LIMBO

Infernale affaire

« Une société toujours plus malade, mais toujours plus puissante, a recréé partout concrètement le monde comme environnement et décor de sa maladie, en tant que planète malade. »

 Guy Debord, La planète malade, 1971

L’inspecteur Ren a mal aux dents. Une dent de sagesse le fait atrocement souffrir, sûrement parce que l’humanité en a fini d’être sage, justement. Le film « Limbo » que réalise avec une maestria ébouriffante le hongkongais Soi Cheang, est l’adaptation d’un roman du chinois Lei Mi intitulé « dent de sagesse ». Pas un dentiste en vue derrière les monceaux de détritus qui encombrent les ruelles de l’ancienne colonie britannique, paysage apocalyptique dans lequel se débattent deux flics, une indic, et un serial killer. Lire la suite

REIMS POLAR jour 5 : Borderline + les Complices + Palmarès

Gardés à vue

« Mon père dit qu’un homme est la somme de ses propres malheurs. On pourrait penser que le malheur finirait un jour par se lasser, mais alors, c’est le temps qui devient votre malheur, dit papa. »

William Faulkner, Le Bruit et la Fureur, 1929.

Samedi, c’est jour de récompenses. Après s’être gobergés cinq jours durant d’images, de sons et de flûtes de champagne, les jurés des diverses sélections ont enfin rendu leur verdict devant une salle comble et un public en effervescence. Avant que le couperet ne tombe, il faudra ramasser les morceaux d’un Olivier Marchal ému aux larmes pour présenter son coup de cœur pour « Borderline », puis subir les facéties des « Complices » de Cécilia Rouaud profitant d’un public captif pour tenter de nous dérider un peu. Lire la suite

REIMS POLAR jours 3 et 4 : Master Gardener + Brighton 4th

Les graines du passé

« La sagesse des vieux est éternellement ténébreuse ; les actions des jeunes sont éternellement transparentes. »

Yukio Mishima, Confessions d’un masque, 1949.

Le festival Reims Polar s’envole vers les Etats-Unis pour les soirées de jeudi et vendredi. Destination New York et le Sud arboré du pays. L’animal et le végétal sont conviés à s’exprimer chacun à leur manière, selon les obsessions d’un réalisateur du cru, selon la sensibilité d’un cinéaste venu d’ailleurs. Il faudra d’abord se laisser déambuler dans les jardins savamment composés de Paul Schrader pour « Master Gardener », pour ensuite s’adonner la lutte des corps dans les quartiers caucasiens de « Brighton 4th » réalisé par le géorgien Levan Koguashvili. Lire la suite

HEAT

Comme un homme seul

« Tu tenteras le coup, assura-t-elle. Je le connais, ton genre de types. Tu parles de sécurité, mais, quand tu renifles la sorte de danger pour lequel tu es fait, tu files comme un chien de chasse qui a senti le gibier. »

Richard Stark, Travail aux pièces, 1967.

« Je suis seul, pas solitaire » dit Neil, le vieux loup, à sa jeune amie Eady. Effectivement, si le braqueur McCauley « feel the  » Heat  » around the corner », il pourra toujours compter sur Michael Mann pour se mettre à l’abri. Lire la suite

REIMS POLAR jour 2 : Heat + About Kim Sohee

So lonely

« You don’t live with me, you live among the remains of dead people. »

Justine Hanna dans « Heat », Michael Mann, 1995.

Cœurs broyés et âmes englouties, on se tue au travail durant cette deuxième journée de Reims Polar. Deux salles, même ambiance pourtant dans deux registres bien différents. D’un côté un affrontement sanglant entre professionnels du grand banditisme et limiers de pointe aux commandes de « Heat ». De l’autre, une enquête à charge sur une dérive systémique qui ravage les rangs de la jeunesse coréenne à travers un titre à l’étrange consonnance anglo-saxonne : « About Kim Sohee » de July Jung. Lire la suite

REIMS POLAR jour 1 : Dernière nuit à Milan

Quand hurlent les sirènes

« On voulait faire un film pour le public. »

Pierfrancesco Favino

Top départ et salle comble pour l’ouverture du Troisième Festival international du Film Policier de Reims. Il faut dire que la programmation ne manque pas d’attraits, offrant pléthore de films venus des quatre coins de la planète. Lire la suite

Mon CRIME

Jusqu’où iront-elles ?

