TIRAILLEURS

Un front trop loin

« Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort,
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’arme, votre frère de sang ? »

Léopold Sédar Senghor, Hosties Noires, 1948.

Quand on se promène à Reims aujourd’hui, à l’ombre des bouleaux et des grands chênes du Parc de Champagne, on tombe sur une statue qui attire le regard. Elle rend hommage à ces soldats venus de loin, portant bravement le drapeau de nos couleurs et la tenue de nos poilus, figures figées dans un bronze noir symbole de deuil et de la couleur de leur peau. Si d’aventure on se promène à Paris, et qu’on s’attarde sous l’Arc de Triomphe, qui se soucie en voyant brûler la flamme du soldat inconnu, de savoir si ce combattant venait des Landes, de Corse ou du Mali. Mathieu Vadepied propose de projeter l’ombre des « Tirailleurs » sur ce lieu de mémoire en partant sur les traces de l’un de ces déracinés de la Première Guerre Mondiale. Lire la suite

Le CREPUSCULE des AIGLES

Air et décoration

« On ne connaît pas un homme avant de l’avoir vu au danger. »

Ernst Jünger, Orages d’acier, 1920.

Rarement cité parmi les fleurons du film de guerre traitant de la Première Guerre Mondiale, « le Crépuscule des Aigles » de John Guillermin est pourtant loin d’être un petit film. Tourné sous l’égide de la Fox en cinémascope, doté d’un budget considérable, d’un casting international, d’un chef op’ au top (Douglas Slocombe, qui éclairera bien plus tard les Indiana Jones de Spielberg), d’un compositeur émérite (Jerry Goldsmith qui donne dans le John Williams avant l’heure) et d’un réalisateur anglais bientôt associé aux plus grands films catastrophes des seventies, il a pourtant tout pour plaire. C’est en leur compagnie que George Peppard s’envole « Pour le Mérite », selon un plan qui ne se déroulera pas sans accroc. Lire la suite

TOP 10 des films méconnus à voir pour le 11 novembre (reprise)

« Je songe à vos milliers de croix de bois, alignées tout le long des grandes routes poudreuses, où elles semblent guetter la relève des vivants, qui ne viendra jamais faire lever les morts. »

Roland Dorgelès, Les Croix de Bois, 1919.

A l’heure des commémorations de la Grande Guerre, tandis que les fanfares et les défilés ajustent leurs notes pour saluer la mémoire de nos combattants tombés sur tous les théâtres d’opération, il est de coutume, au cinéma comme à la télévision, de réviser les classiques qui évoquent la Première Guerre Mondiale. De l’indispensable « Grande Illusion » de Jean Renoir aux très recommandables « Sentiers de la Gloire » signés Stanley Kubrick en passant par le recueillement auprès des « Croix de Bois » de Raymond Bernard, on ne compte plus les diffusions de ces œuvres majeures du patrimoine. A celles-ci s’en ajoutent d’autres à la popularité plus récente mais non moins dignes de respect : ainsi le grand public aura pu méditer sur « la vie et rien d’autre » et le sort du « Capitaine Conan » de Bertrand Tavernier, revenir en  « 1917 » sous le commandement de Sam Mendès, rechercher Manech désespérément lors d’« un long dimanche de fiançailles » de Jean-Pierre Jeunet, souhaiter un « Joyeux Noël » aux poilus de Christian Carion ou chevaucher le « Cheval de Guerre » de Steven Spielberg. A cette liste de titres largement diffusés s’ajoutent bon nombre de films passés sous silence ou tombés dans l’oubli qui proposent néanmoins leur vision du conflit. En cette période mémorielle, accordons-leur une citation au fil d’une remontée chronologique :

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La Vie et rien d’autre

La passion créatrice

« Quand j’avais vingt ans, j’ignorais si je parviendrais à devenir réalisateur mais aimer le cinéma et m’y dévouer corps et âme, je savais que c’était en moi. […] L’amour du cinéma m’a permis de trouver ma place dans l’existence. »

Bertrand Tavernier (1941 – 2021)

