller les morceaux. Lire la suite

AMERICAN SNIPER

 

Unforgiven

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Après les lourdeurs pachydermiques d’un biopic politique, et une petite récréation musicale finalement pas désagréable, Clint Eastwood se replace dans la ligne de mire de la polémique avec « American sniper ». De fait, il réveille les vieux démons réactionnaires qui indignaient en leur temps le landerneau de la critique et se plaisaient à fasciser à outrance son « Inspecteur Harry ». Les mêmes ressortent ici l’artillerie lourde pour faire feu à volonté sur celui qui a osé honorer le parcours d’un tireur d’élite des Forces Spéciales (« J’ai péché tout au long de ma vie. Quand je serai auprès de Dieu, je devrai lui parler d’un tas de choses. Mais tuer ces gens n’en fera pas partie. » déclarait de son vivant le vétéran, ce qui donne une idée du personnage), engagé qui plus est sur un terrain des plus mal considérés (la guerre en Irak dénoncée par Moore dans « Fahrenheit 9/11 »). Lire la suite

Les GARDIENS de la GALAXIE

 

Un raton dans l’espace

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De plus en plus, l’univers cinématographique de Marvel ressemble à un puits sans fond. C’est comme un trou noir, pareil à celui qui, au centre de la voie lactée, engloutit toute forme de matière et de lumière : il aspire, broie et digère tous les talents qui passent à sa portée. Depuis que Bryan Singer a retrouvé le génome originel des super-héros au début des années 2000, cet univers n’a plus cessé son expansion, augmentant toujours plus ses budgets jusqu’à atteindre une rentabilité record en réunissant l’armada de ses petits soldats au sein des « Avengers ». Afin d’animer cette spirale tentaculaire de héros aux capacités toujours plus impressionnantes, la maison mère n’a pas hésité à recruter tous azimuts : des vieux spielbergiens nourris de nostalgie commémorative (Joe Johnston pour « Captain America : first Avenger ») comme des gardiens du temple shakespearien (Kenneth Branagh qui s’est pris le marteau de « Thor » en pleine poire), pour privilégier dans sa phase 2 des recrues formatées à l’écriture plus télévisuelle (Alan Taylor et Joss Whedon en particulier). Captées par l’onde gravitationnelle de la maison Mickey au sourire crispé, toutes ces précieuses étoiles exigeaient d’être dûment protégées par « les Gardiens de la Galaxie ». Lire la suite