L’AVENTURE de Mme MUIR

Gene génie

« Quand j’ai vu le film pour la première fois, j’ai compris que rien n’est plus concret, je dirais plus physique, plus charnel que l’émotion et je ne me suis pas trompée car voyez-vous, plus de trente ans plus tard, il me suffit d’évoquer quelques images du long métrage pour ressentir un état d’exaltation tel que celui qui m’avait envahie à sa vision. »

Dominique Sanda, Les Cahiers du Cinéma n°700, mai 2014.

Lorsque la nuit est tombée et l’obscurité a envahi la maison, la simple idée de croiser un fantôme déclenche un frisson que la raison ne peut contenir. Mais il suffit pourtant de songer qu’un revenant peut être autrement plus bienveillant que quantité de vivants pour que toute forme de crainte disparaisse. Dans « l’Aventure de Mme Muir » narrée par Joseph Leo Mankiewicz, on se prend même à souhaiter que les fantômes existent pour qu’ils nous enrobent dans notre sommeil de quelques embruns venus du large. Lire la suite

La VIE est BELLE

Et si tu n’existais pas ?

« Ils perdirent l’Etoile un soir. Pourquoi perd-on
L’Etoile ? Pour l’avoir parfois trop regardée… »

Edmond Rostand, les Rois Mages, 1922

Noël autorise tous les miracles. Celui d’un monde soudainement apaisé, rendu calme et serein par l’opération du saint esprit. Il suffit d’un instant de grâce pour que « les Bonnes Etoiles » de Kore-eda nous soufflent à l’oreille « Merci à toi d’être né » et redonne alors de l’importance à un idéal que l’on a cru vain. Il suffit qu’un ange passe, et puis « la Vie est Belle ». Elle l’est surtout grâce à Franck Capra qui, au sortir de la guerre, inscrit ce chef d’œuvre qu’il serait blâmable d’ignorer en période de fête, et même criminel d’oublier le restant de l’année. Lire la suite

PREY

Pas une gueule de porte-bonheur

« Qu’importe le danger
Je l’affronterai
Qu’importe le nombre de flèches
Je les traverserai
Mon cœur est viril ! »

Chant du guerrier Crow

Depuis les fameux trophées rapportés sur son île par le Comte Zaroff dans les années 30, le cinéma rouvre périodiquement la saison de la chasse à l’homme. Un de ces jeux les plus dangereux reste peut-être celui qui opposa le « Predator » tombé du ciel à un groupe de mercenaires surarmés et lourdement testostéronés dans un film primal et remarqué signé John McTiernan. La Terre étant devenue son terrain de chasse privilégié, nombreux furent les giboyeurs à vouloir le croiser à toutes les sauces et même à d’autres espèces. Le dernier en date se nomme Dan Trachtenberg, réalisateur connu pour son très confiné « 10 Cloverfield Lane ». Suivi de près par les grands manitous de la Fox, il part à la conquête des Grandes Plaines, à la rencontre du grand « oiseau-tempête » et d’une jeune Indienne dont il espère faire une « Prey » plus consistante que les précédentes. Lire la suite

Le CAUCHEMAR de DRACULA

Gothique flamboyant

« Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans couroux,
Qui, privez, complaisans et doux,
Suivent les jeunes demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles.
Mais, hélas ! qui ne sçait que ces loups doucereux
De tous les loups sont les plus dangereux ! »

Charles Perrault, Le Petit Chaperon Rouge, 1697

On a souvent une vision du monstre assez réductrice : hideux, difforme, effrayant, pathétique, il n’inspire souvent qu’un sentiment d’horreur auquel se mêle parfois un semblant de pitié. Il est toutefois des monstres plus agréables à l’œil, élégants et racés, séduisants à croquer. Les vampires britanniques de Terence Fisher sont de cette jugulaire. Ils inspirent des désirs inavoués, ils s’abreuvent de pensées indicibles, ils se damnent pour un dernier soupir. C’est le genre d’horreur sublime qui hante « le Cauchemar de Dracula », premier coup de dent aux conventions, que traversent à tombeau ouvert Peter Cushing et Christopher Lee. Lire la suite

The NeverEnding Story

L’histoire prend fin

« Si quelqu’un me demandait si je me sentais comme un artiste, j’aurais un sentiment étrange, parce que je ne sais pas vraiment. Qu’est-ce qu’un artiste ? C’est peut-être quelqu’un qui produit quelque chose de beaucoup plus intime qu’un film, plus comme un compositeur, un écrivain ou un peintre. 
Ma passion, c’est de raconter une histoire. »

Wolfgang Petersen (1941 – 2022)

Mais qui est donc le petit garçon qui regarde avec tendresse ce dragon volant à tête de gros chien assoupi ? Derrière ce personnage d’Atreyu créé par Michael Ende pour son roman jeunesse « L’Histoire sans Fin », il y avait un grand armateur d’imaginaire. Wolfgang Petersen n’était peut-être pas le Mozart du septième art, mais il avait un goût certain pour les voyages en cinéma, capable de transporter le spectateur depuis les rivages homériques jusqu’aux confins de l’univers, et cela même « en Pleine Tempête ». Lire la suite

INCROYABLE mais VRAI

It’s all trou

« Curiosité n’est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler. »

Blaise Pascal, Pensées, 1670.

