Your NAME

Le joyau dans le ciel

« Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom »

Paul Eluard

« Pourquoi ces larmes ? » Dès lors que Miyazaki et Takahata eurent décidé de mettre un terme à leur carrière artistique (Takahata disparaîtra deux ans plus tard, quant à Miyazaki, l’avenir laisse entrevoir de bonnes nouvelles), les fanas de la firme au Totoro avaient le moral dans la vallée du vent. Aucun des successeurs présumés des grands maîtres du studio Ghibli n’avait su se montrer à la hauteur de leurs spirituels modèles. Et puis un jour de la fin août 2016, le public nippon a vu débouler sur l’horizon de la Japanime une comète tout à fait inattendue. Elle laissa pleuvoir dans son sillage des débris incandescents, pareils aux étoiles qui filaient aux pieds de la Sophie du « Château ambulant » qui, apercevant son Hauru redevenu petit garçon donnant naissance à Calcifer, leur avait lancé : « Hauru ! Calcifer ! Attendez-moi, je vous promets de revenir. Attendez-moi dans le futur ! » Alors, le public nippon s’est dit que ce rendez-vous pris il y a plusieurs années allait enfin se concrétiser, prendre la forme d’un nouveau chef d’œuvre. En voyant ce bolide joliment peint fendre l’azur, et retomber en pluie d’étoiles arc-en-ciel sur un crépuscule en feu, les insulaires spectateurs se pressèrent devant l’écran pour lui demander son nom (« Your name » ?) Il répondit qu’il n’était ni Miyazaki, ni Takahata, mais Makoto Shinkai, et qu’il allait leur offrir ce moment de bonheur tant espéré. Lire la suite

SUZUME

Elle et son chat

« Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s’en rendre maîtres. Ils ont nommé cela le Progrès. C’est un progrès accéléré vers la mort. »

 René Barjavel, Ravage, 1943.

« Bonnes Etoiles » et galaxie rose bonbon brillent dans le ciel de Makoto Shinkai depuis le succès fracassant de son long métrage d’animation « Your Name », il y a sept ans déjà. Séismes à répétition et réveil des dieux ancestraux frappent le sol de « Suzume », son nouvel animé qui a de nouveau raflé la mise au Japon, et s’est frayé une place en compétition officielle dans les griffes de l’Ours berlinois. Celui qu’on a peut-être abusivement appelé « le nouveau Miyazaki » n’en finit plus de conquérir les cœurs cinéphiles et les amateurs de fééries amoureusement dessinées à la pointe des pinceaux, d’enchanter la planète de chants et de couleurs à l’aube des catastrophes annoncées. Lire la suite

BELLE

A la recherche de la nouvelle star

« Avec du temps et du courage, il n’est point d’infortune qu’on ne puisse vaincre. »

Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, 1756

Un autre monde, certains en rêvent. Aujourd’hui, cet autre monde est possible, conçu par de brillants cerveaux et développé dans les circuits de silicium des supercalculateurs. En octobre 2021, Mark Zuckerberg rebaptise son empire « Meta », diminutif du Métavers dans lequel il compte bien aspirer tout ou partie de l’humanité. Quelques mois plus tôt, sortait sur les écrans nippons « Belle » de Mamoru Hosoda, célèbre conte revisité à l’ère des mondes virtuels et des réseaux sociaux. L’artiste japonais crée pour l’occasion son propre métavers : U, diminutif de Universe, façonné aux couleurs du XXIème siècle et projetant les ambitions de Zuckerberg dans une dimension vertigineuse. Lire la suite

PAPRIKA

Dreamception

« Le cinéma, c’est choisir de rêver. »

Satoshi Kon

On peut dire qu’en matière de rêves, le Japonais Satoshi Kon s’y entendait. Apparu dans les salles obscures de l’Hexagone au moment de la vogue éphémère pour l’anime nippon (dans le sillage de Miyazaki, d’Otomo et d’Oshii avec qui il affûta ses crayons et sa palette graphique), cet ancien mangaka était venu confirmer avec « Perfect Blue » que le dessin animé venu d’extrême orient pouvait donner à voir autre chose que les bagarres intergalactiques de Goldorak. Les dessins de Kon vont dès ses débuts chercher à questionner le réel, faire sauter les verrous étanches entre les mondes. Son ultime long métrage, « Paprika », est un film incroyable, un songe abyssal, une immense rêverie de fin de nuit, de celles dont on se souvient sans être sûr d’en être vraiment sorti. Lire la suite

La FAMILLE ASADA

Tu veux sa photo ?

« Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. »

Henri Cartier-Bresson

On dit parfois que le cinéma est une grande famille, voilà peut-être pourquoi certaines familles ont du succès sur les écrans. En France, on a connu les atypiques « Bélier », éleveurs muets dotés d’une fille chanteuse. Au Japon, il y a désormais « La famille Asada », dont le petit dernier a un tout autre talent : celui de redonner le sourire avec des images. Son parcours étonnant a tapé dans l’œil de Ryōta Nakano qui s’est chargé de mettre sa vie en boîte avec une joie communicative. Lire la suite

Les BONNES ETOILES

Baby blues

« Petit baigneur
Fait des longueurs à longueur d’odyssée
Brasse petit verni
A bras raccourcis
Brasse petit gabarit »

Alain Bashung, ode à la vie, 1998.

