MAD GOD

De profundis

« Pas un souffle de voix, pas un battement d’aile
Ne remuera dans l’ombre et notre citadelle
Sera comme une tour plus noire que la nuit. »

Victor Hugo, Ad Majorem Dei Gloriam in « Les Châtiments », novembre 1852.

Au cours du IIème siècle de notre ère, dans ses Périégèses, le voyageur Pausanias rapporte un détail troublant de sa visite à Panopée, en Phocyde. Il dit avoir mis la main sur des débris argileux ayant l’odeur humaine, sans doute faits de la glaise qui servit à Prométhée pour créer l’humanité. Ces antiques croyances remontent à la surface lorsqu’un autre voleur de feu dévoile la vision de son monde intérieur, fruit de longues années de labeur et de passion. Dans « Mad God », Phil Tippett, Prométhée délivré, ravive la flamme de l’animation stop-motion, insuffle la vie dans des corps façonnés par lui-même, et nous invite à contempler une certaine idée du chaos, une space odyssée entre enfer et damnation que n’aurait sans doute pas reniée Jérôme Bosch. Lire la suite

HURLEMENTS

Bad moon rising

« Il entendit un grand bruit, et vit venir à lui une bête si horrible, qu’il fut tout prêt de s’évanouir. » 

Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, 1756

Après avoir pêché le « Piranha » pour Roger Corman, Joe Dante décide de hurler avec les loups dans « Hurlements ». « L’idée était de transposer dans les années 80 le personnage du loup-garou, qui était démodé et avait déserté les écrans à l’époque » explique-t-il dans Mad Movies. C’est donc très intelligemment, et avec la contribution de l’excellent scénariste et futur réalisateur John Sayles (comme lui tout juste émoulu de l’école Corman) qu’il transpose les thèmes vieillots de la lycanthropie dans le monde actuel sans toutefois se garder de puiser dans le folklore traditionnel. Lire la suite

TERRIFIER

Crazy clown time

« L’essence du cinéma gore et de l’horreur en général, c’est de tomber par hasard sur un film qui vous fait dresser les poils et lever de votre fauteuil. (…) Chaque jour, un nouveau fan décide de prendre une caméra pour réaliser ce qui pourrait bien être le prochain grand évènement du genre. »

Tom Savini, préface du hors-série de Mad Movies « Il était une fois la révolution Gore », juillet 2014.

Coulrophobie : peur excessive et irrationnelle des clowns. Le terme est récent mais le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Le personnage censé faire le bonheur des enfants a suscité une certaine méfiance dès lors quelques chroniqueurs du XIXème siècle ont mis au jour la nature perverse de quelques assassins dissimulés sous le fond de teint de l’amuseur de piste. Il y eut Tabarin et puis Paillasse dans un siècle désormais lointain, et surtout le sinistre clown Pogo dans les années 70 sous le masque duquel on découvrit l’abominable tueur en série John Wayne Gacy. Largement de quoi alimenter la machine à fantasmes d’un écrivain comme Stephen King, ou de réalisateurs adeptes de pitreries sanguinolentes. Le dernier en date se nomme Damien Leone, et il compte bien nous « Terrifier » en rouvrant le cirque des horreurs. Lire la suite

VAMPIRES

Alive after death

« Au fond, tous les films fantastiques cherchent à exprimer les émotions humaines. Une créature venant de l’espace par exemple, symbolise la part de ce qu’est le mal en nous. Les vampires aussi sont les figures du mal humain. Il s’agit toujours de fabriquer des métaphores dans une forme plus populaire et divertissante. »

John Carpenter

Un soleil ardent, un désert à perte de vue, une végétation rare et une chaleur suffocante, les « Vampires » de John Carpenter n’ont visiblement pas choisi l’endroit le plus ombragé pour commettre leurs méfaits. On sait le réalisateur amateur de transgression, prompt à faire valser les codes, et il ne s’en privera pas dans cette adaptation du rugueux roman de John Steakley qui dépoussière le mythe en l’arrosant d’une bonne dose d’hémoglobine, d’alcool, de sexe et de « Bloody Sam ». La messe passe en mode western, et la chasse au mort-vivant promet des cris et de la terreur, mais surtout du sang et des armes. Lire la suite

Le CAUCHEMAR de DRACULA

Gothique flamboyant

« Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans couroux,
Qui, privez, complaisans et doux,
Suivent les jeunes demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles.
Mais, hélas ! qui ne sçait que ces loups doucereux
De tous les loups sont les plus dangereux ! »

Charles Perrault, Le Petit Chaperon Rouge, 1697

On a souvent une vision du monstre assez réductrice : hideux, difforme, effrayant, pathétique, il n’inspire souvent qu’un sentiment d’horreur auquel se mêle parfois un semblant de pitié. Il est toutefois des monstres plus agréables à l’œil, élégants et racés, séduisants à croquer. Les vampires britanniques de Terence Fisher sont de cette jugulaire. Ils inspirent des désirs inavoués, ils s’abreuvent de pensées indicibles, ils se damnent pour un dernier soupir. C’est le genre d’horreur sublime qui hante « le Cauchemar de Dracula », premier coup de dent aux conventions, que traversent à tombeau ouvert Peter Cushing et Christopher Lee. Lire la suite

NOPE

Cowboy et envahisseur

« Dans la société américaine, lorsque vous êtes noir, le danger peut venir de n’importe quel endroit, à n’importe quel moment. Je me suis toujours demandé ce que des Noirs américains feraient devant une soucoupe volante, ils diraient : « Nope. » »

Jordan Peele in Le Monde, 7 août 2022.

