Les CRIMES du FUTUR

Organe de toi

« Nous vivons une époque radicale, mon garçon. Vous ne la sentez pas ? Vous devez exagérer avec l’époque, exagérer jusqu’au point de rupture. »

David Cronenberg, Consumé, 2016.

Depuis maintenant des années, tel le personnage à l’esprit dérangé de son « Spider », David Cronenberg n’a eu de cesse de tendre des fils entre ses films, de tisser la toile d’une œuvre singulière, autant par la forme que sur le fond du sujet. Il n’aura eu de cesse de chercher la profondeur, d’explorer l’être humain, cette machine molle chère à Burroughs, soumise à la déformation et aux affres de l’usure des ans. Renouant avec le producteur de « Crash », puis de « eXistenZ », il a exhumé un script de vingt ans d’âge, lui a donné le titre d’un de ses premiers métrages, et contemple l’avenir avec circonspection, nous rend complices d’une performance à corps ouvert qu’il a intitulée : « les Crimes du Futur ».  Comme disait Allegra Geller dans « eXistenz » : « it’s gonna be a wild ride… » Lire la suite

A History of Violence

La mort du roi William

« Un bon acteur est un outil puissant, c’est comme un accélérateur de particules. Un acteur met une hypothèse en marche, il la fait vibrer jusqu’à l’exploser, jusqu’à lui faire dépasser la matière, atteindre l’infini. Quand ça se produit, c’est extraordinaire, mais si fragile : on n’en garde jamais que le reflet sur un écran. »

William Hurt – 20.03.1950 / 13.03.2022

« Jesus, Richie », se désole son frère Joey incarné par Viggo Mortensen, en lui adressant un dernier regard. Il est là, étendu sur le sol, les bras en croix, une auréole de sang se formant sous sa tête. William Hurt est mort, et ça fait tout drôle. Il n’était pourtant pas une star, pas un incontournable des tabloïds, pas un pilier de cérémonies, mais un acteur humble au contraire, de ceux que l’on apprécie de trouver au hasard d’un blockbuster (Secrétaire d’Etat pour l’univers Marvel, chef de « Village » pour Shyamalan), ou faisant pleinement valoir son talent dans un film indépendant (survivant « jusqu’à la fin du monde » chez Wenders, aristocrate hongrois chez Julie Delpy, écrivain noyant son chagrin dans la fumée de Wayne Wang, mari infidèle chez Woody Allen), quand il ne décroche pas, tout simplement, un Oscar et un prix à Cannes (« le baiser de la femme araignée » en 1985). William Hurt, c’était une carrière riche, mais surtout une valeur sûre, une figure tutélaire, un acteur élégant, un monarque précieux de l’arrière-plan. Reclus dans son antre des environs de Philly, il hante par son absence le refoulé de « A History of Violence », le grand film noir de David Cronenberg. Et lorsqu’enfin il apparaît, c’est un festival. Lire la suite

SE7EN

Meet John Doe

« Or, voici quel a été le crime de Sodome, ta sœur : l’orgueil d’être bien repue et d’avoir toutes ses aises s’est trouvé en elle et en ses filles, et elle n’a pas soutenu la main du pauvre et du nécessiteux. Elles ont été hautaines, elles ont commis des abominations devant moi, et je les ai supprimées quand j’ai vu cela. »

Le Livre d’Ezechiel, chapitre 16, verset 49.

« Oh mon dieu ! Mais qu’est-ce qu’on a fait ? Qu’est-ce qui se passe ? » Brad Pitt se souvient de sa réaction après les premières projections-test de « Seven », s’adressant à son réalisateur David Fincher. Des films noirs, des scènes de crime, des assassins à l’imagination tordue, on en a pourtant croisé bon nombre sur les écrans de la Fox. Mais il faut bien avouer que celui imaginé par le scénariste Andrew Kevin Walker dépasse en perversité et en abomination tout ce qui a pu être montré jusqu’ici. Il pousse les portes d’un véritable cabinet de curiosités dans lequel s’exposent avec une troublante obscénité toutes les douleurs du vice. Lire la suite

CRASH

Auto-destruction

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« Le plaisir violent fait craquer la troisième,
Nos pieds se touchent à grande vitesse,
Accélère, je viens. »

Daniel Bevilacqua dit Christophe, « on achève bien les autos », 2001.