Les multivers of madness de Quentin Dupieux se suivent à un rythme soutenu et se ressemblent parfois. Après la série animalière peuplée de « Daim » et de mouche à « Mandibules », il décide de se pencher sur une autre espèce assez curieuse : l’être humain. Pour ce faire, le tandem d’hurluberlus laisse place au vieux couple : il déménage avec Alain Chabat et Léa Drucker dans un pavillon pas banal. Pas question de voler dans le sens du vent quand on a une cervelle d’Oizo, dans le monde à l’envers du réalisateur, il faut s’attendre à assister à plus d’un phénomène « Incroyable mais vrai ». Lire la suite

The NORTHMAN

Hel fest

« Regardez comme il me dévisage. S’il n’a pas été enfanté par un noir bélier pendant la pleine lune, mon nom n’est pas Ragnar. »

Ragnar dans « Les Vikings » de Richard Fleischer, 1958.

Sonnez l’alarme, et faites résonner le cor, les Vikings sont de retour et ils ont bien l’intention d’écumer les salles obscures. On les a d’abord vu accoster nos écrans dans une série canadienne signée Michael Hirst. Pendant ce même temps, des dieux Asgardiens autrement plus bling-bling jouaient les foudres de guerre dans l’univers cinématique de la Marvel. Robert Eggers les a vus lui-aussi, perché sur son « Lighthouse » de sinistre mémoire. Né d’une vision éthylique ou fruit d’une étrange réalité archéologique, « The Northman » déterre la hache de la vengeance, il ne sera pas tendre avec les têtes de bois. Lire la suite

PEAU d’ÂNE

Comme par enchantement…

« La situation mérite attention. »

La Fée des Lilas.

Il était une fois Jacques Demy. Reconnu aujourd’hui comme un grand créateur, il existe encore bon nombre de cinéphiles allergiques à ses films rose bonbon. C’est pourtant en assimilant l’œuvre de ses modèles revendiqués (Cocteau, Ophuls et les Musicals américains) qu’il élabora un style bien à lui : ses féeries enchanteresses devront se tourner en chanson. Se préférant parolier plus que dialoguiste, Demy a pu compter sur une moitié musicale de premier plan, une « fontaine de musique » qui s’appelait Michel Legrand. Souvent décrié pour ses choix formels et ses mélodies suaves, Jacques Demy parvient à créer un consensus en filmant le conte de Perrault « Peau d’Âne ». Parce qu’il est d’abord réalisé à l’intention d’un public jeune, auprès duquel les parents sont invités à retrouver leur âme d’enfant, Demy réussit à faire accepter ses fameuses mélopées gracieuses, nous invitant à suivre avec attention « les conseils de la fée des Lilas » et les étapes de « la fabrication du cake d’amour ». Lire la suite

Les ETERNELS

Tombés du ciel

« L’éternité c’est long… surtout sur la fin. »

Woody Allen (entre autres)

Les dieux existent, ils vivent parmi nous. C’est en tout cas un fait admis dans le monde merveilleux de Marvel. Voilà des lustres que le studio nous éclaire sur l’existence de titans aux pouvoirs cosmiques qui se sont coalisés pour défendre notre espèce. Malgré la fin de partie sifflée par les Avengers, il fallait bien que la Maison des Idées trouve d’autres guerres à mener. Elle s’est alors tournée vers un nouvel âge mythologique, l’espérant apte à relancer la machine à profit. De son chapeau rempli de costumes, elle sort « les Eternels », entités créées il y a près d’un demi-siècle par Jack Kirby dans les cases d’une bande dessinée bon marché. Les voici désormais entre les mains de Chloé Zhao, chargés d’apporter la bonne parole à l’humanité, mais les nouvelles ne sont pas forcément bonnes. Lire la suite

ERASERHEAD

Dans la brume électrique

« Parfois les idées, comme les hommes, surgissent pour nous dire bonjour. Elles se présentent, ces idées, avec des mots. Sont-ce des mots ? Ces idées parlent d’une façon si étrange.
Tout ce que nous voyons dans ce monde s’inspire des idées de quelqu’un. Certaines idées sont destructrices. D’autres sont constructives. Certaines idées viennent parfois sous la forme d’un rêve.
Je peux le répéter. Certaines idées viennent parfois sous la forme d’un rêve. »

Introduction de la Dame à la Bûche, Twin Peaks, saison 1 épisode 2, 1990.

La pellicule est une matière impressionnable. Elle capte les grains de lumière, les capture dans ses cristaux, pour finalement se révéler, après avoir été trempée dans un liquide adéquat, dans la pleine expression de son mystère. Il se trouve que, placée entre les mains d’un génie de l’image, elle devient aussi une matière impressionnante. C’est le cas lorsqu’apparaît, teinté de Noir et de Blanc, saisi dans un halo de poussière, « Eraserhead », le titre d’un film-personnage envoûté par l’esprit de David Lynch, invitation à un voyage au bord du subconscient. Lire la suite