« C’est ignoble de tuer… mais ça fait vivre tellement de monde. »

Dans « La Poison » de Sacha Guitry, 1951.

François Ozon est un cinéaste qui peut être difficile à suivre. Tous les genres lui conviennent, il aime brouiller les pistes. Passant le plus naturellement du monde d’un grave sujet de société à une revisite de Fassbinder, d’un mélodrame de sortie de guerre en Noir et Blanc à un psychodrame paranoïaque en couleur, d’une ode musicale à la gloire des grandes comédiennes à un thriller romanesque autour d’une piscine, bien malin celui ou celle qui saura cerner ce qui se cache sous le sable de ses désirs. Ce qui fait évidence toutefois, c’est bien son amour inconditionnel du cinéma, une passion parfois sulfureuse qui ne lui aura pas attiré que des faveurs. Alors que la fine fleur des actrices s’accorde avec la crème des acteurs pour lui renouveler leur confiance, voici qu’il revendique « Mon Crime », et s’en remet une fois encore au verdict du public. Lire la suite

GLASS ONION

The walrus was Paul

« Une mer calme, dit Poirot d’un ton définitif, est une chose qui n’existe pas. La mer, ça bouge toujours. Toujours ! »

Agatha Christie, Les vacances d’Hercule Poirot, 1941.

Rian Johnson est visiblement un homme heureux. Après ses égarements dans la SF temporelle, après avoir assassiné « les Derniers Jedis », le voici désormais aux manettes d’une franchise dont il ne soupçonnait sans doute pas le potentiel. « A couteaux tirés » fut le succès surprise de 2019, misant sur son casting de prestige et sa façon toute particulière de revisiter les codes poussiéreux du whodunit. Exfiltrant une fois encore Daniel Craig de sa retraite d’agent secret, il s’apprête à faire de nouvelles révélations dans « Glass Onion », les Beatles et Bowie comme bande-son haut de gamme et le soleil pour témoin. Lire la suite

NOVEMBRE

Vendredi 13

« Je me promenais sur un sentier avec deux amis – les soleil se couchait – tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture – il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville – mes amis continuèrent, et j’y restait tremblant d’anxiété – je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature.  »

Journal intime d’Edvard Munch, 22 janvier 1892.

Tout le monde se souvient de ce qu’il faisait ce soir de « Novembre ». Certains étaient peut-être devant leur télé en train de regarder le match de foot, d’autres prenaient un verre entre amis profitant d’une soirée plutôt douce pour la saison. Et soudain ce fut la sidération, une horreur, un choc. « Plus que le choc, j’ai voulu travailler sur l’onde de choc » déclare Olivier Demangel, scénariste qui ravive l’effroi des cinq jours qui suivirent la nuit 13, Cédric Jimenez se chargeant de mettre en scène la frénésie qui s’ensuivit, cinq jours qui mirent la France en état d’urgence. Lire la suite

L’HORLOGER de SAINT-PAUL

Engrenages

– Vos films ont-ils une nationalité ?
– Oui, lyonnaise.

Interview de Bertrand Tavernier par Jérémie Couston pour Télérama, publié le 13/05/2010.

Au pied de la colline de Fourvière, nichée dans le creux d’un méandre de la Saône, on trouvera la très ancienne église Saint-Paul, moitié romane, moitié gothique, entre deux âges. Nous sommes bien loin d’Everton où Georges Simenon situe le roman qui inspirera le film de Bertrand Tavernier. Nonobstant la topographie lyonnaise, il y a bien une indéniable confluence entre le roman simenonien et « l’Horloger de Saint-Paul », une voie franche qui conduit un metteur en scène vers son acteur de prédilection : Philippe Noiret. Lire la suite