« C’est satisfaisant de voir que votre film ne laisse pas indifférent, qu’il bouleverse, qu’il affecte. »

David Cronenberg in Les Cahiers du Cinéma n°767, juillet/août 2020.

C’est l’été, le soleil cogne, le moteur chauffe dans les entrailles de la machine. On décapote, la sueur glisse sur le cuir humide du coupé sport, on se laisse conduire et, dans un élan d’extase, on se finit en « Crash » sur le film de David Cronenberg. Entre littérature et cinéma, entre Ballard et Godard, on ne sait trop quelle voie choisir, au « Mépris » du danger. Cronenberg déboîte vers la glissière d’insécurité, la plus scabreuse assurément au risque de voir la bretelle de l’échangeur déboucher sur l’orgasme cinéphile. Lire la suite

Le HOBBIT : la bataille des cinq armées

Clash of clans

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– Quelles que soient tes volontés, je ne les suivrai en rien. Non, maintenant, je vais chevaucher jusqu’à ton repaire, et prendre pour moi le grand trésor de tes parents.
– Vas-y maintenant, alors, dit Fafnir, et tu trouveras assez d’or pour toute la durée de ta vie. Que cet or fasse ton malheur, et le malheur de tous ceux qui le posséderont un jour.

Völsunga saga, Cycle de Sigurðr, XIIIème siècle.

Nous y voici, enfin. « Ainsi vient la neige après le feu, et même les dragons ont une fin » nous dit Maître Sacquet dans le livre. Treize années après avoir usé, pour le pire et le meilleur, le rêve de millions de lecteurs admirateurs de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, Il était grand temps pour Peter Jackson de jeter ses dernières forces dans la bataille. « The Hobbit : la bataille des cinq armées », dernier volet de ce qui aurait dû être une saga bipartite, se doit de combler les attentes en assurant un spectacle hors-norme, et apporter la preuve définitive qu’il fallait nécessairement allonger le métrage envisagé au départ. Mais pour autant, sortirons-nous grandis et rassasiés de cette orgie de batailles rangées ? Lire la suite

Le HOBBIT : La Désolation de Smaug

L’année du Dragon

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Dresse ta main contre lui,
et tu ne t’aviseras plus de l’attaquer.
Voici, on est trompé dans son attente ;
à son seul aspect n’est-on pas terrassé ?

Job 40:32-33

Bilbo, toujours un peu plus loin. « Le Hobbit » le plus célèbre de la Comté suit le chemin redessiné par le pinceau de Peter Jackson. Du côté des tolkiennistes purs et durs la vision de « la Désolation de Smaug » risque bien de faire encore grincer des dents, le barbu néo-zélandais n’hésitant plus désormais à mixer à sa guise des éléments prélevés aux quatre coins de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, d’en perturber la cohérence en mélangeant quelques feuilles de « l’Histoire de la Terre du Milieu » avec des éléments chronologiques tirés des appendices du « Seigneur des Anneaux ». Être adapté, c’est accepter d’être trahi, et Tolkien n’est plus là pour s’élever contre pareille injure faite à son œuvre. Mais on ne peut pas dire que le réalisateur se simplifie particulièrement la tâche en tentant d’assombrir le voyage picaresque et fabuleux de « Bilbo le Hobbit ». Lire la suite

Le HOBBIT : un voyage inattendu

Holm, sweet Holm

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« Farewell, dear Bilbo. Safe travels, darling Ian. »

Peter Jackson

Des abysses cosmiques traversés à bord du Nostromo à la grande saga du « Seigneur des Anneaux », tant d’univers ont été visités par Ian Holm, acteur magique à l’œil étincelant ! Beaucoup se souviendront de lui fumant la pipe à l’orée de son trou, dans un coin reculé de la Comté de Tolkien. Grâce à Peter Jackson, il était devenu Bilbo, « Le Hobbit » inventé par un universitaire, un vétéran de la Grande Guerre qui lui-même avait vécu « un voyage inattendu ». Mais déjà, dans cette seconde trilogie, il était un Bilbo fatigué, laissant à Martin Freeman le soin d’explorer pour lui la Terre du Milieu. Maintenant qu’à tout jamais il a fermé les yeux, il est plus que temps de refaire en son nom cet « unexpected journey ». Lire la suite