LIMBO

Infernale affaire

« Une société toujours plus malade, mais toujours plus puissante, a recréé partout concrètement le monde comme environnement et décor de sa maladie, en tant que planète malade. »

 Guy Debord, La planète malade, 1971

L’inspecteur Ren a mal aux dents. Une dent de sagesse le fait atrocement souffrir, sûrement parce que l’humanité en a fini d’être sage, justement. Le film « Limbo » que réalise avec une maestria ébouriffante le hongkongais Soi Cheang, est l’adaptation d’un roman du chinois Lei Mi intitulé « dent de sagesse ». Pas un dentiste en vue derrière les monceaux de détritus qui encombrent les ruelles de l’ancienne colonie britannique, paysage apocalyptique dans lequel se débattent deux flics, une indic, et un serial killer. Lire la suite

Une BALLE dans la TÊTE

Entre le ciel et l’enfer

« La honte et l’honneur s’affrontent là où le courage de l’homme résolu est aussi bigarré que la pie. Mais un tel homme peut toutefois être en joie, car le Ciel et l’Enfer ont en lui part égale. »

 Wolfram von Eschenbach, Parsifal, 1882.

Le 1er février 1968, le photoreporter Eddie Adams traîne son Nikon dans les rues de la capitale vietnamienne. Une arrestation plus loin, il déclenche l’obturateur et immortalise la suprême expression de la brutalité d’une guerre : l’exécution en direct d’un prisonnier par un officier de l’armée régulière. « Une balle dans la tête » : l’acte sidère, sommaire et définitif, radical comme l’est le film de John Woo. Ce cliché, le réalisateur Hongkongais l’a forcément vu car il le reproduit quasi à l’identique dans le contexte d’un conflit qui lui permet de régler ses comptes. Lire la suite

Un seul bras les tua tous

L’arme à gauche

« Mon domestique n’a peut-être qu’un seul bras, mais il sait très bien s’en servir. »

L’aubergiste dans « La rage du tigre » de Chang Cheh, 1971.

Le sabre est une arme noble. Dans la Chine médiévale comme ailleurs, pouvoir en faire usage, en connaître le maniement expert est réservé aux meilleurs, en général à ceux de la caste supérieure. Mais à la Shaw Brothers, on offre du spectacle populaire, celui qui galvanise les foules et s’affranchit des contraintes morales. Et lorsque l’on tendit cette arme au réalisateur Chang Cheh, celui-ci s’en empara avec vigueur et affirma avec autorité que « un seul bras les tua tous ». Lire la suite

Le retour de l’HIRONDELLE D’OR

Angry bird

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« L’épée au côté, je marche solitaire,
Le Roc, bel oiseau, plane haut vers les nuages.
L’univers est vaste, où est ma maison ?
Ô mon Hirondelle, où as-tu fait ton nid ? »

L’hirondelle est un migrateur, elle aime voir du pays. Mais toujours elle retrouve le chemin de sa maison. « L’hirondelle d’or » a fait fortune de par le vaste pays de Chine, rien d’étonnant alors que l’on annonce deux ans plus tard « le retour de l’hirondelle d’or ». Son réalisateur mécontent s’est envolé vers Taïwan, mais l’actrice principale n’a pas quitté le nid, bien au Shaw dans sa cage. Chang Cheh, chargé de la surveiller, lui a trouvé de la compagnie, un oiseau blanc en quête d’amour, mais dévoré par la rage qu’il a au fond du cœur. La trahison est un poison qui nécessite un puissant antidote. L’Hirondelle d’or qui fait son retour doit être réapprivoisée.

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TIME and TIDE

Feu à volonté

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« Il avait beau se projeter sur la droite avec toute son énergie, à chaque fois il basculait en arrière, sur le dos. Il essaya peut-être cent fois, en fermant les yeux pour ne pas être obligé de voir le frétillement des pattes, et il ne s’arrêta qu’au moment où soudain il se sentit au flanc une douleur inconnue, légère et sourde. »

Franz Kafka, la métamorphose, 1915

« Plus vite ! Tu es trop lent ! Plus vite ! »

Fei Lung dans « The Blade », 1995.

Le temps presse, la vague reflue. « Time and Tide » sont les deux mots que Tsui Hark inscrit au titre de son come-back au sein d’une production hongkongaise déclinante. Ils disent l’urgence, la sienne, et les revers d’une cité parvenue à son point de bascule. Cinéaste du chaos autant que frénétique inventeur de formes, il replonge dans l’enfer des armes, jetant toute ses forces dans la bataille sans se soucier des dégâts collatéraux. Il en sortira rincé, fourbu, mais il aura produit une œuvre essentielle et terminale, le dernier diamant noir d’une fin de siècle en lambeaux. Lire la suite

Le FESTIN CHINOIS

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« Son expérience des préparatifs d’une fête était limitée. Un livre de cuisine à la main, il se concentra sur les recettes indiquées comme faciles. Même celles-là prenaient un temps considérable, mais des plats colorés apparurent l’un après l’autre sur la table, ajoutant à la pièce un agréable mélange d’arômes. »

Xiaolong Qiu, Mort d’une héroïne rouge, 2000.

« Bien manger, c’est atteindre le ciel. » Proverbe chinois.

En matière de torture comme d’art culinaire, cela fait maintenant des siècles que la culture chinoise s’est enrichie d’une inventivité hors-pair. A l’approche des festivités du Nouvel An Lunaire de 1995, au moment de mettre les comédies de saison aux fourneaux, le producteur Raymond Wong a passé les commandes : il s’en remet à ce grand cuisinier de l’action qu’est Tsui Hark pour illuminer « le festin chinois ». Le banquet s’annonce relevé, cuit à pleine vapeur, il y en aura pour tous les goûts et de toutes les couleurs. Lire la suite

L’HIRONDELLE d’OR

La dame oiselle et le clochard

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« L’Hirondelle d’or est mon premier choc au cinéma. C’est une nouvelle manière d’envisager le cinéma d’action. »

John Woo

En Orient, lorsque s’impose le choix des armes, la main se porte soit sur le sabre, soit sur l’épée. Le premier est l’apanage des samouraïs japonais, maîtres du chambara qui ne dégainent que pour tuer. La seconde est l’arme du guerrier de l’Empire du Milieu, lame légère qui plane sur les zéphires du Wu xia pian. En Chine, s’il est un nom emblématique du film de chevalerie, c’est bien celui de King hu. Sous l’égide des mythiques studios Shaw Brothers, il s’envole vers les cimes du succès sur les ailes de « l’Hirondelle d’or ». Lire la suite

VENGEANCE

Où vas-tu Johnny ?

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« J’étais fasciné par ses yeux, qui, lorsqu’on les voit, sont d’un bleu incroyable. »

Johnnie To

Quand Johnnie a rencontré Johnny, ensemble ils fomentèrent une histoire de « Vengeance ». Johnnie To avait imaginé son film comme le troisième volet d’une trilogie dite « des tueurs associés » entamée avec « the mission » et « exiled ». Faute de Delon, son Costello prenait alors l’allure de notre idole nationale, particulièrement classe dans ce costard de samouraï melvillien. Lire la suite

DRUG WAR

 

Avec armes et violence

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Après plus de cinquante films réalisés au sein de l’ex-colonie, le Hongkongais Johnnie To s’aventure un peu plus loin en Chine. Ce mètre étalon des films action y situe son dernier coup de maître intitulé « Drug War ». Aucun trompe-l’œil, le titre annonce cash le contenu de l’heure trois quart qui va défiler, sans temps mort, sous nos yeux. Lire la suite