S’arrêter un instant, lever la tête et contempler les nuages. Là-haut, le spectacle est permanent, vertige de formes en mouvement, univers de l’imaginaire et des idées passagères, céleste promesse d’espoir sur fond bleu ou sombre monde grondeur habité par des forces hostiles. « Watch the sky » disait-on dans un vieux film de SF, comme si, dans ce vingtième siècle nucléaire, l’humanité devait désormais prendre garde à ce qui nous tombe du ciel. Le comique Jordan Peele prend cette stranger « Thing » très au sérieux, se méfiant des images toutes faites sans renoncer au plaisir des yeux. A la fatalité il dit « Nope ». Lire la suite

Les CRIMES du FUTUR

Organe de toi

« Nous vivons une époque radicale, mon garçon. Vous ne la sentez pas ? Vous devez exagérer avec l’époque, exagérer jusqu’au point de rupture. »

David Cronenberg, Consumé, 2016.

Depuis maintenant des années, tel le personnage à l’esprit dérangé de son « Spider », David Cronenberg n’a eu de cesse de tendre des fils entre ses films, de tisser la toile d’une œuvre singulière, autant par la forme que sur le fond du sujet. Il n’aura eu de cesse de chercher la profondeur, d’explorer l’être humain, cette machine molle chère à Burroughs, soumise à la déformation et aux affres de l’usure des ans. Renouant avec le producteur de « Crash », puis de « eXistenZ », il a exhumé un script de vingt ans d’âge, lui a donné le titre d’un de ses premiers métrages, et contemple l’avenir avec circonspection, nous rend complices d’une performance à corps ouvert qu’il a intitulée : « les Crimes du Futur ».  Comme disait Allegra Geller dans « eXistenz » : « it’s gonna be a wild ride… » Lire la suite

BONE TOMAHAWK

Du sang dans la plaine

« Bettinger avala une cuillerée de soupe.
– Ouais.
– Vous mangez épicé ?
– ça me maintient éveillé.
– J’y ai mangé une fois. C’était très bon, mais mon trou de balle m’a dit « jamais plus ». »

S. Craig Zahler, Exécutions à Victory, 2014

Quand on erre dans le désert, depuis trop longtemps, on finit par se retrouver le ventre creux. Pas un animal à portée de Winchester, pas le moindre gibier de potence à se mettre sous la dent. Seul veille le chant des tribus ancestrales porté par le vent, celles qui peuplaient jadis cette terre avant d’être effacées par la civilisation. A moins qu’il ne s’agisse d’un cri de ralliement, celui d’un prédateur vorace qui s’apprête à passer à table. La caméra dans une main, le « Bone Tomahawk » dans l’autre, c’est S. Craig Zahler qui régale. Dans la Vallée des Affamés, le repas est servi. Lire la suite

TITANE

La boule au ventre

« Le corps déformé de la jeune infirme, tout comme les corps déformés des automobiles accidentées, révélaient les possibilités d’une sexualité entièrement nouvelle. »

James G. Ballard, Crash, 1973

Il faut s’y habituer, lorsqu’on aborde une œuvre signée Julia Ducournau, il faut s’attendre à être remué. Son précédent film « Grave » avait marqué la pellicule, croquait le cinéma avec une rage bestiale tout en faisant rimer cinéma d’auteur avec film d’horreur. La jeune cinéaste a décidé de s’écarter encore un peu plus de la voie centrale, de prolonger l’exploration des chairs, du sexe, des identités variables et des corps inflammables en implantant une plaque de « Titane » sous la peau de son éprouvant nouveau film, histoire de voir de quel métal les gens sont faits. Lire la suite

SE7EN

Meet John Doe

« Or, voici quel a été le crime de Sodome, ta sœur : l’orgueil d’être bien repue et d’avoir toutes ses aises s’est trouvé en elle et en ses filles, et elle n’a pas soutenu la main du pauvre et du nécessiteux. Elles ont été hautaines, elles ont commis des abominations devant moi, et je les ai supprimées quand j’ai vu cela. »

Le Livre d’Ezechiel, chapitre 16, verset 49.

« Oh mon dieu ! Mais qu’est-ce qu’on a fait ? Qu’est-ce qui se passe ? » Brad Pitt se souvient de sa réaction après les premières projections-test de « Seven », s’adressant à son réalisateur David Fincher. Des films noirs, des scènes de crime, des assassins à l’imagination tordue, on en a pourtant croisé bon nombre sur les écrans de la Fox. Mais il faut bien avouer que celui imaginé par le scénariste Andrew Kevin Walker dépasse en perversité et en abomination tout ce qui a pu être montré jusqu’ici. Il pousse les portes d’un véritable cabinet de curiosités dans lequel s’exposent avec une troublante obscénité toutes les douleurs du vice. Lire la suite