Il était né dans la ville des Lumière. Il n’y avait pas meilleur présage pour qu’il devienne cinéaste. Bertrand Tavernier était une institution, un Institut à lui seul, « un temple » dit même Philippe Torreton. Il a connu toutes les époques, il aura croisé les plus grands, incollable sur tous les genres, imbattable sur tous les continents du septième art. Il a voyagé à travers le cinéma français, et échangé avec ses amis américains. Peu à peu, le cinéphile est devenu cinéaste. Empoignant à son tour la caméra, Il a filmé Noiret, Marielle, Rochefort et Galabru, et puis aussi Huppert, Azéma et même Romy, sans oublier Keitel, Dexter Gordon et Tommy Lee Jones. « Il faisait des films car il avait la passion du cinéma » a réagi Jean-Baptiste Thoret. Comme il était la mémoire vive du cinéma, l’annonce de sa disparition fait l’effet d’un coup porté à la tête, elle assomme. On nous annonce que pour Tavernier, c’est « la mort en direct » alors que Bertrand, c’était « la Vie et rien d’autre », c’était le cinéma jusqu’au bout des yeux, c’était la passion créatrice. Lire la suite

La GRANDE ILLUSION

Lotte hat blaue Augen

« Je me leurrais sur la puissance du cinéma. « La Grande Illusion », malgré son succès, n’a pas arrêté la Deuxième Guerre mondiale. Mais je me dis que beaucoup de grandes illusions, beaucoup d’articles de journaux, de livres, de manifestations, peuvent avoir une influence. »

Jean Renoir, Ma vie et mes films, 1974.

« Tous les démocrates du monde devraient voir ce film. »

Franklin Delano Roosevelt.

« Lotte a les yeux bleus ». La petite fille est mignonne, la scène est émouvante, le cadre rassurant et chaleureux. C’est bientôt la Noël. L’harmonie entre les hommes, la concordance des langues, tout cela est possible, imaginable tout du moins sur un écran. Lotte a les yeux de la couleur du drapeau de l’union, celles des Européens, une idée qui n’existe alors que dans les rêves des humanistes les plus convaincus, des pacifistes les plus ambitieux. Elle est « la Grande Illusion » à laquelle s’accrochent Jean Renoir et Charles Spaak dans un film magnifique, essentiel à la construction d’une paix possible entre les hommes de bonne volonté. Lire la suite

1917

Last man standing

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« (…) Ils jetèrent un regard en arrière et virent scintiller dans le lointain les lampes de Hobbitebourg dans la douce Vallée de l’Eau. Cette vue disparut soudain dans les plis du terrain obscurci, et elle fut suivie de celle de Lèzeau près de son étang gris. Quand la lumière de la dernière ferme fut loin derrière eux, perçant parmi les arbres, Frodon se retourna et agita la main en signe d’adieu.
– Je me demande si je contemplerai jamais de nouveau cette vallée, dit-il tranquillement. »

J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des Anneaux, Tome 1, 1954.

Partir en guerre est un voyage au long cours, quoiqu’il arrive une aventure pour toujours. Nul ne sait s’il en reviendra. Entre 1914 et 1918, des milliers de jeunes Britanniques quittèrent leur île pour rejoindre le Nord de la France et la Belgique afin de faire barrage aux troupes allemandes, « vers la victoire ou le linceul ». Certains désormais reposent en paix dans les jardins de pierre de la Somme et des Flandres. D’autres en sont revenus avec de larges cicatrices sur le corps et des souvenirs purulents dans la tête. A son petit-fils Sam, l’écrivain Alfred H. Mendes qui était de ceux-là transmit en héritage ses peines et ses douleurs, des fragments d’histoires venus s’ajouter au grand mémorial officiel. Sam Mendes les mit bout à bout puis, comme emporté dans les remous d’un long fleuve intranquille, il en a fait un grand film trempé dans un jus noir. Le récit d’un triste jour d’avril en fleurs, un jour de guerre en « 1917 ». Lire la suite

Les SENTIERS de la GLOIRE

Allons enfants…

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« Les lauriers de la victoire flottent à la pointe des baïonnettes ennemies. C’est là qu’il faut aller les prendre, les conquérir par une lutte corps à corps si on les veut. Se ruer, mais se ruer en nombre et en masse… Se jeter dans les rangs de l’adversaire et trancher la discussion à l’arme froide… Marcher vite, précédé de la grêle des balles… Une infanterie sur deux rangs fournit la puissance des feux et la facilité de la marche… »

Ferdinand Foch, De la conduite de la guerre, 1904.