Il est né le divin enfant. Et ils sont nombreux à se pencher sur son berceau. En guise de rois mages, le cinéaste japonais Kore-eda Hirokazu lui a dégoté trois pieds nickelés qui vont le balader à travers le pays. Après avoir clamé sa « Vérité » chez les Français, il a suivi « les Bonnes Etoiles » qui l’ont mené vers les rives des Matins Calmes. Il y a recruté une belle poignée de stars made in Korea car, lorsqu’il est question de famille et d’aventures, plus on est de fous et moins la vie est dure. Lire la suite

ONODA, 10 000 nuits dans la jungle

En première ligne pour la Patrie

« Je croyais sincèrement que le Japon ne se rendrait jamais tant qu’un seul Japonais serait encore en vie. Et réciproquement, si un seul Japonais était encore en vie, le Japon ne pouvait s’être rendu. Après tout, c’était là le serment mutuel que nous, les Japonais, avions fait. »

Hirō Onoda, Au nom du Japon, La Manufacture des livres, 2020.

Comme chacun le sait, passé la guerre de Troie, Ulysse et ses compagnons ne purent rentrer tout de suite à bon port, les dieux en avaient décidé autrement. Le destin du lieutenant Hirō Onoda au sortir de la Seconde Guerre Mondiale ne fut pas très différent. Isolé sur une île, condamné à poursuivre la lutte éternellement avec une poignée d’hommes, il vécut tel Ulysse loin de son foyer. Longtemps considéré dans son pays comme une légende, devenu une sorte de mythe vivant à son retour à la civilisation, il est fort étrange qu’aucun cinéaste ne se soit penché sur son sort. C’est désormais chose faite grâce au Français Arthur Harari qui nous fait partager, dans « Onoda, 10 000 nuits dans la jungle », l’odyssée d’un soldat égaré. Lire la suite

MIRAÏ, ma petite sœur

Il était un frère

« Vivre avec des enfants donne beaucoup d’inspiration : avant c’était des livres, des films, des conversations qui me poussaient vers la création. Aujourd’hui, le temps que je passe avec mes enfants, à jouer avec eux, à leur apprendre des choses, à les gronder même, eh bien, tout cela m’apporte quelque chose d’unique en termes d’inspiration. »

Mamoru Hosoda dans Mad Movies n°302, décembre 2016.

Depuis qu’il a fondé sa propre maison de production, les affaires prospèrent et la filmographie s’agrandit pour Mamoru Hosoda. Après « Ame et Yuki, les enfants loups », après « le Garçon et la Bête », voici qu’arrive directement de la maternité, « Miraï, ma petite sœur », dernière-née du studio Chizu (en attendant l’arrivée de sa « Belle » par chez nous). Toujours une histoire de famille, une source d’inspiration inépuisable pour cet amoureux d’Ozu et de Takahata. Lire la suite

BABY CART : Le Territoire des Démons

La Voie du Loup

baby-cart-5---le-territoire-des-demons

« Ainsi s’avance Ogami, le regard ultra-concentré ne fixant que le sol. Mais, heureusement, Daigoro, son fils, ouvre constamment les yeux sur le monde et transfigure les combats les plus sanglants en un spectacle, notre spectacle, étincelant. »

Jean Douchet, La DVDéothèque de Jean Douchet, 2006.

La pratique du sabre-laser dans les galaxies très lointaines nous ramène parfois vers des régions de notre planète pour le moins inattendues. Les lames les plus affûtées auront sans doute perçu dans les aventures du fameux mercenaire « Mandalorian » et de son vert compagnon aux longues oreilles quelques éclats de western à la sauce samouraï semblables à ceux qui ébréchaient naguère la tradition du film de sabre japonais. Dans les années 70, en compagnie du « loup solitaire » Ogami Itto et de son « louveteau » Daigoro, on pouvait traverser « Le territoire des démons » comme d’autres aujourd’hui le font de planète en planète. Tel est le cinquième volet de la série Baby Cart, mis en scène comme les trois premiers par l’incomparable Kenji Misumi, ultime coup de grâce avant de passer l’arme à gauche. Lire la suite

Une affaire de famille

Nobody knows

une_affaire_de_famille_3

« Quand tout va bien, on suit son chemin sans trop penser à ceux qui vous accompagnent, mais quand tout va mal, quand on se sent dans une mauvaise voie, surtout quand on est vieux, c’est-à-dire sans foi dans le lendemain, on a besoin de s’appuyer sur ceux qui vous entourent et on est heureux de les trouver près de soi. »

Hector Malot, Sans Famille, 1878

« C’est l’histoire d’une famille, l’histoire d’un homme qui tente d’assumer son rôle de père et, plus encore, le récit initiatique d’un jeune garçon. »

Kore-eda Hirokazu

Être né quelque part pour celui qui y est né est toujours un hasard. Mais qui n’a pas rêvé un jour de pouvoir choisir ses parents ? Cette idée a sans doute traversé plusieurs fois l’esprit du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda, lui qui grandit entre mère et sœurs, marqué par le souvenir d’un père régulièrement absent. Devenu cinéaste, il en fait « Une affaire de famille », thème récurrent qui traverse une œuvre reconnue, un fait de société qui devient même le titre d’un film couronné d’une Palme d’Or et gratifié d’un accueil critique très largement élogieux. Lire la suite