« La Patrie, c’est le sang des autres » disait le critique et scénariste Henri Jeanson qui, au sortir de deux guerres plus meurtrières l’une que l’autre, avait développé une détestation certaine de la chose militaire. C’est assurément avec une même répulsion chevillée au corps que le jeune Stanley Kubrick s’attèle à l’adaptation de ce livre d’Humphrey Cobb découvert adolescent, « Les sentiers de la Gloire ». Les médaillés s’étranglent et la France jette l’anathème sur le brûlot. Mais on n’étouffe pas aussi aisément le cri des hommes qu’on assassine.

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Les CROIX de BOIS

Debout les morts !

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« Nous n’avions pas besoin de jouer, nous n’avions qu’à nous souvenir. »

Charles Vanel

Dans le film de Christian Carion « Joyeux Noël », une cantatrice vient apaiser les esprits des réveillonneurs transis de froid au fond de leur tranchée congelée d’un petit coin des Flandres. Serait-ce décidément une manie germanique que de pousser la note au fond du boyau puisque déjà dans « les Croix de Bois » de Raymond Bernard, un ténor venait combler de sa voix chaude la solitude du patrouilleur français ? La pax musica n’aura hélas qu’un temps, celui d’une « Stille Nacht » rapidement emportée par le ramdam effrayant des gros calibres qui tombent du ciel avant même que les premiers rayons du jour aient sauté le parapet de la tranchée d’en face.  Lire la suite

TOP 10 des films méconnus à voir pour le 11 novembre

« Je songe à vos milliers de croix de bois, alignées tout le long des grandes routes poudreuses, où elles semblent guetter la relève des vivants, qui ne viendra jamais faire lever les morts. »

Roland Dorgelès, Les Croix de Bois, 1919.

Alors que l’on s’apprête à entrer dans la dernière ligne droite des commémorations de la Grande Guerre, que les fanfares et les défilés ajustent leurs notes pour saluer la mémoire de nos combattants tombés sur tous les théâtres d’opération, il est de coutume, au cinéma comme à la télévision, de réviser ces classiques qui évoquent la Première Guerre Mondiale. De l’indispensable « Grande Illusion » de Jean Renoir aux très recommandables « Sentiers de la Gloire » signés Stanley Kubrick en passant par le recueillement auprès des « Croix de Bois » de Raymond Bernard, on ne compte plus les diffusions de ces œuvres majeures du patrimoine. A celles-ci s’en ajoutent d’autres à la popularité plus récente mais non moins dignes de respect : ainsi le grand public aura pu méditer sur « la vie et rien d’autre » et le sort du « Capitaine Conan » de Bertrand Tavernier, rechercher Manech désespérément lors d’« un long dimanche de fiançailles » de Jean-Pierre Jeunet, souhaiter un « Joyeux Noël » aux poilus de Christian Carion ou chevaucher le « Cheval de Guerre » de Steven Spielberg. A cette liste de titres largement diffusés s’ajoutent bon nombre de films passés sous silence ou tombés dans l’oubli qui proposent néanmoins leur vision du conflit. En cette période mémorielle, accordons-leur une citation au fil d’une remontée chronologique :

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Au revoir Là-haut

Mascarade

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« Maintenant, ce n’était plus du désespoir que reflétaient ses yeux… c’était une haine grandiose, superbe, qui donnait à ses traits une expression de noblesse en même temps que de mystère et le faisait ressembler à quelque envoyé du destin venu pour troubler la fête. »

Arthur Bernède, Judex, 1917.

Chaque année, à l’approche du 11 novembre, les visiteurs se font plus nombreux dans les cimetières où gisent les restes de ceux qui sont tombés durant la Grande Guerre. Familles ou bien promeneurs des jours fériés viennent ainsi arpenter ces champs de croix sous lesquelles reposent désormais en paix les corps des aïeux fauchés dans la fleur de l’âge. Et pourtant, qui sait à qui ou à quoi peuvent bien appartenir les ossements qui dorment sous nos pieds ? « Mais qu’est-ce que ça peut foutre, bordel de merde ! Quand ils viennent se recueillir, les parents, ils creusent pas la tombe pour vérifier que c’est bien leur mort à eux ? » lance plein de morgue Henri d’Aulnay-Pradelle, savoureux escroc des Années Folles, répugnant personnage né entre les pages d’« Au revoir là-haut », que l’on aimera encore détester dans l’adaptation enlevée qu’en a faite Albert Dupontel. Lire la suite